Les échanges constituent la base de notre économie. Pour un bon fonctionnement du système, la confiance apparait comme un prérequis indispensable au bon déroulé des transactions. Afin de garantir la transparence et la sécurité, il est nécessaire d’introduire un tiers de confiance habilité par le régulateur (l’Etat) et qui a pour mission d’assurer la stabilité de l’ensemble du système.
La blockchain est comme une technologie qui permet de générer cette confiance numérique. Elle garantit l’exécution d’une transaction en conformité avec des règles établies en amont. Cette technologie peut s’utiliser dans tous les domaines où un intermédiaire de confiance est requis. Pour Primavera De Filippi, « la Blockchain est une technologie disruptive qui risque de remettre en cause la légitimité des intermédiaires, et possède en même temps énormément de potentiel pour améliorer leurs services. »
Bien qu’il soit pour le moment difficile de se prononcer sur les effets à long terme de l’usage de la blockchain, le changement de paradigme que cette technologie induit impactera de nombreux domaines. Les pays émergents, et notamment l’Afrique, constituent un champ d’exploration exceptionnel. Quatre exemples concrets dans quatre secteurs différents
Proposer des services financiers
DigitUS, start up tunisienne spécialisée dans la crypto-finance, Monetas, entreprise suisse de logiciels et la Poste Tunisienne se sont associées pour le lancement d’une application mobile permettant aux citoyens : d’envoyer et recevoir de l’argent, de payer leurs achats de produits et services dans le réseau de commerçants partenaires. Les utilisateurs doivent créer un portefeuilles DigiCash et l’approvisionner en e-dinar, crypto-monnaie qui utilise la technologie de la blockchain authentifier tous les échanges monétaires réalisés par les utilisateurs.
il s’agit ici d’un exemple de partenariat réussi entre une structure publique (La Poste) et des starts up.
La Poste qui est leader en matière d’inclusion financière et sociale via la promotion des prestations de service numériques en Tunisie, a notamment introduit l’e-commerce et facilité bon nombre d’opérations administratives avec l’e-gouvernement. On compte actuellement près de 700 000 utilisateurs de cartes prépayées e-dinar, 520 000 abonnés aux services de paiement par SMS. Plus de 2,5 millions de transactions sont également enregistrées chaque année.
Assurer la transparence dans la chaîne de distribution
Kimani Mbugua, PDG de Greenspec, entreprise dont les activités vont de la vente de semences au contrôle qualité dans les domaines agricole et agro-alimentaire, assure que la blockchain permettra d’améliorer la transparence des chaînes logistiques, notamment en termes de gestion en temps réel des approvisionnements.
L’inscription sur le registre blockchain peut se faire de façon manuelle (en photographiant les documents avec son smartphone et en les mettant en ligne sur une plateforme ad hoc), ou automatique (via l’utilisation de capteurs connectés, attachés au produit, capables de transmettre automatiquement des données – localisation, température, humidité… – et de les inscrire sur la blockchain). Ensuite, chaque partie prenante ayant reçu l’autorisation d’accéder à cette blockchain peut vérifier quel participant a inscrit une information donnée, à quelle date et à quel horaire.
La blockchain permet ici un horodatage et une transparence du suivi des aliments, sans qu’un individu ou une entité ne puisse unilatéralement modifier ou supprimer d’informations. Les différents acteurs de l’industrie peuvent dès lors détecter en temps réel où et quand la faute ou la fraude a été commise, là où aujourd’hui, en cas d’intoxication alimentaire d’un consommateur, le processus d’identification de la denrée fautive est chronophage.
Echange d’électricité en peer to peer
Associer microgrid et blockchain peut favoriser l’autoconsommation particulière et collective via le partage rémunéré d’énergie entre habitants d’un même quartier ou d’un même village, à l’instar des initiatives développées dans l’éco-quartier de Brooklyn Microgrid à New York. Les acteurs qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment peuvent alors vendre leur «surplus de production» en utilisant la blockchain via les cryptomonnaies.
La blockchain est aussi utile pour se constituer un “portefeuille” énergétique. Les Solar Coins, monnaie de conversion de l’énergie solaire, constituent le support échangé lors des transactions. Dans ce contexte, la blockchain peut être publique – n’importe qui peut s’inscrire -, privée, l’écriture et la lecture sont des droits à établir, ou gérée par un consortium – typiquement un écoquartier.
The Sun Exchange (thesunexchange.com) plateforme lancée en Afrique du Sud pour le crownfuding d’énergie solaire est entièrement basé sur la logique de blockchain tant dans la récolte des financements (les monnaies classiques sont aussi acceptées) que dans la redistribution afin de faciliter les relations clients – fournisseurs dans le marché de l’énergie avec une capacité de changer de fournisseur toutes les 15 minutes.
La blockchain favorise dans ce contexte le développement des énergies renouvelables et renforce le rôle des «consomm’acteurs» qui contribuent à pallier les défaillances des opérateurs étatiques.
Sécuriser le foncier
Bitland, organisation basée au Ghana, s’est donnée pour mission de permettre aux institutions et aux personnes privées qui le souhaitent de permettre l’arpentage de leurs territoires et d’enregistrer leurs actes fonciers sur une blockchain. Quiconque désire inscrire son terrain sur le cadastre de sa ville peut remplir un formulaire disponible sur internet. Les données sont ensuite enregistrées dans la blockchain et il est impossible de les en sortir afin d’éviter le piratage des données. En 2015, le gouvernement du Honduras a fait appel à Epigraph, un organisme similaire à Bitland, pour répertorier l’entièreté de son territoire sur la blockchain et éviter que les plus riches ne s’octroient des biens qu’ils ne possèdent pas.
Pour l’instant en train de développer son projet pilote dans la ville de Kumasi au Ghana, Bitland se donne cinq ans pour convaincre les autres pays d’Afrique d’adopter sa solution.
La blockchain permet ici de répertorier les terrains et de stocker l’information de façon transparente, publique et sécurisée, garantissant ainsi la propriété du bien répertorié.
Apporter une assistance aux producteurs locaux dans le processus d’homologation des médicaments
Les nouvelles molécules nécessitent une « autorisation de mise sur le marché » (AMM), délivrée à la suite d’un processus strict d’études destiné à démontrer la fiabilité du médicament. Les producteurs, quant à eux, sont soumis à des processus de qualification incluant le respect de BPF (Bonnes Pratiques de Fabrication). Cependant, peu de pays africains, sont dotés d’organismes fiables leur permettant de délivrer ces AMM et d’exercer un contrôle efficace des fabricants et des produits.
Appliquée à l’industrie pharmaceutique, et plus particulièrement au contrôle qualité permettant de délivrer les AMM, l’intérêt de la technologie blockchain réside dans le fait que le différentes parties prenantes du réseau du processus d’homologation devront parvenir à un consensus avant de pouvoir enregistrer une information sur la blockchain ; ces parties prenantes étant des centres d’essais ou des organismes de réglementation supervisant le processus et pouvant être localisés sur des espaces géographiques distincts. L’avantage d’une telle organisation réside dans le fait que plus il y a de personnes qui défendent des intérêts différents dans le réseau, plus il y a de chances de n’enregistrer que des données authentiques et fiables sur la blockchain.
La blockchain permettrait de fluidifier le processus d’homologation et de virtualiser l’assistance technique apportée aux producteurs locaux (ils enregistrent des informations sur le réseau et prennent en compte les commentaires des experts techniques jusqu’à l’atteinte d’un consensus).
La blockchain, véritable vecteur de confiance et de transparence s’illustre comme un outil puissant dont l’utilisation offre de nombreux bénéficies en Afrique. Certains considèrent d’ailleurs qu’à l’image du mobile, cette avancée technologique va permettre au continent de de réaliser un autre «leapfroging» (saut technologique), à l’image de ce qui s’est passé avec la téléphonie mobile.
Au-delà de la création de crypto-monnaies, la blockchain, qui repose sur le principe de décentralisation des transactions offre des opportunités multiples. Ce d’autant plus qu’elle sécurité et transparence. Certains parlent alors de « machine à confiance ».
En plus de son caractère «sécurisé», l’attractivité de la blockchain réside dans la diversité des domaines d’applications parmi lesquels l’agriculture, l’industrie pharmaceutique, la logistique ou encore la finance, sans compter les bénéfices transverses tels que la certification des documents.
Dans un contexte marqué par une faiblement bancarisation, une forte dynamique d’innovation et des services mobiles en pleine explosion, la blockchain représente une véritable opportunité pour l’Afrique.
Il ne faut cependant pas fermer les yeux sur les limites de cette technologie. Pour être déployé et fonctionner de façon optimale, cet outil doit s’inscrire dans un cadre juridique défini. À ce jour, ce cadre est peu ou pas formalisé, sauf en Estonie.
D’un point de vue technique, les limites sont liées la complexité technique de l’outil et à sa relativement faible capacité de traitement des données : la blockchain du bitcoin peut traiter au maximum 600 000 transactions par jour, loin derrière les 24 millions traités par le réseau de transactions interbancaires Swift par exemple. De plus, le traitement d’un volume important d’informations est un processus fortement énergivore : à titre d’exemple, la “blockchain” du bitcoin qui pèse aujourd’hui 78 giga-octets consomme aux alentours de 600 mégawatts (MW) d’énergie. Les défis restent encore nombreux pour faire de la blockchain le levier de la prochaine révolution numérique en Afrique.
Avec latribune