Il y a suffisamment de matière plastique sur Terre pour pourvoir à tous nos besoins pendant un siècle au moins. Pourquoi continuer à en produire ?
Il y a quelques mois, je me suis décidée à faire un peu plus attention à ma manière de consommer, histoire de ne pas ajouter encore à la dette écologique de la planète. Évidemment, Google et Facebook ont été les premiers à remarquer ce changement dans mes habitudes – que l’on pourrait taxer sans peine de “tournant bobo”. Ni une ni deux, ils ont commencé à me montrer des pubs pour des chaussures faites avec des sacs recyclés, ou encore des articles sur des planches de skate de récup.
Cela m’a forcée à réfléchir à la prétendue « nouveauté » de ces produits, dont on entendait déjà parler dix ans auparavant. On nous rappelle constamment que nous produisons des millions de tonnes de plastique chaque année. Un plastique qui mettre un bon millier d’années à se dégrader, et qui se fera un plaisir d’encombrer les océans, cours d’eaux et autres écosystèmes en attendant. Il y a, actuellement, suffisamment de matière plastique sur Terre pour pourvoir à tous nos besoins pendant un siècle au moins. Et si nous fabriquions tous nos produits en plastique recyclé ? Ne serait-ce pas plus simple ? La réponse à cette question est beaucoup plus complexe que ce que l’on pourrait croire, puisqu’elle est à l’intersection entre des considérations technologiques, commerciales et culturelles. Heureusement, les experts comptent bien y répondre sous peu.
« On a là une situation très intéressante », explique Edward Kosior, ingénieur en chimie et consultant en recyclage des plastiques au sein d’une agence appelée Nextek. « Elle est avant tout déterminée par le cours du baril de pétrole. »
Au cours des dernières années, la production de pétrole brut a augmenté, jusqu’à ce que le marché global soit saturé. Ainsi, le prix du baril reste très bas ; et parce que les plastiques sont faits à partir de pétrole, le coût de fabrication desdits plastiques est lui aussi resté dans les clous. Quand le prix du baril augmente, utiliser des plastiques recyclés peut revenir moins cher que de fabriquer du plastique tout neuf en un instant t, mais l’inverse est également vrai. Enfin, nos procédés de recyclage sont loin d’être parfaits, et le plastique recyclé est généralement d’une qualité légèrement inférieure (variations de couleur ou de texture) au plastique dit « vierge ». Ces différences sont généralement imperceptibles pour le consommateur, mais les marques ne veulent généralement pas prendre de risques avec ses normes produit.
« Avant d’utiliser des plastiques recyclés, il faut considérer deux facteurs : y-a-t-il des conséquences sur l’apparence du produit ? Quelles sont les implications concernant les coûts de production ? », explique Kosior. « Les marques tiennent absolument à ce que tous les produits aient le même aspect sur les étals des magasins. »
Pour le fabriquant, les avantages économiques liés à l’utilisation de plastique recyclés sont loin d’être évidents, explique Jeannette Garcia, chimiste spécialiste des polymères chez IBM Research. Garcia estime que l’efficacité du procédé, les économies réalisées et la réduction des émissions de CO2 provenant de l’utilisation de plastiques recyclés sont ignorées par de nombreux fabricants, même si la réduction des coûts financiers est évidente.
Il y a également des obstacles technologiques à la fabrication d’un nombre croissant de produits en plastique recyclé, m’explique Garcia. Le recyclage est un processus compliqué. Les plastiques doivent être nettoyés, triés et fondus avant d’être remodelés et réutilisés. Le problème, c’est que la plupart des produits sont composés de différentes types de matières plastiques qui doivent être séparées les unes des autres. Enfin, certains types de PVC ne peuvent pas être recyclés du tout.
Garcia ajoute que les chercheurs sont maintenant en quête de nouvelles techniques pour fabriquer et décomposer des plastiques. “La base de la fabrication des plastiques, ce sont des processus chimiques. Il est donc logique que leur décomposition soit également assurée par des processus chimiques.”
Garcia cite plusieurs exemples, tels que le recyclage chimique où le plastique est exposé à un catalyseur à haute température, ce qui provoque la décomposition des composés sous-jacents. C’est grâce à cette technique que des scientifiques ont réussi à produire du carburant à partir de vieilles bouteilles d’eau. Elle exige encore beaucoup d’énergie et coûte très cher, mais selon Garcia on sera un jour capables d’utiliser un processus similaire à un température beaucoup plus basse.
De nouvelles techniques de fabrication du plastique pourraient également faciliter le recyclage, ajoute-t-elle en me montrant une technique qu’elle a co-développé avec un collègue afin de produire des plastiques thermodurcissables – un polymère qui devient plus résistant après avoir été chauffé – qui peut être décomposé et recyclé – qui puissent être décomposés et recyclés.
Enfin, il y aura des obstacles culturels à surmonter.
“La plupart des consommateurs n’ont aucune idée de quels plastiques sont, ou ne sont pas recyclables”, explique Nathalie Jerming-Havill, consultante en stratégie au Studio INTO, un cabinet de consulting en design londonien. D’autre part, l’absence de pression de la part des acheteurs ne pousse pas les entreprises à changer leurs pratiques. “Si les consommateurs se foutent du devenir des plastiques, pourquoi les entreprises devraient-elles s’en soucier davantage ?”
Le studio INTO finance un projet de design étudiant chaque année. En 2017, il a mis les étudiants au défi de développer des produits faisant intervenir une utilisation novatrice des plastiques. Les projets primés allaient de tampons menstruels sans plastique en passant par des tuperwares de sushis à emporter fabriqués à partir d’un gel de sauce au soja. Jerming-Havill pense que la nouvelle génération de concepteurs et d’ingénieurs a à coeur de résoudre le problème du plastique une bonne fois pour toutes, mais que les grandes entreprises ne suivent pas le mouvement.
Même si la consommation dite “écolo” ou “durable” est de plus en plus à la mode, cela ne suffit pas à avoir un effet majeure sur les choix de production au sein de l’industrie. Kosior estime que 25% des produits en plastique contiennent de petites quantités de matériaux recyclés, mais les marques ne s’en vantent pas : les consommateurs estiment généralement que les produits recyclés devraient coûter moins cher, et boudent les produits recyclés de milieu et haut de gamme. Garcia ajoute que seuls 8,8% des plastiques sont recyclés aux États-Unis : le reste finit dans les décharges et les océans. D’une manière générale, les gens ne sont pas prêts à dépenser davantage pour sauver la planète.
Pourtant, tous les experts avec qui je me suis entretenue étaient étonnamment optimistes. Selon eux, dès lors que les consommateurs feront vraiment attention à leurs achats de plastique, les entreprises devront s’aligner sur la demande et développeront leur R&D en matériaux.
“On commence tout juste à comprendre comment prendre en main le problème pour rendre l’économie du plastique vraiment circulaire”, explique Garcia. “Je pense que nous allons dans la bonne direction, ce n’est qu’une question de temps.”
Avec motherboard.vice.