Avec un budget 2019 en déficit de 2,4% contre 2,6% en France, seule l’Italie s’attire les foudres de la Commission européenne. Volonté de punir un gouvernement dit «populiste» ou crainte d’une déflagration financière européenne ?
Sans surprise, la réunion mensuelle des 19 ministres de la zone euro, le 5 novembre à Bruxelles, a accouché d’une déclaration appelant au dialogue et à la révision du budget italien «conformément au PSC [Pacte de stabilité et de croissance».
Le Portugais Mario Centeno, qui a succédé en janvier au Néerlandais Jeroen Dijsselbloem à la présidence de l’Eurogroupe, a exprimé en termes modérés les mêmes attentes dans un communiqué séparé en déclarant : «J’espère que le dialogue constructif en cours contribuera à rassurer les partenaires européens et les acteurs du marché quant à l’engagement de l’Italie en matière de finances publiques saines.» Une attitude qui contraste avec l’inflexibilité affichée par le Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, lequel, cité par l’AFP a déclaré le 5 novembre : «Nous ne sommes pas dans une négociation. Les règles sont les règles.»
La réaction la plus dure est venue de Peter Kazimir, ministre slovaque des Finances, qui écrivait le même jour sur son compte Twitter : «Si un pays de l’UE dit que les règles du PSC ne l’intéressent pas, il doit y avoir des conséquences.»
Interrogé par les journalistes à son arrivée dans le bâtiment de la Commission européenne sur les suites possibles de la confrontation entre la Commission et l’Italie, le ministre italien des Finances, Giovanni Tria, a simplement répondu : «Bien sûr, nous avons des désaccords, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas avoir de dialogue constructif avec la Commission.» Quant à l’éventualité d’un traitement injuste de l’Italie par la Commission, en comparaison avec celui que l’exécutif européen a imposé aux autres membres de la zone euro, Giovanni Tria a préféré réserver sa réponse aux ministres des Finances.
L’Italie a désormais une semaine pour présenter un budget révisé, faute de quoi elle devrait être placée en procédure pour déficit excessif. Cela ouvrirait la voie à de possibles bien qu’improbables sanctions financières d’un montant équivalent à 0,2% de son produit intérieur brut (PIB), soit environ 4 milliards d’euros.
Un traitement injuste vis-à-vis de l’Italie ?
C’est la première fois que la Commission européenne retoque le budget d’un Etat membre. En revanche, les procédures pour déficit excessif sont courantes depuis la crise financière de 2008. La France, par exemple, s’est trouvée dans cette situation en 2009 et n’en est sortie qu’en juin cette année. Pour 2019, Paris prévoit d’ailleurs un budget dont le déficit représentera 2,6% de son PIB, alors que l’Italie avance un déficit moindre, à 2,4%, selon ses prévisions de recettes fiscales. Ces dernières, il est vrai, sont contestées par la direction des affaires économiques et financières de la Commission. En effet, l’Italie base ses prévisions budgétaires sur une croissance pour 2019 de 1,5% du PIB, alors que la Commission n’anticipe que 1,1% de croissance.
Certes, l’Italie respecte un des deux points des critères de convergence dits «de Maastricht» avec un déficit contenu en dessous de 3% du PIB. Mais les remarques de la Commission se fondent juridiquement sur deux nouveaux règlements européens appelés «two-pack», entrés en vigueur en mars 2013, et qui complètent le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), aussi appelé «pacte budgétaire européen». Ils prévoient qu’en cas d’excès de dette par rapport à la référence des 60% du PIB, l’écart doit se réduire au rythme moyen d’un vingtième par an. Et c’est là le cœur du problème, dans la mesure où le budget italien s’écarte de la trajectoire de désendettement recommandée par les textes de l’Union européenne.
Le pari d’une relance par le soutien à la consommation
La campagne électorale qui a amené au pouvoir la coalition rassemblant la Ligue et le Mouvement 5 étoiles a en partie porté sur la question de la dette italienne. En effet, beaucoup d’économistes remarquent que, paradoxalement, l’Italie a depuis près d’un quart de siècle systématiquement adopté des budgets présentant des excédents primaires (bénéficiaires hors prise en compte du service de la dette), sauf en 2009, exercice portant le poids de la dépression financière de 2008. De ce point de vue, Rome a même fait mieux que l’Allemagne et beaucoup mieux que la moyenne de la zone euro.
https://twitter.com/RTenfrancais/status/1039563115518722048
A titre de comparaison, dès 2010, l’Italie a présenté un léger excédent primaire de 0,1% alors que l’Allemagne affichait encore un solde de -1,7% et que la moyenne de la zone euro se situait à -3%. En 2018 les chiffres sont de +2,2% pour l’Allemagne, +1,9% pour l’Italie, +1,1% pour la moyenne de la zone euro et -0,6% pour la France. Or, ces résultats qui auraient dû faire de l’Italie un exemple, non seulement n’ont pas permis de réduire sa dette publique de quelque 2 300 milliards d’euros (131% du PIB), mais semblent de plus avoir pesé sur la consommation des ménages et la croissance.
Si les Italiens ne s’en sortent pas ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été suffisamment austères, c’est au contraire parce qu’ils ont été trop loin dans cette voie
Après 2008 et une sévère récession en 2009, l’Italie a replongé en 2012 et 2013 avec des taux négatifs de -2,8% et -1,8% et une dette en hausse constante. L’austérité n’a donc pas payé, pas plus qu’en Grèce, où après six ans de coupes budgétaires qui ont mis le pays a genoux et fait fuir sa jeunesse, le taux d’endettement n’a pratiquement pas diminué. Notre confrère Alternatives économiques allait jusque à affirmer, dans un article paru en juin : «Contrairement aux légendes qui circulent, notamment en Allemagne, si les Italiens ne s’en sortent pas ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas été suffisamment austères, c’est au contraire parce qu’ils ont été trop loin dans cette voie.»
Pour tenter de sortir de ce cycle, le nouveau gouvernement italien a fait, comme le Portugal, le pari d’une politique de rupture avec l’austérité et de relance de l’économie par le soutien à la consommation avec une mesure phare : le revenu citoyen à 780 euros pour une personne seule.
La crainte d’une contagion européenne
L’ironie veut que l’Eurogroupe qui a appuyé les réserves de la Commission européenne sur le budget italien soit aujourd’hui présidé par l’ex-ministre socialiste des Finances du Portugal, qui a justement mis en œuvre une politique comparable dès 2015 avec des résultats remarquables à partir de 2017 (2,6% de croissance et un taux de chômage en baisse à 7,8% contre près de 18% en 2013), même s’ils sont largement imputables à une année record pour le tourisme.
Désormais, beaucoup se demandent si l’attitude de la Commission vis-à-vis de l’Italie n’est pas le symptôme d’une volonté de punir un gouvernement présenté comme «populiste», d’«extrême droite» et «eurosceptique». Mais la plus forte pression sur le gouvernement italien vient des marchés financiers. L’Italie, a vu récemment la note de sa dette dégradée par l’agence Moody’s, tandis que Standard & Poor’s a abaissé sa perspective, de stable à négative. Et, depuis un pic en mai à 24 544 points, l’indice FTSE MIB des 40 principales sociétés cotées à la Bourse de Milan a chuté sous la barre psychologique des 20 000 points, perdant plus d’un quart de sa valeur. Quant à l’indice des banques italiennes, il a connu sur la même période une chute encore plus spectaculaire de près de 40%.
Dans le même temps, le spread, écart entre le taux des obligations italiennes à 10 ans et la référence allemande du Bund a presque triplé depuis 2015. Il s’établit désormais aux alentours de 3% contre environ 0,4% pour la France. Cela signifie que le coût du financement va se renchérir pour l’Etat italien, de même que le coût du crédit pour les ménages. Or, dans la péninsule, beaucoup ont souscrit des emprunts à taux variables, avec un risque de défaut de remboursement qui menace les banques italiennes déjà fragiles. Une chute de ces dernières pourrait se propager à l’ensemble de la zone euro et c’est surtout ce que semble craindre la Commission.
Malgré tout, le 2 novembre, une bonne surprise est venue illuminer ce tableau très sombre : toutes les banques italiennes soumises, en même temps que celles des Etats membres ou de la zone euro, au test de résistance de l’Autorité bancaire européenne (ABE) l’ont passé avec succès, malgré des seuils relevés par rapport au dernier test mené en 2016. Et, parmi celles qui suscitaient le plus d’inquiétude, la Banco BPM a révélé des caractéristiques de capacité à encaisser une phase brutale de contraction économique équivalente à celles de la Barclays… il est vrai mal en point.
Avec rtfrance