Dans son exil, Lazare Koffi Koffi est devenu un écrivain prolifique. Il vient à nouveau de publier, un recueil de poèmes au titre évocateur et prophétique : « S’il y eut un soir, il y aura un matin » C’est le cinquième de ses créations poétiques et le neuvième de l’ensemble de ses productions livresques. Pour bien connaître cet ouvrage, nous publions ici la lecture qu’en a faite le Pr Thomas Nguessan Yao, ancien ministre de l’Enseignement supérieur son préfacier et son compagnon d’exil.
Historien de formation, pétri de culture agni, Lazare Koffi Koffi a débuté sa carrière littéraire en 2011 et en 2013 avec deux ouvrages sur l’histoire de son terroir, le royaume sanwi, mais dont le titre préfigure son combat politique : la France contre la Côte d’Ivoire. Le troisième ouvrage, Côte d’Ivoire, ma passion. Une expérience de foi en politique publié en 2014 chez L’Harmattan, relate son parcours politique et l’amour de son pays, avec pour ciment, un engagement sans faille et une solide foi chrétienne. Mais, c’est le tsunami de la crise post-électorale et l’exil qui vont le transformer en stakhanoviste de la poésie avec trois recueils de poèmes en moins de deux ans (2014-2016).
La poésie, c’est l’art de s’affranchir de l’exactitude du discours et des faits, au profit du choix des mots et du travail sur le style, le rythme et la sonorité, pour mieux traduire dans la liberté, les sentiments cachés au tréfonds de soi-même. Ainsi, dans le poème, « je choisis, moi, la dignité », du recueil Si la graine ne meurt , tous les vers se terminent par le son « on », dont la régularité dans la répétition traduit à la fois la peine et l’encouragement, tel le bûcheron, cherchant avec sa cognée, à venir à bout d’un arbre particulièrement coriace. L’arbre est dur, mais on sait que le bûcheron, pour parvenir à ses fins, mettra le temps qu’il faudra, mais ne cédera pas ! C’est justement ce qui caractérise Lazare Koffi Koffi. L’année 2017 à peine entamée qu’il propose son cinquième recueil de poèmes, après le succulent Méditations silencieuses dans la lignée des précédents, mais où le caractère de combat transcende avec encore plus de force pendant que le style s’affirme, plus sûr et plus fluide.
Dieu appela la lumière jour
Et il appela les ténèbres nuit.
Ainsi, il y eut un soir, et il y eut un matin.
Lazare Koffi Koffi en rappelant ces tous premiers versets de la Bible, a voulu montrer comment selon la Bible, la lumière et les ténèbres, en sont arrivés à rythmer le jour et la nuit dans un ballet sans fin. Le soir, marque l’avènement des ténèbres, c’est le règne d’un monde où dominent l’ignorance, les puissances démoniaques et maléfiques avec leurs cortèges de peurs et d’inquiétudes, alors que le matin amène avec lui, la connaissance, la clarté, l’espérance, la joie, le bonheur et la félicité. Si le cycle est sans fin, il en va autrement des événements. Ainsi après les ténèbres, vient la lumière, après le soir, vient inéluctablement le matin.
Dans Les Rayons et les Ombres, un recueil de poèmes publié en 1840, Victor Hugo développe merveilleusement cette idée. Les Rayons traversent l’univers joyeux de la beauté, de l’amour, de la nature en fête et du souvenir des jours heureux ; à l’opposé, Les Ombres expriment la tristesse, les morts, les rois, les héros oubliés. Ensemble, ils forment la vie… et confèrent une fonction prophétique voire messianique au poète :
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
Il est l’homme des utopies,
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir !
Lazare Koffi Koffi est un historien, je l’ai dit, mais aussi un poète engagé dont les poèmes méritent d’être connus en Afrique et ailleurs.
S’il y eut un soir, il y aura un matin, tel est le titre de ce magnifique ouvrage ! Si la Côte d’Ivoire est entrée dans les ténèbres depuis le 11 avril 2011, il y aura nécessairement un matin où la lumière viendra déchirer les ténèbres pour apporter au peuple, la joie de vivre et le bonheur perdus. C’est pourquoi l’auteur s’adresse au peuple avec des mots simples, aux sonorités mélodieuses.
Je veux écrire comme je veux
Avec des mots simples, non frileux
Des mots qui jaillissent comme une onde
De mon cœur preux de rêveur qui sonde
Le bonheur sur terre à distiller.
Si ces mots sonnent comme une douce musique aux oreilles du peuple, ils jaillissent comme des flèches acérées en direction des usurpateurs et des colonisateurs et ceux qui ont pris plaisir à détruire un si beau pays, son pays.
Il y eut un soir
Un soir de frayeur noire.
Ce fut un soir démoniaque
Chargé de scènes cauchemardesques
Criblant la nation de plombs, de rafales
De brasiers et de folies infernales.
L’hymne adressé aux hommes intègres est un cri d’espoir aux accents panafricains, envers ceux qui risqueraient d’être envahis par le découragement :
Du pays des hommes intègres
S’élèvent de nos jours des clameurs de joie.
Et l’on crie : finie l’Afrique rabaissée
Finie l’Afrique chargée de croix
Finie l’Afrique oppressée.
Est fini le temps du bon nègre.
Alors que le pays de l’émergence va à vau-l’eau avec l’appui souterrain de la Puissance Coloniale.
L’Émergence, c’est chérir la gabegie
Et jouir des scandales dans la finance
C’est là, signe de bonne gouvernance
Paraît-il, félicité à Paris.
Quand le poète, en témoin oculaire décrit avec un réalisme poignant, les cruels bombardements de la Force Licorne sur la ville d’Abidjan, on est frappé par le rendu de l’atmosphère apocalyptique qui régnait à ce moment là.
Nous avons vécu le cruel chaos
Dans l’abîme, nous avons été déchus
Un soir, une nuit, où nos cris aigus
Étouffés par les souffles vespéraux,
Et par le vrombissement destructeur
Des géants d’acier dans le ciel obscur
Se sont évanouis sous les sons impurs
Des rafales annonçant le malheur.
Enfin, lorsqu’il magnifie la femme, le poète engagé se transforme en poète ronsardien lyrique, et chaque mot, résonne comme une partition, comme un chant magique et magnifique qui vous emporte dans un monde féerique.
O quel bonheur, ô quelle fierté
De mes vers, émouvoir vos âmes !
O muses! O moitié ! O femmes !
Et de vous voir remplies de gaieté !
Oh oui, je crois, ô sources de vie
Que tout homme, qui réussit en vous
À produire des sons fins et doux
Peut avoir un destin embelli.
Lazare Koffi Koffi n’hésite pas à coller à l’actualité politico-judiciaire qui se déroule à La Haye avec la posture d’une accusation qui, faute de preuves, fait défiler des témoins douteux, avec comme mention spéciale, « un témoin au prétoire » embourbé dans « les fourberies de Scapin ». Tout y passe, des pillages éhontés des hommes du pouvoir, à la félonie de ceux qui ne doivent leur position sociale qu’à la seule bienveillance du président Gbagbo. Nul n’est besoin de citer des noms, car chacun peut les reconnaître dans les descriptions sans concession faite par l’auteur.
Avec ce cinquième ouvrage poétique, Lazare Koffi Koffi s’affirme désormais, comme un des chantres de la poésie africaine. La figure de style, tout en se diversifiant, se personnalise dans le choix des mots et des sonorités et se rapproche d’un Tchicaya U Tam’si ou d’un Léopold Congo-Mbemba en ce qui concerne l’exigence de la parole souveraine. Ce petit recueil est à lire avec délectation et sans modération !
Avec .connectionivoirienne