Des recherches laissent penser que, depuis l’élection de Donald Trump, la misogynie est en recrudescence dans la société américaine.
Le président Donald Trump serait-il en voie de créer une société à son image ? Le sexisme outrancier du personnage et de ses politiques a déjà, semble-t-il, contaminé la population américaine.
Il y a des signes que les rapports humains se durcissent aux États-Unis depuis son élection. Les hommes, en particulier, seraient devenus plus agressifs envers les femmes et moins disposés à coopérer avec elles, si on en croit les résultats d’une expérience menée récemment à l’École Wharton, la prestigieuse école de commerce de l’Université de Pennsylvanie, à Philadelphie.
Nombre d’observatrices avaient pressenti ce danger au lendemain du scrutin du 8 novembre. Trump a fait la preuve qu’en son pays le mépris des femmes est non seulement toléré, mais payant, lui qui a été porté au pouvoir bien qu’il se soit vanté d’avoir commis des agressions sexuelles et malgré la litanie d’injures qu’il a proférées contre des personnalités féminines. Son administration poursuit maintenant des politiques qui visent à restreindre l’accès des femmes à des soins de santé reproductive, un autre affront à leur autonomie et à leur dignité. Tout cela, craint-on, risque de créer un climat propice à une recrudescence de la misogynie dans la société.
Les recherches de la professeure Corinne Low et de la candidate au doctorat Jennie Huang laissent penser que ces inquiétudes sont fondées. Un compte rendu de leurs travaux vient de paraître dans l’édition de mai de l’American Economic Review.
Les deux économistes n’avaient même pas l’intention d’étudier les effets de l’élection présidentielle. Elles s’intéressaient plutôt au style de négociation des hommes et des femmes, et cherchaient à savoir si les gens modifiaient leur approche en fonction du sexe de leur interlocuteur. Par le plus grand des hasards, certaines séances de laboratoire étaient prévues en octobre 2016, avant l’élection, les autres à la mi-novembre, dans la semaine qui a suivi le scrutin. C’est lorsque les chercheuses ont examiné leurs résultats que la différence entre les deux périodes leur a sauté aux yeux. Leur programme de recherche venait de prendre une tout autre tournure.
L’expérience s’est déroulée comme suit. Dans une salle informatique de l’université, des volontaires ont été conviés à jouer à la « guerre des sexes », un jeu qu’utilisent les économistes pour simuler la coopération et la compétition en laboratoire. Les sujets s’affrontent deux par deux, chacun devant un ordinateur, sans se voir ; ils ne connaissent de leur vis-à-vis que son sexe, parfois le même que le leur, parfois le sexe opposé. Chaque paire doit se partager la somme de 20 dollars, mais l’un des participants doit forcément accepter 5 dollars et laisser 15 dollars à son adversaire, ou vice versa ; aucune autre répartition n’est possible. Reste à décider qui remporte le gros lot et qui se contente des miettes. Si les joueurs rejettent tout compromis et ne parviennent pas à un accord, ni l’un ni l’autre ne reçoit le moindre sou. Près de 400 personnes ont participé à l’expérience, 232 avant le vote, 154 après.
Le duel Trump-Clinton a éveillé chez une vaste frange de l’électorat le désir de remettre les femmes à leur place.
Les chercheuses ont donc comparé l’issue des négociations qui ont eu lieu avant et après le 8 novembre. Elles ont aussi analysé les tactiques que les joueurs employaient lorsqu’ils clavardaient pour tenter de s’entendre, ainsi que le ton de leurs échanges. Est-ce qu’ils s’arrogeaient d’emblée les 15 dollars et refusaient d’en démordre, ou est-ce qu’ils offraient gracieusement la plus grosse somme à l’autre participant ? Étaient-ils inflexibles, belliqueux, ou plutôt sympathiques et coopératifs ?
Résultat : après l’élection de Trump, une nouvelle intransigeance s’est manifestée, et les interactions, plus agressives, ont plus souvent abouti à une impasse. Ainsi, en novembre, chaque joueur a récolté 1 $ de moins par séance en moyenne (une baisse de 13 % par rapport aux 8,34 $ gagnés en octobre), signe que les participants ont préféré se priver plutôt que de plier devant leur adversaire.
En inspectant les données de plus près, les chercheuses ont remarqué que ce sont les hommes, particulièrement, qui sont devenus plus hostiles envers les femmes. Avant Trump, ils avaient tendance à se montrer plus coopératifs avec les femmes qu’avec d’autres hommes. Mais après la victoire du républicain, cette bienveillance à l’égard du sexe opposé s’est envolée, pour faire place à des tactiques de négociation et à un style de communication nettement plus agressifs. Par exemple, face à une participante, les hommes étaient presque deux fois et demie plus susceptibles de se montrer intraitables après l’élection qu’avant (c’est-à-dire en s’appropriant d’entrée de jeu la plus grosse somme d’argent et en faisant savoir à leur interlocutrice que c’était à prendre ou à laisser).
« De nombreux articles de presse ont fait état d’une montée de la violence raciste et du sexisme à la suite de l’élection de Trump, écrivent les auteures dans leur étude. Nos résultats concordent avec ces reportages et indiquent que, du moins en laboratoire, l’élection de Trump a pu dérégler les normes sociales de courtoisie et de galanterie. »
Les chercheuses ont refait leur analyse en ne gardant que les personnes se considérant comme progressistes dans leur échantillon : elles ont obtenu les mêmes résultats, preuve que ce regain d’agressivité envers les femmes n’est pas l’apanage des conservateurs.
Difficile de dire si ce changement d’attitude sera durable ou s’il s’agit d’une saute d’humeur passagère, mesurée au lendemain d’une campagne particulièrement acrimonieuse. On ne sait pas non plus si le phénomène observé en laboratoire aura des répercussions en dehors, jusque dans la rue, les milieux de travail ou le couple.
Reste que cette étude s’ajoute à une liste de plus en plus longue de travaux qui indiquent que le duel entre Donald Trump et Hillary Clinton a éveillé, chez une vaste frange de l’électorat, le désir de remettre les femmes à leur place. Ce sexisme est l’une des forces les plus puissantes qui expliquent la victoire républicaine de novembre. Sur la base d’un sondage mené à la fin octobre, le politologue Brian Schaffner, de l’Université du Massachusetts à Amherst, a calculé que l’hostilité envers les femmes, ainsi que le racisme, était beaucoup plus fortement associée à l’intention de voter pour Donald Trump que la détresse économique. Le chercheur a présenté ses résultats lors d’une conférence en Israël en janvier.
Un autre politologue a même montré qu’il suffisait de demander aux hommes s’ils gagnaient un salaire plus ou moins élevé que leur conjointe pour qu’ils favorisent soudain Donald Trump au lieu de Hillary Clinton. Dans le cadre d’une expérience orchestrée l’an dernier par le professeur Dan Cassino, de l’Université Fairleigh-Dickinson, au New Jersey, la moitié des hommes sondés ont répondu à un questionnaire politique standard : ceux-ci ont dit préférer Clinton par une marge de 16 points. Mais l’autre moitié des hommes ont dû révéler la répartition des revenus dans leur couple juste avant de se prononcer sur la présidentielle : ceux-là ont choisi Trump par une marge de 8 points !
La seule évocation de leur statut de pourvoyeur, la simple suggestion que leur rôle de chef de famille puisse être remis en question ont suffi pour que les hommes se tournent vers le candidat qui promettait de préserver l’ordre machiste. Un misogyne en chef à la Maison-Blanche, comme un ultime rempart dans un monde où le pouvoir des hommes s’effrite.
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