Privé du tirage de l’Euro, Michel Platini a rendez-vous vendredi avec la commission d’éthique. Pas sûr qu’il fasse le déplacement. Ses avocats ont transmis un rapport en défense de 120 pages.
Vendredi, il était à Paris, dans l’espoir de pouvoir faire partie de la fête au Palais des Congrès. Mais samedi soir, c’est chez lui, en Suisse, devant sa télé et avec sa femme, Christèle, que le meilleur buteur de l’histoire du championnat d’Europe (9 buts en 5 matches en 1984) a regardé le tirage au sort de l’Euro 2016 qu’il aurait dû présider. Triste. Difficile, pour l’attaquant qu’il a été, de jouer en défense. Dos au mur sur la ligne et dans des prolongations décidément infernales.
“L’homme que vous venez de décrire, ce n’est pas moi”
Michel Platini sera fixé sur son sort d’ici au 5 janvier. Le match est-il déjà plié, comme l’a assuré vendredi à L’Équipe Andreas Bantel, le porte-parole de la commission d’éthique, dans une interview surréaliste à huit jours de l’audience du Français? “Platini sera certainement suspendu plusieurs années”, a déclaré Bantel, persuadé de sa culpabilité. Vendredi soir, son interview a ensuite disparu du site de L’Équipe, à la demande de la Fifa, avant de revenir en ligne, en partie atténuée.
“On croyait avoir tout vu en matière de violation des droits de la défense, mais la commission d'”éthique” de la Fifa réussit l’exploit de faire toujours pire. La sanction avant l’audience, on ne trouve cela que dans les procès politiques…”, fulmine Thomas Clay, professeur de droit et conseiller de la défense de Platini. Du coup, il n’est pas sûr du tout que son client aille en personne, vendredi, répondre aux questions de la commission d’éthique à Zürich. “Il est écœuré, il a l’impression qu’une grande manip est à l’œuvre”, glisse un de ses proches. “Écœuré”, et aussi “déçu” que le Tribunal arbitral du sport (TAS) ait refusé vendredi de lever sa suspension…
Mardi pourtant, devant les trois juges du TAS, le triple Ballon d’or avait plaidé en personne : dix minutes en fin de séance, une improvisation “bouleversante”, aux dires d’un participant. “L’homme que vous venez de décrire, ce n’est pas moi”, a dit Platini en fixant dans les yeux les deux avocats de la Fifa. Mais cela n’a pas suffi à emporter la décision. Chou blanc complet pour l’ancien meneur de jeu? Pas tout à fait. Dans son délibéré, le TAS donne à la Fifa un ultimatum au 5 janvier pour se prononcer sur le fond. “La pression est sur la Fifa”, veut croire Thomas Clay. “On reste très confiants pour la suite”, insiste Thibaud d’Alès, son avocat.
Une facture paraphée par Blatter
La suite va venir vite, avec l’audition devant la commission d’éthique vendredi. L’enquêtrice de la commission, Vanessa Allard, viendra vraisemblablement défendre son rapport assassin. Au terme d’un dossier de plus de 1.400 pages, elle estime “probable” que Michel Platini ait perçu 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros) en 2011 dans le but de ne pas se présenter, cette année-là, à la présidence de la Fifa face à Sepp Blatter. L’avocate de Trinité-et-Tobago réclame des poursuites pour “corruption, déloyauté et conflit d’intérêts” et un bannissement à vie.
Dans un mémoire en défense de 120 pages et de 150 pièces en annexe, adressé cette semaine à la commission d’éthique, le camp Platini entend démonter cette thèse. Ces 2 millions correspondent selon lui à un reliquat de salaires non perçus entre 1998 et 2002. Platini soutient qu’un “accord oral” existait en 1998 entre Blatter et lui en vue d’un salaire annuel de 1 million. Entre 1998 et 2002, il aurait perçu 300.000 FS de la Fifa, puis, en 2010, aurait demandé le “solde”. Dans leur mémoire, les avocats de Platini produisent une facture, datée du 17 janvier 2011 et adressée à Markus Kattner, alors directeur financier et actuel secrétaire général de la Fifa par intérim. La facture de 2 millions, “pour solde de tout compte”, mentionne les quatre années et les arriérés de salaires, arrondis à 500.000 FS par an. Le document, que le JDD a pu consulter, est paraphé par Sepp Blatter. “Un habillage”, estime Vanessa Allard. Pour sa démonstration, l’enquêtrice de la Fifa assure que personne à la Fifa n’avait eu vent d’un “accord oral” entre Platini et Blatter en 1998.
La note de “Big A”
La pièce révélée dans nos colonnes dimanche dernier démontre pourtant le contraire. Selon ce document, dès 1998, l’UEFA savait que le Français négociait avec Blatter. “Il y a des discussions à propos d’un salaire de 1 million de francs suisses annuels”, lit-on dans la note d’une page donnée en annexe de l’ordre du jour aux membres du comité exécutif de l’UEFA en novembre 1998. Trois d’entre eux étaient alors aussi membres de la Fifa. Selon nos informations, cette note aurait été rédigée à l’époque par l’Allemand Gerhard Aigner, alors secrétaire général de l’UEFA. Interrogé lundi, Aigner a pourtant mis en doute l’existence de la note! Mais sur le document dont le JDD possède un script, il y a bel et bien un “A” en majuscule collé à la date. “Seul Aigner signait ainsi, confie une source bien informée au JDD. D’ailleurs, en interne à l’UEFA, il était surnommé “Big A” pour cette raison…” Le procureur de Genève, dans le cadre de l’enquête pénale visant Blatter, s’est fait communiquer le document cette semaine.
Vendredi, cette fameuse note et “d’autres nouveaux éléments”, confie la défense Platini, dont deux consultations juridiques de professeurs de droit suisse, seront discutés devant la commission d’éthique. Celle-ci, qui aura entendu Blatter mercredi, doit rendre son jugement le 21 décembre. En cas de condamnation, l’instance d’appel de la Fifa, la chambre des recours, prendra le dossier. Elle a jusqu’au 5 janvier pour se prononcer.
“Une course de côte contre la montre”
Si Platini devait être condamné de nouveau, il saisirait alors le TAS, qui lui-même trancherait en une semaine. “Le calendrier est serré, c’est une course de côte contre la montre, mais c’est jouable”, explique un juriste suisse. En théorie, Michel Platini peut être condamné par la commission d’éthique, puis par la chambre des recours, puis finalement blanchi par le TAS… et déposer officiellement sa candidature à la présidence de la Fifa avant la clôture du 26 janvier (un mois avant l’élection). Un ultime obstacle se dresserait alors devant lui, le comité électoral de la Fifa. Pour enregistrer sa candidature, ce comité devra procéder à un integrity check… sur la base d’un avis demandé à la commission d’éthique! Retour à la case départ du rapport Allard! C’est dire si la fenêtre de tir pour que le Français puisse concourir à la succession de Blatter semble étroite. Comme une lucarne à atteindre lors d’un coup franc aux trente mètres.
avec lejdd