De la santé au tourisme en passant par l’éducation, le plan Sénégal émergent engagé par Macky Sall couvre des domaines très divers et voit loin. Où en est-on ?
Couverture maladie universelle, réforme des secteurs de l’énergie et de l’université, restructuration de Sénégal Airlines pour accompagner l’achèvement de l’aéroport international Blaise-Diagne… Macky Sall réforme tous azimuts. De la réalisation de ces chantiers dépendra, pour une grande part, sa réélection à la tête du pays. Il doit en effet faire au moins aussi bien que son prédécesseur, Abdoulaye Wade, resté aujourd’hui encore dans l’imaginaire de ses compatriotes comme « l’homme des chantiers ». C’est d’ailleurs le critère de comparaison retenu lorsque les Sénégalais veulent dresser un parallèle entre les deux personnalités. D’un point de vue plus économique, ces huit chantiers articulés dans le plan Sénégal émergent (PSE) devraient, en cas de réussite, contribuer à transformer la structure de l’économie du pays, tout en produisant une croissance plus forte, durable et inclusive.
1. Rendre la santé accessible à tous
LA mesure sociale du PSE. Macky Sall ne peut donc en faire l’économie. Dotée d’un budget de 17 milliards de F CFA (25,9 millions d’euros) en 2015, la couverture maladie universelle (CMU) a pour ambition de procurer, d’ici à 2017, une protection sociale à 75 % de la population, contre trois fois moins aujourd’hui. À un an de l’échéance, ce taux n’a pourtant progressé que de 12 points, à 32 %. L’agence chargée de la CMU, qui recevra un budget de 50 milliards de F CFA en 2016, devra donc mettre les bouchées doubles pour espérer atteindre l’objectif assigné.
Consultation au centre PMI de la médina © Sylvain Cherkaoui/J.A.
Son plan stratégique s’appuie sur un certain nombre de leviers, comme le programme de réforme des institutions de prévoyance maladie, le renforcement des politiques de gratuité existantes, la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et, surtout, le développement de la CMU de base, via les mutuelles de santé. À court terme, il s’agira de doter toutes les communes du pays d’une mutuelle de santé fonctionnelle.
2. Réhabiliter l’université
Venu annoncer aux étudiants de l’université Cheikh-Anta-Diop (Ucad), le 31 juillet, son ambition « que la mère des universités francophones rejoigne, à l’horizon 2025, le top 100 des meilleures universités mondiales », Macky Sall a dû rebrousser chemin sous les jets de pierres. La crise de l’université sénégalaise, paupérisée par les politiques d’ajustement structurel menées durant les années 1990, est ancienne. Étudiants en sureffectif, vétusté des infrastructures, retards dans le paiement des bourses, augmentation des droits d’inscription, inadaptation des filières universitaires au marché de l’emploi, grèves et années « blanches »… sont autant de maux qui conduisent les familles qui en ont les moyens à orienter leur progéniture vers les instituts privés.
À l’heure des résultats, dans le hall de la faculté des sciences politiques et juridiques de l’Ucad © Sylvain Cherkaoui/J.A.
En mars, un accord entre le Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes) et le gouvernement avait notamment prévu le rééquilibrage du budget des universités, l’acquittement de leurs dettes et le respect du paiement des salaires de leurs personnels. Mais, neuf mois plus tard, le Saes considère toujours que « le gouvernement n’a pas tenu ses promesses ».
3. Atteindre l’autosuffisance en riz
Le Sénégal peut bien figurer parmi les premiers importateurs de riz brisé du continent, avec près de 900 000 tonnes chaque année, l’offre ne répond pas à la demande. La consommation nationale annuelle dépasse le million de tonnes, que l’apport de la production locale comble à peine avec 130 000 tonnes récoltées annuellement. Pour donner un peu de marge à son pays et éloigner le spectre d’une crise alimentaire, Macky Sall a, dès son arrivée aux affaires, lancé le Programme national d’autosuffisance en riz (Pnar). Ce plan prévoit la mise en place d’une politique soutenue d’aménagement des périmètres rizicoles, d’appuis aux riziculteurs en intrants (fertilisants, semences, etc.) et en matériel agricole, d’effacement de dettes…
L’année 2015 a connu une campagne record avec 917 371 tonnes de riz paddy, soit une hausse de 64 % par rapport à 2014
Des avancées notables ont déjà été enregistrées en matière de production : l’année 2015 a connu une campagne record avec 917 371 tonnes de riz paddy, soit une hausse de 64 % par rapport à 2014. Si certains spécialistes doutent du caractère réaliste de l’objectif, les acteurs de la filière sont plus optimistes. Sous certaines conditions, à commencer par une meilleure protection tarifaire, pour limiter les importations, et l’amélioration des circuits de stockage, de distribution et de commercialisation.
4. Résoudre la crise de l’énergie
C’est l’un des autres grands axes porteurs de la stratégie du gouvernement pour assurer le développement du pays. Sous-capacité structurelle de la production, sous-investissement dans la Société nationale d’électricité (Senelec), le tout sur fond de demande exponentielle d’énergie, expliquent en large partie les difficultés que rencontrent les consommateurs et le secteur privé à se fournir en électricité. Selon la Banque mondiale, entre 2006 et 2011, au plus fort des difficultés de l’opérateur public, les délestages faisaient perdre jusqu’à 2 points de croissance annuelle au Sénégal.
Même s’il reste beaucoup à faire, le secteur sort progressivement du noir grâce à un ambitieux programme d’investissements de plusieurs centaines de milliards de F CFA, sous forme de partenariat avec le secteur privé. Les centrales à charbon de Kayar (350 MW) et de Sendou (125 MW), ainsi que celle – bithermique – de Tobène (fioul lourd et gaz, 70 MW) en sont les exemples les plus représentatifs.
5. Achever l’aéroport Blaise-Diagne
Régulièrement repoussée depuis 2012, l’entrée en service de l’aéroport international Blaise-Diagne, situé à 40 km de Dakar, est désormais annoncée pour le second semestre de 2016. « L’État veut nous faire croire qu’il a la situation en main », ironise un expert du secteur aérien, faisant allusion aux deux contentieux venus compliquer la donne depuis le mois d’août. L’opérateur allemand Fraport, dont la filiale sénégalaise détient 51 % des droits d’exploitation commerciale et de gestion du futur aéroport, a fait connaître son intention de jeter l’éponge.
L’AIBD, situé à 40 km de la capitale, entrera en service en juillet 2016 © Sylvain Cherkaoui/J.A.
Un choix qui serait dû à la décision de Macky Sall de réduire les redevances aéroportuaires « sûreté » et « passager », laissant craindre à l’opérateur une rentabilité moindre. Un deuxième bras de fer opposait le Sénégal au Saudi Binladin Group, chargé des travaux, pour un avenant controversé. Le groupe saoudien réclamait 63 milliards de F CFA à l’État, lequel a menacé de porter le litige devant le tribunal arbitral de Paris. Mais un compromis aurait été trouvé en novembre pour permettre – enfin – l’achèvement des travaux en juillet 2016.
6. Désengorger Dakar
Pour permettre à la capitale de respirer, 700 milliards de F CFA ont été investis. À elle seule, la presqu’île du Cap-Vert concentre en effet 3,2 millions d’habitants et plus de 50 % des unités industrielles du pays. Composante essentielle du plan Sénégal émergent (PSE), le nouveau pôle urbain de Diamniadio, construit à une trentaine de kilomètres de Dakar, s’étendra sur une superficie de plus de 1 500 ha. La panoplie d’équipements publics à venir est impressionnante : centre administratif et cité des affaires, université, hôpitaux, zone industrielle, infrastructures culturelles…
La ville nouvelle de Diamniadio, en pleine construction © Sylvain Cherkaoui/J.A.
Dix-sept mille habitations, sur les 40 000 prévues et financées par partenariat public-privé, doivent être livrées au cours des trois prochaines années. Située à dix minutes de l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), cette excroissance de la capitale sera reliée par l’autoroute à péage et par le futur train express régional (TER), dont l’adjudicataire des travaux devrait être connu sous peu.
7. Relancer Sénégal Airlines
C’est l’un des fardeaux du mandat de Macky Sall. Créée un peu rapidement par son prédécesseur sur les cendres d’Air Sénégal International, la compagnie aérienne (détenue à 36 % par l’État) n’est jamais parvenue à prendre son envol. Avec un chiffre d’affaires en chute libre (152 000 euros) et une dette abyssale (91,5 millions d’euros), elle est aujourd’hui quasi moribonde. « Nous n’exploitons plus qu’un seul avion de 25 places, en leasing, qui dessert à la fois Ziguinchor, Bissau et Praia », déplore un responsable du collège des délégués.
Depuis près d’un an, les employés courent derrière leurs arriérés de salaires et une partie des effectifs a dû être placée en chômage technique prolongé. « Les autorités tergiversent, constate la même source. Nous attendons que l’État prenne une décision, quelle qu’elle soit. » Maintes fois envisagée, la perspective d’un partenariat stratégique entre le transporteur sénégalais et une compagnie susceptible de l’aider à se relancer apparaît plus éloignée que jamais.
8. Attirer les touristes
Le président de la République aspire à en faire l’un des piliers du plan Sénégal émergent (PSE). Mais l’objectif ambitieux de 2 millions de touristes en 2018 semble, pour l’heure, hors d’atteinte. Sérieusement affecté par l’effet Ebola pendant la saison 2014-2015, ce secteur, ô combien stratégique car principal pourvoyeur de devises du pays, a subi une baisse de fréquentation de 30 % à 40 % venue accentuer un lent déclin entamé au cours des années 2000.
Touristes et pélicans au Parc national des oiseaux, au nord de Saint-Louis © Sylvain Cherkaoui/J.A.
S’il a bénéficié récemment de la suppression du visa d’entrée et de la réduction de certaines taxes aéroportuaires, le tourisme sénégalais souffre, de l’avis des professionnels, de deux handicaps majeurs : un manque de compétitivité face aux destinations concurrentes et, surtout, l’absence d’une politique de promotion digne de ce nom. En novembre, la ministre du Tourisme et des Transports aériens, Maïmouna Ndoye Seck, déplorait la faiblesse des moyens alloués à son ministère – qui a vu se succéder quatre ministres en trois ans.
avec conakrytime