Des universités aux studios d’enregistrement, en passant par les salles de rédaction, les affaires de plagiat ne désemplissent pas.
A l’Iric, c’est un enseignant de renom qui est accusé à son tour, à la surprise générale.
La presse s’en délecte à cœur joie depuis la découverte du pot aux roses. Depuis la fin du mois d’octobre 2015 en effet, le Professeur Pascal Charlemagne Messanga Nyamding, maître de conférences et chef de département Intégration et coopération pour le développement à l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), est sous les feux des projecteurs. Accusé dans un premier temps d’avoir plagié un article scientifique de l’un de ses collègues, le Pr Paul N’gouah Beaud, on leur reproche désormais à tous les deux, d’avoir délibérément copié l’universitaire allemand, Jörg Gerkrath. « On est là dans une situation de plagiat par étage. M. N’gouah Beaud a plagié la thèse soutenue en 1996, son collègue a plagié M. N’gouah Beaud. Mais en réalité le texte est exactement le même et les deux se trouvent
dans une situation de plagiat dans le cas d’espèce », explique le Pr Claude Abé, socio-politiste.
Une histoire de plagiat pouvant en cacher une autre, c’est toujours dans les milieux universitaires qu’on retrouve un autre cas important. En 2008, l’historien Léonard Sah de l’Université de Yaoundé I est sous la sellette. Après la publication d’un livre en Allemagne, l’universitaire est tout de suite pris à la charge par l’un de ses anciens étudiants qui l’accuse d’avoir copié sans son consentement, les travaux de son mémoire intitulé « Femmes Bamilékés au maquis-Cameroun (1955-1971) ». Après moult hésitations, l’enseignant reconnaitra son forfait et acceptera de céder 20% des droits du livre à l’étudiant qui le poursuivait. Dans les milieux universitaires pourtant, des voies ne cessent de s’élever pour dénoncer des actes « impardonnables, surtout venant des personnes censées formés les acteurs de la société ».
Calixthe Beyala
D’autres cas peuvent être multipliés à l’infini dans le domaine de la littérature. Et ici, c’est la romancière française d’origine camerounaise Calixthe Beyala qui détient la palme d’or. Considérée par certains comme « multirécidiviste », elle a été accusée de plagiat dans plusieurs de ses romans. Le Petit Prince de Belle ville en 1996, puis les honneurs perdus la même année. Elle sera même condamnée pour contrefaçon dans le cadre du premier roman par le Tribunal de Grande instance de Paris, en France. Plus proche de nous, c’est chez le défunt Charles Ateba qu’on retrouve cette dans tendance. L’un de ses ouvrages « Affaire Dikoum : Entretiens avec les accusés » était considéré par le regretté Séverin Cécile Abega comme la copie du livre « Le Dernier jour d’un condamné » de Victor Hugo.
Dans le domaine artistique, le tableau n’est guère reluisant. Les cas de Mathematik de « Petit pays » dans « tromper, tromper », celui de Papillon dans « A moto » ou Mani Bella dans « Pala pala », démontrent à suffisance que les pratiques de plagiat sont bien ancrés dans le secteur. Pour les spécialistes, le mal est profond. « C’est une crise de l’inventivité au niveau d’un certain nombre d’individus qui veulent apparaître sous une image qui n’est pas la leur », conclue le Pr Claude Abé.
Pr Claude Abé, socio-politiste: Le plagiat est le reflet de la crise de créativité
Qu’est-ce que le plagiat ? Et à quel moment doit-on parler de plagiat ?
Le plagiat est une démarche frauduleuse. Il s’agit d’une posture dans laquelle un auteur, quand il s’agit d’écrire un article scientifique par exemple, copie une partie ou la totalité d’un texte qui ne lui appartient pas, sans en indiquer les sources et en s’appropriant les idées, leur développement et l’ensemble des réflexions qui y sont faites comme si elles avaient été les siennes alors que cela a été développé par quelqu’un d’autre qui peut en revendiquer la paternité. Il s’agit d’un délit qui est punissable et connu dans le domaine du droit de la propriété intellectuelle.
Depuis des décennies le Cameroun connaît un nombre sans cesse croissant de cas de plagiat, tant au niveau artistique, scientifique, qu’au niveau littéraire. Le plus récent en date étant celui du Pr Messanga Nyamding. Comment expliquez-vous une telle récurrence?
Premièrement, je dirai que c’est une crise de l’inventivité au niveau d’un certain nombre d’individus qui veulent apparaître sous une image qui n’est pas la leur. C’est-à-dire, vous voulez en réalité être l’auteur le plus prolixe que ce soit dans le champ artistique, comme dans le champ de l’écriture, alors qu’au fond, vous ne l’êtes pas. Deuxième chose qui peut expliquer cet état de chose dans le contexte qui est le nôtre, c’est le culte de la facilité. Beaucoup d’individus ne veulent plus se donner la peine pour accéder à un certain nombre de statuts. Et, ils entrainent dans les voies de la facilité qui consistent à prendre les idées des autres pour s’en approprier frauduleusement. La troisième chose à mettre en lumière ici, c’est qu’on est dans une société où le respect des règles d’éthique a foutu le camp. Dans le cas des deux enseignants de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), on est là en présence d’individus pour qui l’éthique n’a aucun sens.
Est-ce qu’on doit conclure que le plagiat est une fatalité pour les concepteurs des œuvres de l’esprit ?
Vous savez, en réalité il n’y a point de fatalité là-dedans. Ça montre tout simplement qu’on est rentré dans une société où les gens ne se donnent plus la peine. Beaucoup de gens sont entrés dans le paradigme du passager clandestin. En fait, c’est quelqu’un qui veut avoir un avantage sans payer le prix. La conséquence de cette affaire est que, aujourd’hui, ceux qui travaillent normalement sont en insécurité. Cela nous indique aussi qu’il faut craindre finalement tout le monde, dans la mesure où, même les individus en qui on pourrait dire qu’on a une certaine confiance parce qu’ils auraient eu une certaine notoriété dans l’espace public ou dans l’espace politico-administratif, n’hésitent plus à nous reprendre un certain nombre de choses ; trahissant une personnalité qu’ils avaient pendant longtemps voilée et qui revient au-devant de la scène ; parce qu’un plagiaire ça ne s’improvise pas.
avec camernews