C’est déjà dit et ressassé que l’Afrique a encore du potentiel de croissance en misant sur l’instauration d’une zone de libre-échange continentale (Zlecaf). Dans l’édition 2019 de ses annuelles Perspectives économiques en Afrique (PEA), lancées ce jeudi 17 janvier depuis son siège d’Abidjan, la Banque africaine de développement (BAD) a publié de nouvelles estimations sur les gains substantiels pour tous les pays africains de la concrétisation de ce vaste chantier actuellement ouvert au niveau de l’Union africaine (UA).
Selon la banque panafricaine, dans un premier scénario dans lequel les droits de douane bilatéraux appliqués d’aujourd’hui seraient éliminés générerait, c’est un gain estimé de 2,8 milliards de dollars en revenus réels qu’engendrera l’accord sur la Zlecaf, qui permettra également d’augmenter le commerce intra-africain de 15%. En outre, poursuit le rapport, l’élimination des obstacles non tarifaires pourrait augmenter les gains de revenu réel total de 37 milliards de dollars, et le commerce intra-africain de 107,2%.
Au cas où les pays africains décident d’aller plus loin et d’appliquer l’accord de facilitation des échanges de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), c’est un gain total d’environ 100 milliards de dollars qui pourrait être généré, et parallèlement, le commerce intra-africain serait stimulé à hauteur de 132,7%.
Pour la BAD, il s’agit d’une véritable alternative pour l’intégration et le défi du Continent, car malgré une dynamique assez soutenue ces dernières années et des perspectives favorables, les défis en matière de croissance inclusive et de manière générale de développement, persistent encore. «L’Afrique reste confrontée à un énorme défi en matière d’emploi et, malgré le potentiel de l’industrie pour créer des emplois de qualité, l’Afrique s’est désindustrialisée prématurément», met en exergue le rapport, dans lequel les auteurs insistent sur le fait qu’il est urgent de créer des emplois dans les secteurs à haute productivité en développant un secteur manufacturier fort.
Toutefois, cet objectif ne serait pas atteint si des contraintes telles que la mauvaise gouvernance, une qualité institutionnelle médiocre et des infrastructures inadéquates continuaient de limiter la survie et le dynamisme des entreprises, avec une perte de 1,3 à 3 millions d’emplois, soit environ 2% des nouveaux entrants sur le marché du travail chaque année. «La relance de l’industrialisation de l’Afrique, notamment par le biais de politiques industrielles régionales, sera nécessaire pour tirer parti des effets des externalités et des agglomérations », poursuit le rapport.
L’intégration, gage de la prospérité économique
Comme pour les précédentes éditions, les PEA analysent les développements et les perspectives macroéconomiques du continent. Les estimations de la BAD font ressortir que la croissance du PIB de l’Afrique est estimée à 3,5% en 2018, et les prévisions pour 2019 et 2020 sont respectivement de 4 et 4,1%, grâce notamment à des facteurs tels que la légère reprise des prix des produits de base et l’amélioration de la stabilité macroéconomique. Cependant, tempère le document, «cette croissance n’est pas suffisante pour relever les défis de la transformation structurelle, ainsi que de résorber les déficits budgétaires et courants persistants ou une dette devenue parfois insoutenable».
De ce fait, un rééquilibrage des importations africaines de la consommation aux biens intermédiaires et aux biens d’équipement est essentiel pour aider les pays à tirer profit des économies d’échelle et d’envergure, exploiter les transferts de connaissances et promouvoir la transformation structurelle. Pour la BAD, « des réformes profondes de la gestion des finances publiques sont également nécessaires pour améliorer la mobilisation des recettes et atténuer les vulnérabilités de la dette ».
«Malgré la persistance des défis colossaux dont fait état le rapport, l’Afrique a les moyens d’en venir à bout en unissant ses efforts et en supprimant les obstacles à l’intégration et les facteurs de migration », a estimé Charles Boamah, vice-président principal de la BAD lors de la cérémonie de lancement du rapport.
Le rapport comporte également de nouvelles analyses destinées à promouvoir la coopération commerciale et économique, mais aussi la fourniture de biens publics régionaux. Les nouvelles recherches sur lesquelles se fonde cette édition des perspectives de la BAD montrent que cinq mesures de politique commerciale pourraient porter les gains totaux de l’Afrique à 4,5 % de son PIB, soit 134 milliards de dollars par an. Au rang des cinq mesures phares préconisées, l’élimination de tous les tarifs bilatéraux appliqués aujourd’hui en Afrique, la simplification des règles d’origine qui doivent aussi être souples et transparentes, ainsi que l’élimination de tous les obstacles non tarifaires au commerce des biens et des services sur la base de la nation la plus favorisée.
Aussi, la BAD plaide pour la mise en œuvre de l’accord de facilitation des échanges de l’OMC afin de réduire les temps de passage aux frontières et les coûts de transaction liés à des mesures non tarifaires, et aussi de négocier avec d’autres pays en développement en vue de réduire de moitié leurs barrières tarifaires et non tarifaires sur la base de la nation la plus favorisée.
Les perspectives 2019 ont également examiné les gains possibles en matière de biens publics régionaux, tels que l’harmonisation des cadres de gouvernance financière, la mise en place de pools énergétiques multinationaux, l’ouverture du ciel à la concurrence et l’ouverture des frontières à la libre circulation des personnes, des biens et des services. Autant d’aspects à prendre en compte dans les négociations en cours pour l’instauration de la Zlecaf.
Le rapport qui a été focalisé pour cette édition autour de la thématique majeure de l’intégration commerciale n’a pas dérogé à la tradition, en fournissant des prévisions à court et à moyen terme sur l’évolution des principaux indicateurs macroéconomiques pour les 54 pays membres régionaux, ainsi qu’une analyse de l’état des défis socio-économiques et des progrès réalisés dans chaque pays.
L’Afrique de l’Est, championne de la croissance
Dans les PEA 2019, l’Afrique de l’Est est en tête avec une croissance du PIB estimée à 5,7 % en 2018, suivie de l’Afrique du Nord à 4,9 %, de l’Afrique de l’Ouest à 3,3 %, de l’Afrique centrale à 2,2 %, et de l’Afrique australe à 1,2 %. Bien que la croissance africaine soit inférieure à celle de la Chine ou de l’Inde, la BAD note qu’elle devrait être supérieure à celle d’autres pays émergents et en développement, malgré qu’elle reste encore insuffisante pour réduire le chômage et la pauvreté. Sur les 4 % de croissance projetés pour l’Afrique en 2019, l’Afrique du Nord devrait par exemple représenter 1,6 point de pourcentage, soit 40 %.
Cependant, «la croissance moyenne du PIB en Afrique du Nord est irrégulière en raison de l’évolution rapide de la situation économique de la Libye». La croissance de la région de l’Afrique de l’Est, qui est la plus rapide, devrait atteindre 5,9 % en 2019 et 6,1 % en 2020. Entre 2010 et 2018, relève le rapport, la croissance a atteint en moyenne près de 6 % du fait que des pays comme Djibouti, l’Éthiopie, le Rwanda et la Tanzanie enregistrent des taux supérieurs à la moyenne. Dans plusieurs pays, notamment le Burundi et les Comores, la croissance du PIB reste toutefois faible, en raison d’incertitudes politiques.
En Afrique centrale, la croissance se rétablit progressivement, même si elle reste inférieure à la moyenne de l’Afrique dans son ensemble, bien qu’elle soit soutenue par le redressement des prix des produits de base et une meilleure production agricole.
En Afrique australe, la croissance devrait rester modérée en 2019 et 2020, après une légère reprise en 2017 et 2018. Pour les auteurs du rapport, cette croissance modeste de la région est principalement due au faible niveau de développement de l’Afrique du Sud qui affecte les pays voisins.
Avec ecodafrik