La Conférence de la Renaissance du Niger s’est tenue les 13 et 14 décembre et a réuni bailleurs internationaux et investisseurs privés au sein de l’Hôtel Méridien Etoile de Paris. Les 23Mds $ annoncés pour financer le Plan de Développement 2017-2021 dépassent les attentes initiales de 17Mds $. La Tribune Afrique a rencontré Kane Aichatou Boulama, Ministre du Plan et véritable cheville ouvrière de ces rencontres. Entretien.
La Tribune Afrique : Quelles sont les grandes orientations du Plan de Développement Economique et Social 2017-2021 (PDES) du Niger ?
Kane Aichatou Boulama : Le PDES repose sur la transformation structurelle de notre économie. Nous priorisons le monde rural qui représente 80% de la population et 41% du PIB. Il nous faut donc agir pour qu’il devienne un accélérateur de croissance en augmentant la production dans le secteur de l’élevage en particulier. Par ailleurs, nous ne nous contenterons plus d’attendre la saison des pluies pour cultiver et nous organisons actuellement les conditions qui permettent l’irrigation des terres tout au long de l’année. Le recours à la technique de l’arrosage goutte-à-goutte sera notamment renforcé. Parallèlement, nous allons développer les centres de commerce qui incluent une population féminine importante, participant de fait à leur autonomisation. Ensuite, « l’Aide Finance Inclusive » permettra l’accès au crédit des populations. Nous sommes actuellement à 18% de taux de bancarisation et nous souhaitons atteindre 28% à l’horizon 2021. Des actions transversales viendront soutenir cette stratégie globale. Nous cherchons à relever le capital humain en matière de santé et d’éducation, à améliorer notre gouvernance dans les domaines de la paix et de la sécurité, sans oublier la maîtrise de la transition démographique…
Vous avez évoqué un « auto-djihad » – une sorte de responsabilité citoyenne – qui serait au centre d’une renaissance culturelle : de quoi s’agit-il ?
Toute la population doit être mobilisée pour accompagner un changement favorisant le progrès pour créer les conditions d’une renaissance culturelle, qui est au centre de notre action. Nous considérons, tout comme les Asiatiques que le développement doit être avant tout mental, avant d’être économique et financier.
Quelle place occupera le secteur privé dans le PDES 2017-2012 ?
Il est essentiel dans notre stratégie de développement. C’est la raison pour laquelle il nous faut révéler les opportunités du Niger aux investisseurs pour qu’elles deviennent accessibles. Le climat des affaires doit être renforcé. Nous poursuivons nos efforts en ce sens et nous enregistrons des résultats encourageants car en 5 ans, nous avons gagné 32 places au classement du Doing Business de la Banque mondiale et nous sommes parmi les pays les mieux placés en termes de réformes engagées.
Quel cadre juridique et réglementaire permettra de sécuriser les investissements ?
Nous sommes en train de l’améliorer progressivement. Il existe un dispositif qui regroupe le Haut Conseil à l’Investissement, nous avons créé un guichet unique appelé « La Maison de l’Entreprise » et des tribunaux de Commerce. Par ailleurs, nous sommes aussi membres de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Nous disposons d’un cadre juridique et réglementaire qui s’appuie sur les codes de l’investissement, de l’électricité, des secteurs pétrolier et minier, qui ont été révisés.
Comment s’assurer que le Niger soit en mesure d’obtenir le décaissement intégral des fonds ?
Nous tenons à maximiser notre capacité d’absorption car nous sommes venus à Paris pour financer notre PDES dont le coût s’élève à 27 milliards de dollars dont 10 milliards de dollars seront pris en charge par le Gouvernement du Niger. Nous cherchions 7milliards de dollars auprès des bailleurs et nous avons obtenus plus de 12 milliards de dollars. Les résultats de ces rencontres vont au-delà de nos attentes et nous devons nous organiser pour transformer l’essai. C’est une étape importante mais l’après table-ronde est essentiel. Chaque annonce sera étudiée, au cas par cas par le Haut Conseil à l’Investissement (…) En signant des conventions, nous prenons un engagement qui, selon notre Constitution, doivent être ratifiées par notre Assemblée. Parmi nos écueils, nous avons observé des procédures particulièrement longues entre la signature et l’entrée en vigueur. Ces délais ne doivent désormais plus être supérieurs à 3 mois.
Quelles seront les actions entreprises après ces rencontres à Paris ?
Il existe une volonté réelle au plus haut niveau des autorités du Niger pour s’assurer que la mise en œuvre du PDES sera effective. Le secteur privé représente un vrai challenge et le pilotage stratégique du PDES au niveau du secteur privé est géré par le Chef de l’Etat qui conduit les réunions et impulse l’action personnellement. Il existe déjà un cadre consacré aux coopérations bilatérales et nous définissions actuellement celui qui concerne les accords multilatéraux. Beaucoup de Memorandum of Understanding (MoU) ont été signés à Paris et nous nous assurerons de leur concrétisation. Nous allons d’ailleurs prochainement organiser un Forum des Investisseurs à Niamey.
Qui a été en charge de l’élaboration et de la rédaction du PDES ?
Il s’agit d’un projet nigéro-nigérien, à l’exception d’un consultant burkinabè. Les axes stratégies sont issus du Programme de Renaissance Act II qui a permis la réélection du Président du Niger, porteur du PDES. Lequel est aussi le résultat de nos engagements internationaux comme l’Accord de Paris, l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, la Vision 2020 de la CEDEAO, le Programme 2030 des Nations Unies et surtout de notre propre Stratégie de Développement Durable et de Croissance Inclusive (SDDCI) 2035.
Le Plan de Développement est économique mais aussi social : comment éviter la contradiction entre la croissance économique et le développement social ? L’exploitation du charbon n’est-il pas en incompatible avec l’Accord de Paris ?
Absolument pas. Les risques associés au développement que nous recherchons existent mais ils ne sont pas laissés en suspens. La sauvegarde environnementale et sociale est intégrée dans tous nos projets. Nous allons faire du « charbon propre » à l’image de ce que les Japonais ont réalisé, grâce à l’Initiative Energétique Japon-Afrique conduite par le Premier Ministre Shinzo Abé, qui a mis à la disposition de la Banque Africaine de Développement, des financements pour promouvoir l’énergie. Le Président de la BAD a visité notre usine pour s’assurer que nous respectons les critères environnementaux requis. Nous comptons honorer nos engagements et l’exploitation du charbon – pour une capacité de 600MW – respectera les Objectifs de préservation de l’environnement. Loin d’être un pays pollueur, nous subissons plutôt les effets de la pollution des autres…
En France, 1 ampoule sur 3 est alimentée par l’uranium du Niger alors que le pays est énergétiquement dépendant du Nigéria voisin. Un peu plus de 11% du territoire est électrifié et 0 ,7% en zone rurale : quelle est votre stratégie concernant l’électrification ?
Nous voulons multiplier par 10 l’électrification au Niger à l’horizon 2021 car l’électricité permettra d’atteindre nos objectifs de croissance. Nous avons réalisé un cadrage macroéconomique consacré à la question, prenant en compte le coût de l’énergie afin qu’il soit accessible aux populations. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le programme « Numérique au village » qui consiste à améliorer l’éducation, la santé tout en reliant les villages au reste du monde…
De quelle façon le risque sécuritaire a-t-il été intégré dans la rédaction du PDES ?
Les questions de sécurité et les coûts associés sont intégrés dans le PDES. Le coût du renforcement de la sécurité intérieure et frontalière est estimé à 534Mds FCFA dans notre plan de développement. Toutefois, il est en réalité supérieur aux estimations car nous avons travaillé sous la contrainte d’un cadrage macroéconomique alors que les besoins sont sensiblement différents. La mobilisation des fonds nécessaires se poursuit (…) Je tiens à préciser que nous faisons face à plusieurs types de menaces : climatique, économique et sécuritaire. Les gens oublient souvent que le Nigéria qui est notre premier partenaire commercial a été touché par des chocs successifs et que cette situation impacte nécessairement le Niger…
Aujourd’hui, le tourisme au Niger peut-il redevenir un facteur de développement ?
Nous développons l’écotourisme et nous disposons de plusieurs initiatives comme le Festival International de la Mode Africaine (FIMA) pour soutenir le secteur. Le territoire est sécurisé et les touristes étrangers seront bien accueillis pourvu qu’ils ne cherchent pas un Club Méditerranée ! Nous disposons du plus beau désert au monde avec le Ténéré. Malheureusement, les problèmes liés au terrorisme ont freiné le développement du tourisme. Nous nous concentrons sur les potentialités du fleuve Niger mais aussi sur les activités de proximité dans les villages. Grâce à un financement de l’Union Européenne, nous sommes parvenus à sauver les dernières girafes de l’Afrique de l’Ouest (…) Nous n’avons pas oublié le Paris-Dakar qui était « notre » produit touristique et qui a permis de faire découvrir le Niger au reste du monde grâce à Thierry Sabine. Si le Niger n’est plus visible sur les cartes touristiques, c’est en partie à cause de la perte du rallye, mais son retour n’est pas un rêve impossible car le Paris-Dakar ne doit plus être le « Paris-Rio » ! (Rires)
Avec latribuneafrique