L’arrivée de dossiers liés à l’agriculture en Afrique dans les cabinets d’avocat internationaux est un phénomène relativement nouveau. Et les problèmes ne sont pas nécessairement là où on croit. Analyse de Antonin Lamberty-Garric, responsable du département Droit public/Affaires publiques, co-responsable du groupe Afrique francophone et co-auteur de l’étude d’ AIM Africa, Agribusiness investment and opportunity in Sub-Saharan Africa paru en décembre 2015.
L’agriculture est devenue à la mode en Afrique et parmi les bailleurs de fonds. Est-ce déjà un sujet pour vous, cabinet d’avocat international ?
Chez Linklaters, nous avons aujourd’hui des dossiers qui portent sur l’agriculture mais c’est quelque chose de relativement nouveau. Les premiers dossiers sont apparus entre 2008 et 2012 et ce sont des dossiers de montages d’investissements et non de contentieux.
Cette demande de la part d’investisseurs pour monter des dossiers nous a surpris. A titre personnel, j’étais à la Banque mondiale il ya une quinzaine d’années et l’agriculture en Afrique n’était pas un sujet.
Nous avons été surpris car, traditionnellement, pour un cabinet d’avocat au barreau de Paris, les dossiers africains ont porté sur le secteur minier, sur les télécommunications, ensuite sur l’énergie, les infrastructures, la finance, les banques. Nos dossiers se sont diversifiés et c’est assez nouveau.
L’agriculture, c’est encore plus nouveau. En parlant avec d’autres associés dans d’autres pays d’implantation de Linklaters, on a constaté la même augmentation récente des dossiers dans le secteur agricole et nous avons décidé d’en témoigner. D’où la publication l’année dernière du rapport Agribusiness investment and opportunity in Sub-Sahara Africa que j’ai co-signé. Lorsque l’on fait des rapports, cela a valeur de témoignages de ce que l’on voit.
Est-ce pourquoi dans ce rapport vous mettez davantage le focus sur l’investissement direct étranger (IDE) que l’investissement africain en Afrique?
Oui, dans notre cabinet, force est de constater que nous croisons surtout les investisseurs internationaux. Un groupe puissant comme le nigérian Dangote par exemple, ne fait pas appel à des cabinets comme le nôtre lorsqu’il intervient dans d’autres pays africains.
Pourquoi?
Ils font appel à des cabinets comme le nôtre s’il y a un grand contentieux contre l’Etat mais pas lorsqu’il s’installe dans un autre pays africain. Car un groupe comme Dangote ou d’autres a une familiarité suffisante avec les Etats dans lesquels il s’implante pour contacter directement des avocats africains. Ou ils passent par des notaires car, bien souvent, l’investissement nécessite d’acheter des terres. Mais en tous les cas, il fera peu appel à des cabinets comme le nôtre.
Une banque africaine va faire appel à nos services lorsqu’elle fait des investissements avec d’autres acteurs internationaux. C’est la même chose pour l’agrobusiness. Si Dangote fait une joint venture avec des Singapouriens, il se peut qu’il fasse appel à un cabinet comme le nôtre.
Estimez-vous qu’un certain flou juridique persiste autour de contrats d’investissements en Afrique, agricoles ou autres ?
Je ne dirais pas qu’il n’y a aucun flou, mais c’est de moins en moins vrai. Le “too good to be true” qui s’appliquait aux contrats en Afrique s’estompe. Si, à une époque, l’Afrique a pu être un jack pot, avec des investissements et des privatisations faits davantage dans l’intérêt des opérateurs privés que des pays, cela tend a disparaitre. D’une part, avec l’intégration régionale, avec l’Ohada, on a un droit plus transparent qui a un effet de benchmark entre les pays qui se disent : si mon voisin applique le droit des sociétés Ohada, moi je ne peux pas ne pas l’appliquer. Deuxièmement, il y a des alternances politiques. Or, lorsqu’il y a alternance, souvent, le nouvel élu rouvre les contrats et les renégocie.
Lorsque vous avez des investisseurs agricoles qui ont développé leurs activités sans avoir les autorisations nécessaires, par exemple, en matière environnementale, le nouveau gouvernement remet en cause l’activité et les autorisations. Ou lorsqu’un concurrent attaque l’Etat devant un arbitre ou une juridiction en demandant que l’opérateur cesse d’opérer car il fait de la concurrence déloyale en exploitant des terres sans respecter les normes environnementales, ceci incite les investisseurs au respect des normes.
Je constate que le droit est de plus en plus respecté en Afrique, le continent se “juridise” de plus en plus. L’Etat de droit deviendra vite la norme.
Ce qui explique que notre activité, en tant qu’avocats, augmente y compris dans des secteurs nouveaux comme l’agriculture où le droit prend, de façon croissante, sa place. Et c’est une bonne chose fondamentalement pour l’économie.
A la lueur de ces dossiers, quelle est votre analyse de l’importance du droit foncier dans le développement de l’agriculture?
Dans tous les pays, le droit foncier est un sujet grave. Mais je n’ai jamais vu partir un investisseur d’Afrique pour des questions de droit foncier. J’ai davantage vu des investisseurs gênés par le non respect par l’Etat de ses promesses que par une atteindre à l’ordre foncier.
Est-ce à dire que ce serait, quelque part, un faux problème ?
Pour moi, c’est un problème identifié, qui est traité relativement correctement et qui, selon mon expérience, n’est pas le problème principal. Le problème principal, c’est l’Etat qui s’engage à un certain nombre de choses –la réalisation d’infrastructures, l’octroi d’une exclusivité, etc.– et qui ne respecte pas sa parole.
Dans votre rapport l’année dernière, vous évoquez longuement le travail des enfants dans la filière cacao. Comment un investisseur agricole peut-il s’assurer que des enfants ne travaillent pas ?
Sur ces sujets, fort de mon expérience notamment comme fonctionnaire à la Banque mondiale, au bout du compte, je ne crois qu’au pouvoir des ONG qui sont sur le terrain, qui connaissent les traditions, les usages. Car appliquer des règles strictes partout, de façon bureaucratique, je n’y crois pas. Je ne crois pas non plus à l’indépendance des Etats et à l’acuité de leur regard sur ces sujets, ni aux organisations internationales. Seules les ONG sont le mieux à même de témoigner et de faire avancer les choses même si elles sont parfois maladroites.
Les ONG sur le terrain ou les ONG qui font pression sur les consommateurs?
Il faut les deux. Je parlais des ONG sur le terrain car elles sont dans la réalité locale. Mais l’activisme des ONG sur le terrain de la consommation et des débouchés, a un impact. C’est une menace qui pèse sur les investisseurs et si elle ne pesait pas, il y aurait beaucoup plus d’excès. Donc cela engendre chez l’investisseur une sorte d’auto-censure, de régulation. Merci aux activistes !
Quelle valeur juridique a un petit logo ou label “sans travail des enfants” sur une tablette de chocolat ?
La réponse est simple mais si simple qu’elle est fausse : cela n’a pas de valeur juridique. En réalité, le comportement de l’entreprise qui affiche des logos et chartes éthiques sera sanctionnée plus sévèrement par le juge que si elles ne les avait pas.
Peut-on certifier juridiquement le non-travail d’enfants comme, par exemple, pour le bio ?
Je ne sais pas. On pourrait imaginer un logo distribué par un organisme indépendant . Oui, c’est possible.
Si je mange du chocolat, je ne vois pas ce que je peux faire contre le vendeur de chocolat si le cacao est récolté par des enfants. Mais si l’entreprise affiche un logo “sans travail des enfants”, je peux l’attaquer pour m’avoir menti.
avec commodafrica