Trois patriarches – deux orthodoxes et un catholique – ont cosigné un communiqué condamnant fermement les frappes occidentales et réaffirment leur soutien au régime d’Assad et à ses alliés russe et iranien
En arrière-plan, l’Église orthodoxe russe est à la manœuvre pour se poser en défenseur de la présence chrétienne au Proche-Orient
C’est une condamnation sans appel, intervenue samedi 14 avril dans les heures qui ont suivi les frappes menées par la France, les États-Unis et le Royaume-Uni en Syrie. Dans une déclaration commune, publiée en français sur le site Orthodoxie.com, les deux patriarches orthodoxes d’Antioche – le patriarche grec-orthodoxe Jean X, à la tête de la plus importante Église orthodoxe en Syrie, et le patriarche syriaque-orthodoxe Ignace Ephrem II –, et le patriarche grec-melkite catholique, Joseph Absi, dénoncent « l’agression brutale qui a eu lieu ce matin contre la Syrie (…) selon les allégations de recours aux armes chimiques par le gouvernement syrien ».
Étayé en neuf points, le communiqué condamne la « violation manifeste des lois internationales et de la charte des Nations unies », l’absence de « preuves suffisantes et claires » que l’armée syrienne utilise des armes chimiques, ainsi qu’une « agression brutale (qui) détruit les chances d’une solution politique pacifique ».
Un soutien oecuménique au régime de Bachar
En conséquence, les patriarches d’Antioche demandent au conseil de sécurité de l’ONU « de jouer son rôle » afin d’éviter l’escalade. Ils appellent aussi « toutes les églises des pays qui ont participé aux frappes à remplir leurs devoirs chrétiens, selon les enseignements de l’Évangile, à condamner cette agression ». Enfin, les trois chefs d’Église saluent sans équivoque « le courage, l’héroïsme et les sacrifices de l’armée arabe syrienne qui protège la Syrie et assure la sécurité de son peuple ». « Nous saluons également la position courageuse des pays alliés de la Syrie et de son peuple », conclut le communiqué.
Proche du régime syrien qu’elle considère depuis toujours comme un rempart face à la menace islamiste, la hiérarchie orthodoxe s’est rarement montrée aussi univoque dans son soutien à Bachar Al Assad depuis le début du conflit, en 2011. « Ce n’est pas tant la réaction contre les frappes occidentales que le niveau de solidarité avec Bachar qui est impressionnant dans ce communiqué, analyse Cyrille Bret, maître de conférences à Sciences-Po, spécialiste de la Russie et du Proche-Orient. Cela signifie que la hiérarchie orthodoxe prend acte que la guerre est en grande partie gagnée sur le terrain par les troupes russo-syriennes et qu’elle envisage désormais l’avenir autour de Bachar, vu comme le seul garant de la diversité confessionnelle. »
Cosigné par un catholique, ce soutien affiché au régime alaouite prend au passage une tournure œcuménique.
Si la peur des massacres et des persécutions agit comme un puissant facteur d’unification parmi ces communautés historiquement divisées, il reste difficile de savoir si les populations chrétiennes soutiennent unanimement leurs patriarches.
« Le sentiment qui prévaut sur le terrain, c’est que les frappes occidentales n’ont pas attendu les rapports d’expert, souligne Mgr Pascal Gollnisch, directeur de l’Œuvre d’Orient. L’épisode irakien de 2003 a marqué les esprits et on peut comprendre que les chrétiens, comme leur hiérarchie, soient dubitatifs. »
L’Église orthodoxe russe à la manœuvre
Fort de l’appui de Vladimir Poutine, le patriarche Kirill de Moscou joue lui aussi sa partition de défenseur de la présence chrétienne au Proche-Orient. Le chef de la plus importante Église orthodoxe, qui avait réuni à Moscou tous les patriarches d’Orient en décembre dernier, a eu un entretien dès samedi avec le pape François sur la situation en Syrie. Implantée au Proche-Orient depuis le XIXe siècle, l’Église russe orthodoxe a renforcé sa présence en Syrie dans le sillage de l’armée russe, notamment avec des dispensaires.
« La Russie veut montrer qu’elle a un interlocuteur de poids en Occident en la personne du pape, analyse Cyrille Bret. Elle évite ainsi de s’inscrire dans un conflit Est/Ouest et dispose d’un témoin de bonne moralité afin de rendre sa politique en Syrie plus acceptable aux yeux de l’Occident. »
Dimanche 15 avril lors de la prière de l’Angelus à Rome, le pape François s’est dit quant à lui « profondément troublé » par la situation en Syrie, où « il est difficile de s’entendre sur une action commune en faveur de la paix ».
« La position du Saint-Siège est d’être aux côtés des victimes, résume Mgr Gollnisch. Les attaques chimiques ne sont pas acceptables, mais tant que des preuves formelles n’ont pas été apportées, nous sommes en difficulté. Essayer de construire la paix dans un tel contexte, cela paraît sans doute médian, moyen, mais c’est tout ce qu’on peut faire. »
Avec lacroix