Neuf mois après la belle séquence de la présidentielle, retour à la routine pour les médias français. Presse, radios et télévisions trouvent un marché marqué par les profondes métamorphoses des usages, et la nécessaire – mais loin d’être évidente – transformation des modèles économiques et éditoriaux de leurs entreprises. Dans ce paysage tourmenté, le média radio tire son épingle du jeu et paraît “moins souffrir” que ses homologues de la presse et de la télévision. Du fait du nombre et de la stabilité de l’audience tout d’abord : près de 8 Français sur 10, soit 43 millions de personnes, l’écoutent 3 heures par jour. La radio reste ensuite le média le plus crédible aux yeux des Français, selon le baromètre 2017 du journal ‘La Croix’, qui relève que 52 % estiment que “les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme elles les racontent”.
“Près de 8 Français sur 10, soit 43 millions de personnes, l’écoutent 3 heures par jour”
Seul bémol, les revenus publicitaires nationaux ont décliné plus sérieusement qu’à l’accoutumée, selon le dernier baromètre conjointement publié par France Pub, l’Irep et Kantar Media. Sur l’ensemble des trois trimestres 2017, les recettes publicitaires nettes de la radio sont en baisse de 4,2 %. C’est nouveau car jusqu’à présent, les baisses se limitaient dans une fourchette entre 0,5 et 1,5 %. Sur la même période, l’ensemble du marché médias enregistre une baisse de 3,2 %, Dans le détail, les revenus publicitaires de la télévision sont quasi stables, la presse étant le média qui souffre le plus avec des recettes en chute de 7,4 %. “La radio a longtemps été préservée. Nous assistons à une sorte de rééquilibrage”, estime Jean-Éric Valli, président du GIE Les Indés Radios qui réunit 130 radios indépendantes, locales, régionales et thématiques. Pour l’avenir, ce dernier n’est pas inquiet : “le modèle économique de la radio n’est pas atteint. Notre audience digitale est vendue au même prix que l’audience analogique. Il n’y a pas la décote ravageuse de la presse ou de la télévision”.
La radio, membre de la famille
Comment expliquer cette exception médiatique de la radio ? Il y a sans doute deux grandes catégories de raisons : matérielles et immatérielles. D’abord le côté “pratico-pratique” du produit. Pour beaucoup, la radio est en effet le média que l’on peut vraiment consommer en faisant autre chose : se doucher, cuisiner, conduire… Média traditionnel du matin et du “hors domicile”, en particulier grâce à l’autoradio, il est devenu celui de la mobilité en toutes circonstances. Le ressort ? le smartphone bien sûr. En 2017, le téléphone mobile est devenu le premier écran pour surfer sur les sites et les applications radio et musique. Les stations ont nettement digitalisé leurs offres, en témoignent les 3,7 millions de Français qui utilisent leur smartphone pour écouter leurs programmes favoris quotidiennement, selon une étude de Médiamétrie pour le Geste réalisée en avril dernier. Le poids des smartphones est encore plus marqué chez les 15-24 ans : ils sont 1 million à s’en servir tous les jours. “La radio est un média qui est plus intégré dans notre vie qu’on ne le croit : pas besoin d’interfaces très complexes pour son usage une fois le programme allumé. Dans les foyers, le poste de radio est un peu un membre de la famille”, ose Jean-Éric Valli.
“Média traditionnel du matin et du “hors domicile”, en particulier grâce à l’autoradio, il est devenu celui de la mobilité en toutes circonstances. Le ressort ? le smartphone bien sûr”
Bien entendu, la bonne santé de la radio ne se résume pas à la seule fonctionnalité du média. Ses contenus et la qualité de ses programmes le rendent aussi incontournable. Le prime time de la radio, c’est le matin avec des matinales stratégiques pour les stations. Invité politique, revue de presse, édito économique, vie des médias… “Les Français entretiennent une relation directe, presque intime avec la radio. C’est le média de l’instantanée par excellence. On est dans l’authenticité, il n’y a pas de décor, de mise en scène comme en télévision, note Alain Liberty, président du Syndicat Interprofessionnel des Radios Indépendantes. Quand l’exercice est réussi, la voix devient familière et l’auditeur s’y attache, ce qui explique la grande popularité de certains présentateurs et journalistes de radio.”
Malgré ces atouts, la concurrence n’est jamais bien loin. Déjà le petit écran s’est invité à la table du petit-déjeuner des Français. De plus en plus, ces derniers plongent aussi dans leur smartphone dès le réveil. Bref la menace rode. “Si le média radio se porte plutôt pas mal, c’est possiblement un danger pour lui”, prévient Philippe Chapot, le fondateur du prochain Salon de la radio qui se déroulera fin janvier à Paris. Trois grands défis se dresseront alors sur sa route dans les prochaines années.
Le serpent de mer de la digitalisation du media
À l’heure de la fin de la neutralité du net aux États-Unis – les fournisseurs d’accès Internet américains ne sont désormais plus obligés de garantir le même débit de données, quelle qu’en soit la source –, la pression monte sur la problématique de la diffusion et de la distribution des contenus dans un univers numérique. La problématique – qui contrôle les accès à l’auditeur final ? – et déjà source de polémique en France. Pendant des mois, TF1 et SFR ont croisé le fer sur les conditions de la fourniture de certains services aux abonnées de l’opérateur au carreau rouge et blanc… La radio aurait tort de ne pas se sentir concernée. Le sujet de sa numérisation est hautement sensible. Des années déjà que la radio numérique terrestre, la RNT, fait débat, avec d’un côté ses partisans (les radios indépendantes et régionales), et de l’autre ses opposants (les grandes stations nationales). Au milieu : le Conseil supérieur de l’audiovisuel en charge de son déploiement, et la radio publique qui fait ce que son actionnaire lui commande – ou pas – de faire. On croyait la situation figée avec actuellement une RNT au rabais proposant un nombre significatif de stations, mais amputée des leaders du marché. Alors que la technologie n’existe pour l’instant que sur Paris, Nice et Marseille, une trentaine de métropoles devraient être couvertes d’ici à la fin 2020, après que le CSA a annoncé une accélération surprise du calendrier. À voir.
“La problématique – qui contrôle les accès à l’auditeur final ? – et déjà source de polémique en France”
La RNT a été lancée partout ailleurs en Europe. Pas en France, où les leaders du marché numérisent leurs offres exclusivement par Internet. Est-ce la bonne approche ? Clairement pas pour Alain Liberty : “les radios ne peuvent pas se contenter d’une diffusion sur le seul réseau Internet, c’est beaucoup trop dangereux dans un univers marqué par les incertitudes”. Et le responsable du Syndicat des radios indépendantes d’énumérer ses craintes : “qui contrôle les réseaux de télécommunication ? Quel péage pourrait être mis en place ? Qu’est ce qui garantit la distribution des programmes dans l’abondance de l’Internet ?” Pas faux. D’autant que cette jungle fourmille d’intermédiaires, à commencer par les Gafa. Contrairement à Internet, la radio numérique terrestre est anonyme et gratuite. Bonne nouvelle. Reste que pour d’autres, la RNT a moins de sens aujourd’hui qu’il y a 10 ans. Le signal n’est pas interactif et il n’y a aucune interaction possible entre celui qui émet le programme et celui qui l’écoute. Par ailleurs la qualité du son est inférieure à celui proposée sur Internet. Enfin, il faut prendre en compte le renouvellement des appareils de réceptions intégrant la norme DAB (Digital Audio Broadcasting). “Le temps, l’énergie et les investissements que les radios passent dans la RNT, ce sont des efforts en moins consacrés aux innovations de programmes et de technologies dans un monde où tout va de plus en plus vite”, considère Xavier Filiol, co-organisateur du salon de la radio.
Ce véritable serpent de mer de la digitalisation du média illustre surtout le manque de vision de l’État sur le sujet majeur de la distribution des médias aux Français. Aujourd’hui, la FM remplit ce rôle mais à terme, selon une logique darwinienne, elle mourra de sa belle mort. Aujourd’hui, la France reste en queue de wagon même si certains des grands groupes de radio seraient en train de revoir leur copie et de s’engager sur la voie de la radio numérique terrestre. À suivre.
La captation de la publicité digitale
Deuxième grand chantier : la modernisation de la mesure d’audience. Quelle est la situation ? Aujourd’hui, la mesure d’audience, dites “les 126 000 radios”car réalisée par Médiamétrie auprès de 126 000 personnes de 13 ans et plus, fonctionne bien est assez précise. La difficulté est que les sondés sont beaucoup plus difficiles à joindre. “Pourquoi ne pas automatiser le process en particulier à l’échelle nationale ? s’interroge Jean-Éric Valli. En revanche, cela risque d’être plus complexe au niveau local. Je pense que nous nous dirigeons vers une mesure hybride.”
Autre sujet : une partie du trafic n’est pas dans la mesure. Si Médiamétrie mesure l’audience digitale et l’audience “hertzienne” de façon égale, podcasts et flux audio-vidéo ne sont pas encore comptabilisés. “La mesure et la certification d’audience sont importantes pour profiter pleinement de la publicité digitale qui est notre seul relais de croissance, explique Xavier Filiol. Il faudrait que l’ensemble des régies fournissent leur data à l’ACPM radio [le contrôleur de la diffusion des médias, ndlr], pour mieux connaître la puissance du marché.”
“Une partie du trafic n’est pas dans la mesure. Si Médiamétrie mesure l’audience digitale et l’audience “hertzienne” de façon égale, podcasts et flux audio-vidéo ne sont pas encore comptabilisés”
Actuellement, les annonceurs attendent plus de la radio. Les projections montrent que les radios pourraient facilement atteindre une exploitation de 50 millions d’euros de revenus en ligne alors qu’aujourd’hui, ces montants dépassent à peine les 5 millions d’euros selon les chiffres de Kantar. Les éditeurs presse et télévision unissent leurs forces dans la publicité digitale, les radios devraient adopter la même stratégie. “Si collectivement nous ne faisons rien, les investissements publicitaires échapperont à la radio, comme ils échappent aujourd’hui à la presse et à la télévision au profit des Gafa, lesquels captent près de 80 % de la publicité en France sur Internet”, prévient Xavier Filiol.
Le phénomène des webradios, des podcasts et de la radio filmée
Streaming, podcasts, webradio, radio-filmée ou radio-vision… jamais l’offre de programmes n’a été aussi large qu’aujourd’hui. Et pourtant, tout reste sans doute à inventer. “Les radios doivent mettre sur le marché des offres qui répondent aux attentes du public. En investissant sur le web, dans des sites Internet et des plateformes de podcast, elles ont su répondre aux demandes. Il faut continuer”, estime Alain Liberty. Comme tous les médias, les radios sont confrontés à un changement des modes de consommation de l’info et du divertissement, en particulier chez les jeunes plutôt tournés vers les réseaux sociaux. Par exemple sur Internet, le groupe NRJ propose près de 150 webradios selon des styles de musique. Le phénomène des webradios s’inscrit ainsi durablement dans le paysage. De plus, depuis une loi de juillet 2017, la webradio est l’égal de la FM en matière de droits. “Il n’y a plus d’insécurité juridique du point de vue de la licence légale”, se félicite Xavier Filiol.
Deuxième phénomène : le podcast. Les podcasts natifs, c’est-à-dire des contenus inédits en écoute à la demande, se développent. Radio France, mais aussi des nouveaux entrants – BoxSons lancée par Pascale Clark, ou Binge Audio mis en scène par un autre ancien de Radio France Joël Ronez –, misent sur ce nouveau marché. Des plateformes de podcast, sorte de YouTube de la radio, voient aussi le jour, comme par exemple le suédois Acast qui agrège les offres du marché.
“Sur Internet, le groupe NRJ propose près de 150 webradios selon des styles de musique. Le phénomène des webradios s’inscrit ainsi durablement dans le paysage”
Autre grande tendance : la radio filmée, dite “radio-vision” par les professionnels. Sur le net, l’audience de certaines matinales serait plus importante en vidéo qu’en audio seul. “Les stations filment leur matinale pour des raisons marketing et promotionnelles. Leur objectif : qu’elle soit reprise par les chaînes d’infos, mais en soi, il n’y a pas beaucoup d’innovations”, reconnaît Philippe Chapot. Difficile toutefois de passer à côté. Les radios sont un peu obligées d’investir dans ces nouvelles offres, sinon elles risquent d’être déclassées et dépassées par la concurrence.
La prochaine révolution des assistants vocaux
Dernière innovation dans l’air du temps : les assistants vocaux, ces nouveaux appareils mis sur le marché par Google, Amazon ou Orange, censés proposer services et offres innovantes dans le foyer grâce à la voix. À l’occasion d’un colloque sur l’audiovisuel public, Mathieu Gallet, le patron du groupe Radio France, considérait “la prochaine révolution des assistants vocaux comme un atout formidable pour les radios”. Aux États-Unis, le premier service utilisé sur les assistants vocaux est la radio. Comme il n’y a ni interface tactile, ni écran, la principale utilisation média est logiquement radiophonique. L’enjeu pour les radios sera de proposer des offres très affinées pour correspondre au mieux aux attentes des utilisateurs.
“Aux États-Unis, le premier service utilisé sur les assistants vocaux est la radio”
Évidemment, elles devront investir en expérience utilisateurs comme en référencement. “Les scénarios d’usages de ces appareils sont encore à inventer. C’est sans doute assez complexe”, prédit Xavier Filiol. À vrai dire, on ne sait pas très bien si les usages des consommateurs seront au rendez-vous de ces nouveaux appareils communicants. “Si les fabricants sont Google, Amazon ou Apple, je les vois plutôt mettre en avant leurs propres services de médias plutôt que ceux de radios dont les programmes sont qui plus est gratuits…”, s’inquiète Jean-Éric Valli. Derrière les assistants vocaux pointe une fois de plus le danger de la plateformisation des offres, avec le risque pour les groupes de radio de passer sous les fourches caudines des distributeurs comme Google, Amazon ou Apple. Comme un air de déjà-vu. Les radios sont prévenues. Pour Philippe Chapot, “les stations doivent surtout réfléchir à consolider leur communauté d’auditeurs autour de leur marque et de leurs programmes, pensés et proposés avant tout pour leur public”. Le temps de l’auditeur roi est arrivé.
Avec lenouveleconomiste