Et si demain le coton devenait une source majeure de protéines pour l’alimentation humaine ? Le département de l’Agriculture des États-Unis vient d’autoriser la commercialisation d’un coton génétiquement modifié sans gossypol, la toxine qui le rend impropre à la consommation. Si l’avenir de ce coton semble prometteur pour les agriculteurs et les industriels, il risque de se heurter à une grosse opposition en Europe.
C’est un projet vieux de 23 ans qui est sur le point d’aboutir. Le 16 octobre dernier, le département de l’Agriculture des États-Unis a autorisé la commercialisation du coton TAM66274, une variété génétiquement modifiée à très faible teneur en gossypol. Cette molécule, un pigment jaune polyphénolique fabriqué par la plante pour se défendre contre les parasites, est aussi toxique pour l’homme et la majorité des espèces animales, ce qui rend le coton impropre à la consommation.
Une gigantesque manne de protéines inexploitée
La graine de coton contient pourtant 23 % de protéines et pourrait jouer un rôle primordial dans l’alimentation humaine, spécifiquement dans les pays où la base de la nourriture est constituée par des aliments pauvres en protéines, comme le manioc ou le maïs. « Si tout le coton actuellement cultivé était remplacé par une variété comestible, nous aurions de quoi couvrir les besoins quotidiens en protéines de 600 millions de personnes », assure Kater Hake, le vice-président de Cotton Inc, une association de recherche et marketing à destination des agriculteurs et qui cofinance le projet. Ce combat, c’est surtout celui de Keerti Rathore, un chercheur américain en biotechnologies de l’université du Texas. Ce dernier, qui n’avait jamais vu le moindre champ de coton de sa vie avant son arrivée au Texas en 1995, a depuis dédié sa carrière à créer ce coton comestible.
Dans les années 1970, les scientifiques avaient pourtant mis au point des variétés de coton sans gossypol « gland less » (le gossypol étant contenu dans de petites glandes au niveau de l’amande et du tégument de la graine). Problème : ces cotons obtenus par croisement classique, privés de leur moyen de défense naturelle, se sont avérés hypersensibles aux ravageurs. L’équipe de Keerti Rathore s’est donc attelée à la modification génétique via la méthode de l’ARN interférent (ARNi), permettant de réduire un gène au silence. Elle est ainsi parvenue à produire un coton dont le gossypol est éliminé de la graine, mais reste présent dans les feuilles et la tige. « Nos études ont montré que notre coton ne souffre pas de davantage d’attaques ou de maladies que le coton conventionnel », assure Keerti Rathore.
Une nouvelle source de revenus pour les cultivateurs de coton
Pour chaque kilogramme de fibre de coton, la plante produit 1,65 kg de graines. Ainsi, 48,5 millions de tonnes sont récoltés annuellement. Or, ces graines sont aujourd’hui largement sous-utilisées. Dans certains cas, il est possible de les transformer en huile alimentaire grâce à un procédé thermique ou chimique éliminant le gossypol. Le reste sert à l’alimentation du bétail sous forme de tourteau, les ruminants étant plus tolérants que l’humain à une certaine teneur en gossypol (les vaches laitières supportent jusqu’à 30 % de graines de coton dans leur alimentation). Mais les autres animaux d’élevage, comme le porc ou les poulets, sont eux plus sensibles. D’autre part, le procédé pour éliminer le gossypol reste économiquement non viable, indique Keerti Rathore. La future commercialisation du coton TAM66274 s’annonce donc bien comme une petite révolution pour les agriculteurs, qui pourront valoriser la graine comme coproduit de la fibre (ou l’inverse) et disposer ainsi d’une nouvelle source de revenus.
Lait de coton et cookies au coton
Mais au fait, quel goût a le coton ? « Ça ressemble un peu à de l’houmous [purée de pois chiche] », sourit Keerti Rathore. Pour l’agroalimentaire, le coton se rapproche plutôt de la noix ou de l’amande. On peut d’ailleurs déguster la graine entière, comme une noix de cajou. Mais ce sont surtout tous les produits dérivés qui intéressent les industriels. Ces derniers ont déjà testé avec succès du lait de coton, des crackers, des cookies, du beurre de coton ou d’autres substituts protéiques. Les graines de coton pourraient en outre être intégrées sous forme de poudre dans des barres énergétiques et des farines. L’industrie vise aussi le marché de l’alimentation animale, notamment l’aquaculture. À l’heure actuelle, les poissons d’élevage carnivores, comme les truites ou le saumon, sont en grande partie nourris… par des farines et des huiles de poissons sauvages, ce qui contribue à la surpêche. Une alimentation à base de coton constituerait une alternative plus écologique et à moindre coût.
Des contrats en cours de négociation
Dernière étape avant les premiers semis en champs : l’approbation par la FDA, (Food and Drug Administration), ce qui devrait intervenir dans les prochains mois, assure l’université du Texas. Il faudra cependant attendre encore plusieurs années avant de déguster un bon milk-shake au coton, le temps que les agriculteurs renouvellent leurs semences et que le coton pousse, sans compter les contrats à négocier. « Nous sommes en discussion avec différents semenciers, gros ou petits », précise Keerti Rathore, qui assure aussi avoir reçu plusieurs demandes de la part d’autres pays, comme l’Inde ou des pays africains.
Le coton OGM encore bien loin des assiettes françaises
En Europe, le délai risque d’être beaucoup plus long, tant la résistance des pays membres envers les OGM est forte. Mauvais signal de plus, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 25 juillet dernier un avis défavorable sur les produits issus des nouvelles techniques de mutagenèse (comme Crispr), jugeant que ces derniers devaient être soumis à la même réglementation que les OGM classiques. Une méfiance qu’a du mal à comprendre Keerti Rathore : « 821 millions de personnes sont en situation de malnutrition dans le monde et avec le réchauffement climatique, cela ne va faire que s’empirer », s’offusque-t-il. « Je pense qu’il s’agit plus d’une opposition aux multinationales qu’aux OGM », veut-il croire. Pour Kater Hake, il n’y a carrément « aucun sens à conserver une molécule toxique dans une plante domestiquée ».
Loin des tergiversations européennes, les scientifiques ont d’ailleurs déjà d’autres projets en tête. La gesse blanche ou pois carré (Lathyrus sativus), dont une trop forte consommation entraîne une affection neurologique nommée lathyrisme, pourrait ainsi bien être la prochaine plante à passer à la moulinette des biotechnologies pour finir dans nos assiettes.
CE QU’IL FAUT RETENIR
Du coton génétiquement modifié sans gossypol vient d’obtenir son autorisation de commercialisation aux États-Unis.
La graine de coton pourrait ainsi constituer une nouvelle source de protéines, notamment dans les pays affectés par la malnutrition.
Il reste cependant plusieurs obstacles commerciaux et juridiques, notamment en Europe où l’opposition aux OGM est forte.
Avec weforum