La Russie a connu un krach boursier et une chute du rouble majeure, depuis le 9 avril. La guerre économique menée par les Etats-Unis menace les grandes entreprises russes en les asphyxiant financièrement et en leur fermant des marchés.
Les nouvelles sanctions imposées par les Etats-Unis contre la Russie ont provoqué un mouvement de panique le 9 avril parmi les investisseurs, lesquels ont vendu massivement les actions des grandes entreprises russes. Le géant mondial de l’aluminium, Rusal est même annoncé au bord de la faillite. En trois jours les deux principaux index boursiers russes, MMVB et RTS, ont perdu près de 10%, les investisseurs revendant à la hâte les actions des principales entreprises directement menacées par les sanctions. De nombreux acteurs des bourses russes réalisant leurs ventes d’actifs en achetant des devises étrangères, le rouble a aussi connu un lundi noir, chutant sérieusement face à l’euro et au dollar. Il a perdu plus de 10% de sa valeur face à ces deux devises depuis le début du mois d’avril.
Mais au quatrième jour, les actions de la banque centrale et notamment l’arrêt d’achat de devises étrangères dans le cadre de la politique de modulation des réserves ont bloqué la chute et permis au rouble de remonter passant de 64 à 62 roubles* pour un dollar et de 77,5 à 76,6 roubles pour un euro.
Mais, sur une tendance plus longue, le véritable décrochage du rouble remonte à 2014. En janvier, un dollar vaut environ 33 roubles, une parité relativement stable depuis plusieurs années. A ce moment là, le baril de Brent vaut près de 110 dollars. Un an plus tard, les cours du pétrole ont chuté de près de 60%, le rouble perdant presque parallèlement 50% de sa valeur. Depuis trois ans, les cours du pétrole et du dollar par rapport au rouble ont fluctué autour de la valeur 60 : 60 dollars le baril et 60 roubles pour un dollar. C’est malgré tout une importante baisse de pouvoir d’achat pour la population par rapport à la première moitié des années 2010.
La monnaie russe flirte néanmoins avec ses plus bas niveaux contre les deux principales devises internationales atteints lors des précédentes crises de décembre 2014 et janvier 2016. La première avait déjà été provoquée par des sanctions économiques contre la Russie décidées après le rattachement par référendum de la Crimée à la Fédération de Russie. A l’époque le plongeon avait été, en proportion, plus sévère encore. Ainsi la monnaie européenne était passée en 15 jours, de fin novembre à mi-décembre, de 64 à 85 roubles. Ce plongeon de près d’un tiers de la valeur de la devise russe avait été totalement effacé fin décembre la monnaie russe remontant à 62 roubles pour un euro avant de baisser de nouveau plus lentement au grès des cours du pétrole tout au long de l’année 2015.
La pire chute du rouble a été provoquée par la levée des sanctions contre l’Iran
Mais la pire chute du rouble allait venir un peu plus tard. En janvier 2016. Cette fois, elle n’était pas causée par les sanctions contre la Russie, mais, indirectement par la levée de celles contre l’Iran, en juillet 2015 après la signature du Joint Comprehensive Plan of Action (JCOA) autrement dit l’accord sur le nucléaire iranien. En effet, avec la levée des restrictions sur ses ventes de pétrole sur les marchés internationaux, l’Iran avait annoncé fin décembre une augmentation de sa production de 1 million de barils par jour à compter de mars 2016. Immédiatement, les cours mondiaux du pétrole déjà bas, aux environs de 50 dollars le baril de Brent avaient plongé pour atteindre un seuil de 28,8 dollars, le mercredi 20 janvier 2016, provoquant un jeudi noir pour le rouble. Le 21 janvier, il fallait 91 roubles pour acheter un euro.
Une situation nouvelle et inquiétante compte tenu des cours élevés du pétrole
Aujourd’hui, la situation est différente. Les cours du pétrole sont plutôt élevés aux environ de 70 dollars le baril, ce qu’on avait plus vu depuis novembre 2014. Le rouble, toujours fortement arrimé aux cours du brut devrait donc être beaucoup plus haut face au dollar et à l’euro. Nul doute que sans ces cours élevés du baril la chute aurait été beaucoup plus sévère.
Ce n’est donc pas la variation des cours du pétrole qui a entraîné la chute du rouble cette semaine, mais un phénomène plus grave, la perte d’attractivité des grandes entreprises industrielles russes visées par les sanctions qui leur ferment l’accès aux principaux marchés de financement internationaux et désormais, la possibilité de commercer avec des partenaires américains.
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Ces sanctions, censées punir Moscou notamment pour ses «attaques» contre «les démocraties occidentales», ciblent 38 personnes et entreprises qui ne peuvent plus faire affaire avec des Américains, notamment sept Russes désignés comme des «oligarques» proches du Kremlin par l’administration de Donald Trump, présents dans des dizaines de sociétés en Russie comme à l’étranger.
Parmi ces multimilliardaires figure Oleg Deripaska et les actifs sous son contrôle : les holdings Basic Element et En+ mais aussi Rusal, qui ralise à lui seul près de 7% de la production mondiale. Ainsi, sa chute sur les principales places boursières a entraîné la plus forte hausse en trois ans du prix de l’aluminium sur la Bourse des métaux de Londres, le LME.
Le secteur financier russe en danger
Pour beaucoup, la Russie a appris à vivre avec les sanctions, en tirant même un bénéfice grâce à une réorganisation de sa production intérieure, notamment dans la filière agricole. Mais dorénavant, la Russie fait face à une guerre économique de haute intensité menée contre elle sous divers prétextes, depuis 2014.
En janvier 2015, le n° 37 de la revue des Etudes de l’Iserm (Institut de recherches stratégiques de l’Ecole militaire) en avait défini les principe : «Concrètement, les sanctions européennes et américaines visent à isoler la Russie sur la scène internationale, à affaiblir le système de pouvoir du président Poutine en touchant son entourage proche et à porter atteinte aux sources de revenus de l’Etat russe en ciblant le secteur énergétique.»
Aujourd’hui c’est le secteur financier domestique qui risque de souffrir. En effet, le gouvernement a pour le moment endigué l’hémorragie, notamment en annonçant qu’il soutiendrait les entreprises visées par les sanctions, mais à quel prix ? Ainsi, les trois géants russes du gaz et du pétrole, Gazprom, Rosneft et Loukoil ont totalement effacé leurs pertes du débuts de semaine. Mais, il est révélateur de constater que les deux principales banques russes, VTB qui finance les opérations du commerce extérieur et Sberbank, première banque russe de dépôts, elles, n’ont pas encore connu de rebond suffisant. Leurs actions sont toujours en baisse par rapport à la semaine dernière, respectivement de 8% et de 22%.
* Tous les cours des devises mentionnés dans cet article sont donnés à partir des historiques du fixing quotidien de la Banque centrale de Russie. Ils peuvent différer de cours observés au même dates sur le marché des devises du Moex (Moscow Exchange).
Avec rtfrance