Jeudi 18 janvier, le procureur de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu ses conclusions au sujet des techniques dites « d’édition du génome ». Il confirme que les nouvelles biotechnologies de modification génétique transforment bien les organismes en OGM. Décryptage d’un dossier… compliqué.
- Actualisation – Dans ses conclusions publiées le 18 janvier, l’avocat général de la Cour de justice des communautés européennes réaffirme clairement que « les plantes obtenues par mutagenèse sont des OGM » et que « l’insertion d’ADN étranger dans un organisme n’est pas requise pour qu’un organisme puisse être qualifié d’OGM ». Il disqualifie par-là, observent les associations écologistes et d’agriculture bio, la propagande répétée par l’industrie semencière qui affirme que ses nouveaux OGM seraient issus de procédés conventionnels ou « naturels »de sélection. Mais l’affaire est loin d’être close. Lire le communiqué des associations en téléchargement
- et ci-dessous notre article explicatif.
- Article publié le 17 janvier 2018 – « Nous sommes face à une très grande nouveauté technologique, n’ayons pas peur de l’innovation », clamait Paolo de Castro, vice-président du Comité de l’agriculture et du développement rural au Parlement européen, lors d’une conférence sur les biotechnologies au sein de la Commission européenne. Les techniques de modification du génome font l’objet de découvertes régulières. Mais elles font surtout l’actualité car compagnies et gouvernements cherchent à savoir si la réglementation européenne des OGM leur est applicable. L’enjeu est évidemment de produire, vendre et cultiver des variétés de plantes et d’animaux sans les contraintes imposées pour chaque OGM. À la suite d’une saisine du Conseil d’État par neuf associations, le procureur de la Cour de justice de l’Union européenne doit présenter ses conclusions jeudi 18 janvier sur quatre questions, dont celle de savoir si l’on peut classer les nouvelles techniques de mutagenèse dirigée dans la définition des OGM selon la réglementation européenne [1].
De quoi s’agit-il donc ? D’un ensemble de techniques que certains nomment « nouvelles techniques de croisement des plantes » (ce qui donne l’acronyme NBT en anglais, pour New Plant Breeding Techniques). Ce terme fourre-tout inclut des techniques relativement anciennes et d’autres plus récentes. Il s’est imposé depuis un rapport de la Commission néerlandaise sur les modifications génétiques (Cogem) en 2007.
On peut donc choisir le gène que l’on souhaite supprimer, l’inactiver ou le remplacer par un autre
Le Haut Conseil des biotechnologies (HCB) a publié une note sur la question en 2016. À la suite de vices de procédures et désaccords scientifiques, la publication a abouti à la démission d’Yves Bertheau puis au départ de sept associations siégeant au comité économique, éthique et social. La note a finalement été déclarée provisoire avant le rapport qui a été publié en novembre 2017.
La révolution technique que le milieu de la biologie moléculaire acclame s’appelle Crispr-Cas9. À l’origine, elle provient de la découverte chez des bactéries de fragments d’ADN formés de palindromes (segment d’ADN comprenant des séquences successives symétriques l’une par rapport à l’autre). Ainsi, dans la molécule d’ADN, les bases A, C, T, G s’enchaînent et se lisent dans les deux sens, par exemple : « TGCCATCCTACCGT ».
Or ces fragments, appelés Crispr (Clustered Regular Interspaced Short Palindromic Repeat, soit « courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées »), servent en fait à intégrer des parties d’ADN de virus. Les endonucléases sont des enzymes qui coupent les brins d’ADN. L’une d’entre elles, dénommée « Cas », va reconnaître ces séquences particulières et se lier à l’ADN du virus pour le couper et ainsi le détruire. C’est un moyen pour ces bactéries de se prémunir des intrusions virales.
Dans les années 2012, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna ont copié et transformé ce mécanisme immunitaire pour un usage plus large. Crispr-Cas9 sert ainsi à couper des fragments d’ADN sur lesquels on a repéré un gène. On peut donc choisir le gène que l’on souhaite supprimer, l’inactiver ou le remplacer par un autre. Crispr-Cas9 permet ainsi d’agir beaucoup plus vite, de façon plus simple et pour un coût moindre.
Des recombinaisons avec d’autres parties d’ADN et des effets non souhaités
Mais d’autres méthodes avant elle faisaient la même chose. Le système Talen (pour Transcription Activator-Like Effector Nuclease) s’est développé autour de 2009. Il mêle une endonucléase avec des séquences d’une trentaine de nucléotides reproduisant des motifs de protéines bactériennes appelées Tale (pour Transcription activator-like effectors). Ce système est capable de reconnaître une vingtaine de nucléotides pour s’y lier. Une autre méthode, la Zinc Finger Nuclease (ZFN), datant des années 2000, utilise des protéines ayant un motif dit « en doigt de zinc » associées à une endonucléase bactérienne. La ZFN reconnaît là aussi une vingtaine de nucléotides. La plus ancienne de ces techniques d’édition du génome se sert de méganucléases. Enfin, la mutagenèse dirigée par oligonucléotides (ODM) nécessite d’introduire dans la cellule un oligonucléotide, c’est-à-dire un segment court d’ADN ou d’acide ribonucléique (ARN). Ce segment est quasiment identique à la séquence que l’on souhaite modifier, à l’exception de la mutation sélectionnée qui a été ajoutée. Cet oligonucléotide va se lier à l’ADN de la cellule et introduire la mutation dans le génome.
Toutes ces techniques sont rangées dans la catégorie des techniques d’édition du génome. Elles ont déjà permis la production de variétés utilisées dans l’agriculture. La société Cibus vend ainsi depuis 2014 au Canada et aux États-Unis un colza oléagineux résistant aux herbicides à base de sulfonylurée .
Du point de vue scientifique, les techniques posent cependant plusieurs questions. Bernard Dujon, ancien directeur de l’unité de recherche génétique moléculaire des levures à l’Institut Pasteur a travaillé sur la technique des méganucléases. Il expliquait lors d’une conférence que « dans la transgenèse classique, l’ADN s’ajoute quelque part, dans un site non choisi et souvent en plusieurs sites. On peut vérifier a posteriori que cela a fonctionné. Avec l’édition de gène, l’ADN va dans la cible choisie ».
Mais, pour Crispr-Cas9 comme les autres techniques dites d’édition du génome, la séquence préparée pour reconnaître et se lier à celle que l’on souhaite modifier est généralement similaire à d’autres séquences. Ainsi, lorsque l’on utilise la protéine Cas, elle peut entraîner des recombinaisons avec d’autres parties d’ADN et avoir un effet non souhaité. C’est ce que l’on appelle les effets hors cibles.
« En fait, l’efficacité est très variable »
Pour vérifier l’ensemble de ces effets, il faut connaître l’ensemble du génome de l’espèce sur laquelle on travaille. « C’est cher de séquencer l’ensemble du génome étudié, mais c’est possible. En revanche, pour tout vérifier, on a besoin d’une référence des séquences avant mutation pour comparer. Mais la probabilité de ces effets est faible », affirme Janusz Bujnicki, chercheur en biochimie et membre du Mécanisme de conseil scientifique (SAM) créé par la Commission européenne et qui a rendu un avis sur les NBT en février 2017. Cette séquence de référence n’est pas toujours évidente à obtenir sur les organismes étudiés. Si l’on souhaite vérifier réellement les conséquences de ces outils, ce coût devrait donc être pris en compte.
Le rapport du SAM présenté à la Commission européenne indique que les effets hors cibles sont moins importants avec Crispr-Cas9 qu’avec les anciennes techniques. Pour la mutagenèse dirigée par oligonucléotide (ODM) en revanche, les auteurs notent que « des effets hors cibles ne sont pas attendus ». Cette conclusion est étonnante, car la plupart des articles relèvent la présence d’effets hors cibles et insistent sur la nécessité de développer les techniques de prédiction de ces effets. « Le fait qu’on puisse mesurer les off-target est seulement une hypothèse », remarque Ricarda Steinbrecher, ancienne généticienne moléculaire et membre du Réseau européen de scientifiques pour une responsabilité sociale et environnementale (Ensser).
D’autres conséquences ont été récemment observées, qui ne sont pas signalées dans le rapport du SAM. En 2016, l’équipe de Marcel Kapahnke, de l’Institut de biochimie de l’université de Giessen, en Allemagne, a observé la production de protéines aberrantes à la suite de l’usage de Crispr-Cas9. L’équipe de Sergey V. Prykhozhij, de l’université de Dalhousie, au Canada, a mis au point une technique de fluorescence qui a permis de constater des mutations non souhaitées sur le poisson-zèbre.
De façon générale, la manière de préparer le système Crispr-Cas9 jouerait un rôle sur la qualité de l’opération. « En fait, l’efficacité est très variable, note Bernard Dujon. La différence est liée à la facilité de fabriquer l’outil que l’on utilise. Avec les méganucléases, ce n’est pas facile. Cela l’est assez pour ZFN et Talen. En revanche, avec Crispr, c’est extrêmement facile. » Dans la note controversée du Haut Conseil des biotechnologies, les auteurs indiquent que l’expérience acquise pour la technique Crispr-Cas9 est encore insuffisante pour proposer des produits commerciaux. « Il y a un grand nombre de facteurs à prendre en compte (l’environnement, l’espèce ciblée, la pratique agricole, la mutation spécifique…) qui sont presque plus importants que la méthode elle-même », note Janusz Bujnicki. Cela pourrait donc valoir le coup de faire plus de recherche avant de chercher à la commercialiser.
On ne peut nier la modification génétique
Un autre élément important est de savoir si l’on peut repérer la modification effectuée. La technique la plus utilisée, la PCR (techniques d’amplification d’acides nucléiques), ne permet pas toujours de le faire. Ce n’est pas un problème insurmontable pour Yves Bertheau, qui a travaillé sur les techniques de détectabilité des OGM inconnus : « La PCR n’est pas l’unique méthode de détection. D’autres existent et permettent de retrouver ces modifications. Le problème est que les compagnies ne veulent pas donner le matériel de base ni les techniques de détection. »
La définition des OGM utilisée par la réglementation européenne parle d’organismes dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle. La transgenèse en fait partie. Dans le cas des organismes transgéniques, on introduit un gène dans la cellule, qu’il soit de la même espèce ou d’une autre.
On considère en revanche les techniques d’édition du génome comme de la mutagenèse. Or, la réglementation européenne inclut une exception pour elle au motif que les méthodes ciblées dans les années 2000 étaient utilisées depuis plusieurs années. Mais ce contexte particulier n’existe plus aujourd’hui.
Ensuite, les techniques d’édition du génome utilisent des endonucléases de bactéries, ces dernières n’agissent pas naturellement sur les plantes et les animaux ciblés. Pour beaucoup de personnes, à partir du moment où l’on ne retrouve pas de gène dans l’organisme que l’on produit, il ne s’agit pas d’un OGM. Il n’empêche qu’on ne peut nier la modification génétique. En attendant, le gouvernement néerlandais a envoyé une proposition de modification de la réglementation. Il suggère entre autres la modification de l’annexe I-B pour élargir les exemptions à la réglementation, en prenant en compte le produit final plutôt que la méthode pour l’obtenir.
Avec reporterre