Lorsque Abou passe par cette route, il ne peut s’empêcher d’y penser. « Tu vois, à l’époque, on aurait déjà rencontré deux ou trois barrages. » Parti d’Abidjan, au volant de sa berline grise, le chauffeur prend la direction du nord de la Côte d’Ivoire. Il y a sept ans, alors que les combats faisaient rage entre forces pro-Gbagbo et pro-Ouattara – les deux principaux candidats à l’élection présidentielle de 2010 –, il avait mis sa femme et ses enfants dans une voiture et était parvenu à atteindre son village familial. Dans son quartier d’Abobo Kennedy, à Abidjan, beaucoup d’habitants originaires du Nord avaient fait de même. « Je savais que ces violences allaient arriver. Nous, les Dioulas [habitants du Nord], on disait que nous étions des étrangers, on nous traitait de Guinéens, de Burkinabés, de Maliens. »
Le pays était alors coupé en deux. Dès les années 1990, la notion d’« ivoirité », instrumentalisée politiquement, avait instillé son poison dans la société. A partir de 2002, une ligne de non-franchissement avait été instaurée pour séparer le Sud, dirigé par le président Laurent Gbagbo, du Nord, géré par la rébellion de Guillaume Soro. L’élection présidentielle contestée de novembre 2010 – 3 000 morts en cinq mois, selon l’ONU – s’était soldée par l’arrestation de Laurent Gbagbo et l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara, soutenu par la rébellion, actuel président de la Côte d’Ivoire, réélu en 2015.