Contrairement aux a priori, le bonheur au boulot n’est pas forcément gage de productivité.
Récemment, nous avons participé à des séminaires de motivation sur nos lieux de travail respectifs. Les deux événements prêchaient les bienfaits du bonheur. Dans le premier, un conférencier expliqua que le bonheur pouvait nous rendre plus sains, plus gentils, plus productifs et que nous avions ainsi encore plus de chance d’obtenir une promotion. Le second séminaire comprenait de la danse obligatoire, du genre des plus endiablées. Elle était censée « remplir notre corps de joie ». Elle incita l’un d’entre nous à s’esquiver et à trouver refuge dans les toilettes les plus proches.
Depuis qu’un groupe de scientifiques a allumé et éteint les lumières à l’usine Hawthorne au milieu des années 1920 (il s’agissait d’une étude sociologique menée par Elton Mayo pour évaluer les effets de l’éclairage sur les cadences des ouvrières, NDLR), chercheurs et cadres sont obsédés par l’augmentation de la productivité des employés. En particulier, le bonheur comme moyen de stimuler la productivité semble avoir gagné du terrain dans les milieux d’affaires ces derniers temps. Les entreprises dépensent de l’argent en coachs du bonheur, en exercices de team-building, en jeux de rôle, en « funsultants » ou encore en « chief happiness officer », comprenez « directeurs du bonheur » – oui, vous en trouverez un chez Google notamment (en France, en 2017, plus de 150 personnes se revendiquaient « chief happiness officer » sur LinkedIn, NDLR). Ces activités et ces titres peuvent paraître enthousiasmants et saugrenus à la fois, mais les entreprises les prennent très au sérieux. Le devraient-elles ?
Quand vous examinez attentivement l’étendue des recherches dans ce domaine – ce que nous avons fait après la sessions de danse –, il n’est pas certain qu’encourager le bonheur au travail soit toujours une bonne idée. Bien sûr, tout porte à croire que des employés heureux sont moins susceptibles de partir, plus enclins à satisfaire les clients, se sentent plus en sécurité et sont plus propices à adopter un comportement citoyen. Cependant, nous avons également mis au jour d’autres résultats, qui montrent qu’un certain nombre d’idées reçues sur ce que le bonheur peut accomplir dans le milieu professionnel ne sont en réalité que de simples mythes.
Comment mesurer le bonheur ?
Pour commencer, nous ne savons pas au juste ce qu’est le bonheur ni comment le mesurer. Mesurer le bonheur est à peu près aussi facile que de prendre la température de l’âme ou de déterminer la couleur exacte de l’amour. Au VIe siècle avant J.-C., le roi Crésus aurait eu ce mot d’esprit : « Personne n’est heureux avant sa mort », rapporte l’historien Darrin M. McMahon dans son livre éclairant « Happiness : A History ». Ce concept vague a servi de prétexte à d’autres concepts, du plaisir à la joie en passant par la plénitude et le contentement. Etre heureux dans l’instant présent, affirmait l’écrivain anglais Samuel Johnson, ne peut se faire que lorsqu’on est soûl. Pour Jean-Jacques Rousseau, le bonheur, c’est « se coucher dans un bateau, errer sans but, se sentir comme un dieu » (ce qui n’est pas précisément l’image de la productivité). Il existe bien d’autres définitions du bonheur, mais elles ne sont ni moins ni plus plausibles que celles de Samuel Johnson ou de Jean-Jacques Rousseau.
Avec capital