Premier long-métrage entièrement filmé au Yémen, “Nojoom, 10 ans, divorcée” retrace l’histoire d’une fillette mariée de force par son père. Khadija al-Salami, la réalisatrice, était à Paris, lundi, pour présenter ce film tourné dans la clandestinité.
Nojoom a 10 ans lorsque son père lui impose un époux. Nous sommes en 2014, à Sanaa, la capitale du Yémen. Nageant en pleine enfance – et donc en pleine innocence – Nojoom croit que le mariage, c’est porter une robe blanche pour ressembler à une princesse de conte de fées. Pour elle, comme pour de nombreuses petites filles partout dans le monde, se marier n’est pas un projet mais un fantasme fait de paillettes, de prince charmant et de bonheur. Alors, quand elle surprend, un soir, la conversation de ses parents à propos de son futur époux, Nojoom ne se méfie pas de ce qui va lui arriver. Elle s’endort le sourire aux lèvres, enchantée à l’idée de revêtir prochainement une robe des “Mille et une nuits”…
La suite du film de Khadija al-Salami, on la devine facilement : Nojoom est mariée de force, violée le soir de sa nuit de noces – et les soirs suivants –, battue, insultée, terrorisée… Elle réussit à s’enfuir et trouve la protection d’un juge de la capitale, qui décide de porter l’affaire en justice. Au terme d’un procès ubuesque, Nojoom obtient le divorce. Du jamais-vu dans l’histoire du pays.
BANDE-ANNONCE DE “NOJOOM”
Une fille sur sept est mariée avant l’âge de 15 ans
Au Yémen, une fille sur trois est mariée avant 18 ans, et une fillette sur sept avant l’âge de 15 ans,selon l’Unicef. En septembre 2013, la communauté internationale s’était émue de la mort de Rawan, une fillette yéménite de 8 ans, décédée lors de sa nuit de noces. Après le Soudan, le Yémen occupe la deuxième place dans la région Moyen Orient-Afrique du Nord en nombre de mariages précoces par habitant.
La force du film de Khadija al-Salami ne réside pas tant dans la violence du thème choisi que dans la manière de le mettre en scène. Pour illustrer l’absurdité de ces unions précoces, la réalisatrice associe régulièrement à l’écran la légèreté de l’enfance à la brutalité des traditions yéménites : Nojoom vendant son alliance pour acheter une poupée, Nojoom accrochée à celle-ci pendant sa nuit de noces, Nojoom abandonnant les invités de son “mariage” pour aller jouer à la marelle… Le trait est parfois forcé mais jamais caricatural. Comment pourrait-il l’être ? L’histoire de Nojoom est à peine romancée. Elle est tirée d’une histoire vraie, celle de Nojood Ali, une fillette de 10 ans, presque en tout point identique à celle de Nojoom, dont le calvaire avait fait le tour de la planète en 2008.
“La femme est une malédiction”
C’est aussi l’histoire de la réalisatrice, auteure d’une quinzaine de documentaires et fervente militante des droits des femmes. “J’ai vécu la même expérience que Nojood/Nojoom à 11 ans”, explique Khadija al-Salami, lors de la projection de son film en avant-première, lundi 8 juin, à l’Institut du monde arabe à Paris. “J’ai dû me battre contre une famille, contre une société tout entière. Maintenant que je suis adulte, j’ai voulu faire un film coup de poing”, explique-t-elle en français. Dans son long-métrage, Khadija al-Salami critique évidemment le poids des coutumes, le manque d’éducation dans ce pays où 54,5 % des Yéménites vivent sous le seuil de pauvreté. Mais elle ne blâme personne en particulier.
Lors de la scène du procès, le père et le mari de la fillette ne sont jamais dépeints comme de féroces prédateurs mais comme de pauvres ignares, incapables de comprendre leurs fautes. “Mais dites-moi quel crime j’ai commis ?”, ne cesse de répéter l’époux à la barre, davantage terrorisé par la réaction du cheick de son village que par la sentence de la justice ou la gravité de son acte.
“MAIS QUELLE FAUTE AI-JE DONC COMMISE ?”, LANCE LE “MARI” DE NOJOOM LORS DE SON PROCÈS
© Capture d’écran Youtube
Par moment, la réalisatrice semble même compatir au désarroi du père de Nojoom. Quand celui-ci, par exemple, explique au juge qu’il a marié sa fille pour… la protéger ! “Je ne voulais pas qu’elle soit déshonorée” comme sa sœur, qui a été violée plusieurs années plus tôt par un des hommes du village. “La femme est une malédiction”, lâche le père, sans animosité. Ce n’est pas une critique, mais un postulat de base, sous-entend la réalisatrice. “Le problème au Yémen ce n’est pas seulement le comportement de l’époux ou du père de famille, c’est surtout la pauvreté, l’illettrisme, l’ignorance”, explique-t-elle, justifiant ainsi la dernière image du film dans laquelle on peut lire l’inscription : “Le savoir, c’est la lumière”, écrit sur un tableau d’école.
“Tournage cauchemar”
Vivant actuellement à Paris, Khadija al-Salami se bat aujourd’hui pour que son film, qui n’a pas encore trouvé de distributeur, soit diffusé. Pour qu’il puisse aider à faire bouger les mentalités. “Il n’y a pas de loi au Yémen contre le mariage avant 18 ans, explique-t-elle, il a donc fallu trouver une autre voie pour dénoncer ces unions forcées”. La voie cinématographique. “Avec cette fiction, je veux forcer les parents [yéménites] à réfléchir à leurs actes, je ne veux pas qu’ils rejouent mon film sans le savoir. Et pour cela, j’aimerais pouvoir faire des projections dans chaque village de mon pays”, ajoute-t-elle.
C’est pour réaliser ce rêve un peu fou que la réalisatrice a voulu que son long-métrage soit entièrement tourné au Yémen, malgré les difficultés, les embûches, l’absence de culture de cinéma et l’absence d’autorisation. Khadija al-Salami a tourné son film clandestinement – le classant par la même occasion au rang de première fiction intégralement réalisée sur le sol yéménite. “Il fallait que ce soit là-bas, se justifie-t-elle… On m’a proposé de le tourner au Maroc, j’ai dit ‘non’… Mais je dois reconnaître que ce tournage a été un cauchemar du début à la fin !”, lâche-t-elle en riant.
“Film reçu en plein plexus”
Effrayée à l’idée de ne pouvoir l’achever, Khadija al-Salami a longtemps gardé secret le sujet de son film. Même ses comédiens ne connaissaient que vaguement le thème de “Nojoom”. “J’ai été très discrète, tout le temps. J’ai dû tourner, par exemple, la scène de la nuit de noces, le dernier jour, au dernier moment. J’ai aussi menti au tribunal pour avoir l’autorisation de tourner dans leurs locaux. Je leur ai dit que je racontais l’histoire d’une ‘fille’ qui veut divorcer, pas d’une ‘fillette’”, raconte-t-elle le sourire aux lèvres. “L’équipe du film a été chassée de certains villages, on a dû faire face à des coupures d’électricité… C’était complètement surréaliste”.
Surréaliste mais nécessaire, l’a félicité la garde des Sceaux Christiane Taubira, présente à la projection et visiblement très émue. “J’ai reçu le film en plein plexus”, a-t-elle déclaré en serrant la réalisatrice dans ses bras, sous un tonnerre d’applaudissements.
Reste désormais à trouver un distributeur pour que “Nojoom” remplisse complètement son rôle : informer. “Il faut que ça marche, a lancé la réalisatrice en guise de prière, il faut le montrer au grand public parce qu’il faut que tout le monde sache.”
Vous pouvez consulter le lien suivant :
http://www.france24.com/fr/20150609-yemen-nojoom-10-ans-divorcee-film-mariages-enfants-khadija-al-salami-cinema-droits-femmes?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=FB&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_campaign_ref=partage_user&aef_campaign_date=2015-06-09
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