Diversifier l’économie et produire localement : selon ce banquier d’affaires, telles doivent être les priorités du gouvernement pour relancer durablement la machine.
Gregory Kronsten est l’économiste en chef de FBN Quest, la banque d’affaires de First Bank of Nigeria, premier groupe bancaire du pays. Ce diplômé d’Oxford, qui vit entre Londres et Lagos, diagnostique pour Jeune Afrique la situation du Nigeria et les moyens dont il dispose pour relever la tête.
Jeune Afrique : Comment les marchés financiers ont-ils réagi à l’annonce de l’entrée en récession du Nigeria ?
Gregory Kronsten : Tout le monde s’attendait à de mauvais chiffres, y compris la ministre des Finances, Kemi Adeosun. Personnellement, je pensais que ce serait encore pire : nous avions estimé que le PIB baisserait de 2,9 % au deuxième trimestre [contre 2,06 % finalement], en raison notamment des pertes importantes d’hydrocarbures – un demi-million de barils par jour. Ce n’était donc pas une surprise. Les investisseurs en portefeuille reviennent progressivement en Bourse et sur le marché de la dette, qu’ils avaient totalement désertés, mais du côté des investissements directs, les gens attendent de voir comment le nouveau système de change va s’installer.
Pensez-vous que la situation va se rétablir au second semestre ?
Oui, si les autorités parviennent à restaurer la sécurité dans le delta du Niger. Un mieux pourrait être constaté au quatrième trimestre, mais cela ne serait pas mirobolant : l’économie retrouverait une certaine stabilité. Cela permettrait de faire avancer des projets intéressants pour le Nigeria, notamment celui de complexe pétrochimique porté par le groupe Dangote. Ce serait un signal fort, car cette raffinerie pourrait couvrir la totalité des besoins du Nigeria en carburants, voire permettre au pays d’exporter.
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Le taux de change flottant du naira, mis en place en juin par la banque centrale, suffit-il pour rééquilibrer cette monnaie ?
Les autorités auraient pu aller un peu plus loin. Dès le premier jour, le naira s’est échangé quasiment au taux maximum. Surtout, elles auraient pu prendre cette décision plus tôt. L’exécutif ne voulait pas le faire, mais il n’avait plus le choix.
Sanusi Lamido Sanusi, l’ancien gouverneur de la banque centrale, a déclaré que les difficultés du Nigeria ne sont pas imputables à la seule chute du prix du pétrole. D’après lui, le gouvernement aussi est responsable…
S’il parle du rythme des réformes, je peux comprendre. Mais sur le fond, la diversification prévue par les autorités, notamment dans l’agro-industrie, est précisément ce qu’il préconisait lorsqu’il était gouverneur. Les réformes vont dans le bon sens. Tous les gouvernements nigérians, au cours des vingt ou trente dernières années, ont parlé de diversifier l’économie mais ont globalement abandonné parce que les intérêts dans le pétrole étaient trop grands.
Ce gouvernement-là semble un peu plus déterminé que les autres. Mais combien de temps faudra-t-il avant que les bénéfices soient visibles ? Et la population sera-t-elle assez patiente ? Quand Buhari a gagné les élections, le grand message était « le changement ». En étant un peu cynique, on pourrait dire qu’on n’a pas vu beaucoup de changements jusqu’ici ; regardez par exemple les problèmes d’accès au carburant.
Le Nigeria va beaucoup s’appuyer sur le secteur privé, notamment dans l’énergie.
Quelle doit être la priorité du gouvernement ?
L’immense marché intérieur doit être au cœur de sa stratégie. Les gens consommeront ce qui sera produit localement et les surplus pourront être exportés. Dans le secteur agricole, par exemple, de nombreuses cultures de rente peuvent entrer dans ce schéma, comme la noix de cajou, l’arachide ou l’huile de palme.
Dans le domaine manufacturier, le Nigeria est le pays le plus développé de la région, il pourrait donc vendre massivement chez ses voisins. Mais avant tout, produisons localement, cela représentera une immense économie sur la balance des paiements. Les statistiques montrent déjà une baisse des importations de produits agricoles alors même que la population augmente.
Le budget 2016 est en forte hausse et pas moins de 5 milliards de dollars [près de 4,5 milliards d’euros] sont consacrés aux infrastructures. Où le Nigeria va-t‑il trouver cet argent ?
Il faut préciser qu’on est encore loin des niveaux annoncés. Fin août, le gouvernement n’avait débloqué que 400 milliards de nairas [environ 1,1 milliard d’euros] dans les infrastructures, selon les chiffres fournis par le ministre du Budget, Udo Udoma. D’une part, le Nigeria va beaucoup s’appuyer sur le secteur privé, notamment dans l’énergie, pour financer ce budget. De l’autre, il compte sur les dons de partenaires, la Chine par exemple, s’agissant notamment des projets de rails. Mais il est certain que le gouvernement n’atteindra pas le montant des dépenses prévues cette année. Peut-être l’année prochaine, et encore…
Êtes-vous optimiste pour l’euro-obligation de 1 milliard de dollars prévue fin septembre ?
Il est tout à fait possible d’y parvenir. Les taux d’intérêt sont globalement négatifs dans de nombreux pays développés, donc les pays émergents sont les seuls qui peuvent être rémunérateurs. Il est même probable que la souscription excède le milliard de dollars et, dans ce cas, la tentation sera grande de l’accepter. Pour dix ans, le gouvernement devrait être en mesure d’emprunter à un taux inférieur à 7 %.
Buhari est-il armé pour gérer cette situation, lui qui avait promis un programme de lutte contre Boko Haram ?
Il est vrai que certains investisseurs perdent patience face à un Buhari qui n’est pas très pro-marché. Mais il continue d’avoir la confiance des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’UE et de la Chine. Il y a des progrès sur le front de la lutte contre Boko Haram et une amélioration de la gouvernance. Il va falloir faire des compromis entre les plans d’actions militaires et les initiatives sociales, mais Buhari ne sera pas contraint d’abandonner ses priorités initiales, comme la lutte contre la corruption.
Outre l’impact sur ses voisins directs comme le Bénin, la situation du Nigeria pénalise-t-elle le reste de l’Afrique de l’Ouest ?
Le principal impact est que le Nigeria bloque la signature de l’accord de partenariat économique entre la Cedeao et l’UE, et il est peu probable qu’il change de position. Certains pays membres pourraient envisager des accords bilatéraux.
avec jeuneAfrique