Des hommes armés et cagoulés ont empêché durant plusieurs heures les élus et les employés de l’institution d’accéder au bâtiment.
Le chef de l’agence de renseignement nigériane a été limogé, mardi 7 août, à la suite de la prise de contrôle illégale du Parlement par les forces de sécurité, énième rebondissement après des mois de bras de fer entre l’exécutif et les législateurs et à six mois de l’élection présidentielle.
Postés mardi dès 7 heures aux abords du Parlement à Abuja, la capitale fédérale, des hommes armés et cagoulés portant des insignes de la police et de l’agence de renseignement intérieur (DSS) ont empêché durant plusieurs heures parlementaires, employés et journalistes d’accéder au bâtiment. Les législateurs ont finalement pu entrer, après avoir vivement protesté.
Indignation
Cette opération a rappelé à de nombreux Nigérians les longues années de pouvoir militaire avant le retour de la démocratie en 1999. « L’exécutif a l’habitude d’utiliser les services de sécurité pour servir ses propres intérêts, mais cela a largement empiré avec ce gouvernement », a commenté à l’AFP Cheta Nwanze, du cabinet de conseil SBM Intelligence, basé à Lagos.
Face à l’indignation générale dans les médias et sur les réseaux sociaux, la présidence de la République a annoncé en début d’après-midi le limogeage du patron de la DSS. Le vice-président Yemi Osinbajo, qui assure l’intérim à la tête du pays durant les vacances du chef de l’Etat, Muhammadu Buhari, a ordonné « la cessation avec effet immédiat » des fonctions de Lawal Musa Daura.
Il a décrit « la prise de contrôle non autorisée » du Parlement comme « une violation flagrante de l’ordre constitutionnel […] et de toutes les notions acceptables de la loi et de l’ordre », assurant qu’elle avait été menée « à l’insu de la présidence ». Ancien militaire à la retraite, Lawal Musa Daura faisait pourtant partie du cercle proche de M. Buhari, originaire comme lui de Katsina (nord).
Bras de fer
L’opposition a accusé la présidence de vouloir lancer une procédure de destitution contre le président du Sénat, avec lequel les relations sont notoirement exécrables. « Nous avons été informés que les sénateurs de l’APC [au pouvoir] essayaient de renverser le leadership. C’est antidémocratique », s’est insurgé Ben Murray-Bruce, un sénateur du principal parti d’opposition, le Parti démocratique du peuple (PDP).
Cet incident est le dernier rebondissement en date dans le bras de fer opposant depuis des mois le chef de l’Etat, qui espère briguer un second mandat en février 2019, au président du Sénat, Bukola Saraki, auquel beaucoup prêtent des ambitions présidentielles. M. Saraki, fin politicien qui a quitté la semaine dernière l’APC pour rejoindre le PDP, a manœuvré en coulisses le blocage de nombreux textes de lois voulus par l’exécutif, dont le budget 2018, qui a mis plus de huit mois à être adopté.
Il est également soupçonné d’avoir orchestré la vague de défections massives qui a secoué le parti au pouvoir, mi-juillet, avec la démission de 14 sénateurs et de 37 membres de la chambre basse. Les parlementaires avaient ensuite ajourné les sessions du Parlement au 25 septembre, suscitant de vives critiques de la part de l’exécutif, qui réclamait en urgence le déblocage de fonds pour l’organisation des élections générales prévues en février 2019.
« Faux pas »
Selon plusieurs experts et éditorialistes nigérians, cette clôture parlementaire précoce visait justement à empêcher toute tentative de destitution par l’APC, qui n’a cessé de réclamer – en vain – la démission de M. Saraki ces derniers jours. Dès lundi soir, de nombreux messages circulaient sur la messagerie WhatsApp pour prévenir qu’un « coup » se préparait contre le leader du Sénat et appeler ses partisans à se mobiliser devant le Parlement.
« La destitution visait à se débarrasser d’un formidable opposant, estime Cheta Nwanze. En tant que président du Sénat, il reste en position de contrecarrer leurs plans » pour affaiblir l’opposition. Mais « à chaque faux pas, ils ne font que renforcer sa position », souligne l’analyste. L’issue d’une procédure de destitution – qui doit être votée à la majorité des deux tiers – reste en outre très risquée pour l’APC, qui a perdu la majorité à la chambre haute (109 sièges) depuis les récentes défections internes.
L’administration de Buhari, dont l’élection en 2015 avait soulevé de grands espoirs après des années de mauvaise gestion par le PDP, est désormais sous le feu des critiques pour ses résultats médiocres en termes de gouvernance économique et de lutte contre la corruption et l’insécurité.
Avec lemonde