Le Niger et le Nigeria viennent de signer un mémorandum d’entente pour la réalisation d’infrastructures énergétiques communes, dont des oléoducs ainsi que des raffineries. Dans un premier temps, le Niger va pouvoir exporter son pétrole brut vers le Nigeria. Mais in fine, les deux pays voisins entendent mettre en valeur leur production nationale qui recèle un important potentiel confirmé par de nouvelles découvertes et portée par de nouveaux débouchés.
C’est avec des sourires empreints de solennité et des poignées de main chaleureuses que Mahamadou Issoufou et Muhammadu Buhari ont immortalisé, ce mardi 24 juillet au palais présidentiel d’Aso Rock Villa d’Abuja, un évènement d’envergure pour le Niger et le Nigeria. Les deux chefs d’Etat ont en effet présidé la signature du mémorandum d’entente pour la construction d’une série d’infrastructures énergétiques destinées à mettre en valeur le potentiel gazier et pétrolier des deux pays voisins. Le mémorandum qui est constitué d’une déclaration commune d’intention ainsi que d’autres accords bilatéraux techniques ont été signés côté nigérien par le ministre du Pétrole, Foumakoye Gado, et côté nigérian par son homologue Emmanuel Ibe Kachikwu. Il consiste en la réalisation par les deux pays de projets d’oléoducs et de raffineries pour assurer des débouchées aux productions énergétiques des deux pays.
Dans le projet initial, il s’agissait de la construction d’un pipeline de plus de 1000 kilomètres qui relierait le champ pétrolier d’Agadem dans le nord du Niger -exploité par la société chinoise CNPC- à la raffinerie de Katsina située dans le nord du Nigeria, à la frontière entre les deux pays. L’idée avait émergé fin 2016 avec l’intention du gouvernement fédéral de remettre en marche les principales raffineries du pays dont certaines étaient quasiment à l’arrêt du fait de la non disponibilité du stock de brut nécessaire. C’était au lendemain de l’arrivée de Buhari au pouvoir et alors que le premier producteur de l’or noir du Continent faisait face à une crise énergétique des plus sévères, engendrée par la baisse des cours du pétrole sur les principaux marchés internationaux qui a freiné les investissements dans l’industrie pétrolière, ainsi que les attaques doublées de sabotage par les rebelles du MEND, des principales installations pétrolières situées dans le Delta du Niger au sud du Nigéria. Muhammadu Buhari avait alors décidé de recourir aux investissements privés pour remettre les principales raffineries du pays.
Face à la difficulté de s’approvisionner à partir des champs situés dans le sud du pays, la solution de recourir à la production nigérienne est apparue la mieux adaptée, d’autant que le Niger -malgré sa modeste production- était aussi à la recherche de débouchés pour exporter son or noir. La seule et unique raffinerie dont dispose le pays, la Soraz de Zinder, entrée en service en 2011 et détenue par l’Etat et la CNPC, n’a qu’une capacité de raffinage de 20 000 barils par jour, alors que le Niger projetait de quadrupler sa production à l’horizon 2020 aux fins d’en exporter la grande partie sur les marchés internationaux. Après avoir envisagé un temps le port de Cotonou au Bénin, la solution finale a été celle de passer par le port de Kribi au Cameroun, à travers le pipeline tchado-camerounais.
Débouchés commerciaux
Bien que tous les accords y afférents ont été signés par les trois pays, la piste tchado-camerounaise attend encore de voir le jour en raison notamment de la situation sécuritaire, mais aussi des délais nécessaires pour mobiliser les financements. Pendant ce temps, les explorations dans plusieurs blocs situés dans le nord du pays n’ont cessé de confirmer la montée en puissance des réserves d’or noir et de gaz nigériens, amplifiant l’impatience pour le pouvoir de Niamey qui ambitionne de se hisser au rang d’exportateur net de l’or noir et ainsi financer son développement.
C’est donc naturellement que la solution nigériane a fait son bout de chemin et depuis novembre 2016, les négociations entre les deux gouvernements d’une part et avec la CNPC et des investisseurs privés se sont poursuivies.
C’est ce qui vient d’ailleurs d’être acté à Abuja ce mardi où pour l’occasion, le président Issoufou a fait spécialement le déplacement à travers une visite de travail chez son homologue Buhari. Pour la première phase, le projet consistera en la réalisation donc d’un oléoduc qui transportera le pétrole brut nigérien du bloc d’Agadem au site de la raffinerie, lequel est situé dans la localité de Machi dans l’Etat de Katsina, à la frontière entre les deux pays. Selon des médias nigérians qui ont annoncé quelques détails, la réalisation de ce projet sera portée par un opérateur privé -Blakoil Energy Refinery- et nécessitera un investissement estimé à 2 milliards de dollars, soit plus de 700 milliards de nairas.
Selon les premières estimations, il devrait générer la création de 2 500 emplois directs et plus de 10 000 emplois indirects, en plus des retombées socio-économiques pour les populations des deux pays. Cependant, les deux pays envisagent l’extension des infrastructures avec d’autres projets, notamment de gazoducs et de raffineries ainsi qu’un réseau de pipelines dans la partie nord et nord-est frontalière entre les deux pays où des gisements ont été dernièrement mis à jour, qu’il s’agisse de gaz ou de pétrole.
Nouvelles ambitions communes
Comme l’appétit vient en mangeant, les négociations tant techniques que politiques entre Niamey et Abuja ont fait émerger l’idée pour les deux pays de voir encore plus grand. Au-delà de ce premier projet commun, le Niger et le Nigeria entendent désormais réaliser des infrastructures communes pour mette en valeur leurs productions nationales d’autant que les perspectives sont des plus reluisantes pour les deux pays avec les récentes découvertes au niveau de plusieurs champs d’exploration, mais aussi les débouchées qu’offrent les marchés régionaux, continentaux et même au-delà pour le pétrole et surtout le gaz.
C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre le président Buhari lors de l’allocution qu’il a prononcée en marge de la cérémonie du mémorandum d’entente. «Le Nigeria considère cette coopération en matière d’exportation de pétrole brut en provenance de la République du Niger et la construction d’installations de raffinage dans l’Etat de Katsina comme un partenariat gagnant-gagnant pour les deux nations», s’est ainsi exprimé le chef de l’Etat nigérien en réponse à son homologue du Niger qui a salué ces ambitions communes de nature à promouvoir l’intégration africaine au-delà de leurs retombées pour les deux pays.
«L’initiative fournira non seulement un marché fiable pour le pétrole brut en provenance de la République du Niger, mais fournira également des produits pétroliers pour le Nigeria, car nous allons poursuivre et renforcer notre stratégie d’autosuffisance énergétique. En outre, j’espère que les efforts actuels d’exploration des champs dans la partie nord du pays -Bassin du lac Tchad de Gongola, de Sokoto, de Bida et de Bénoué- permettront également de fournir un apport supplémentaire d’hydrocarbures à la région nord de notre pays et permettront la réalisation d’un vaste réseau de pipeline et une potentielle raffinerie toujours dans la région de Kaduna», a déclaré Buhari.
Feuille de route
De bonnes perspectives donc qui restent toutefois et pour l’heure au stade de projets. Afin de garantir sa réussite, le projet sera, selon les termes du mémorandum, porté par le secteur privé avec le soutien des deux gouvernements et à en croire les deux chefs d’Etat, plusieurs investisseurs potentiels ont déjà manifesté leurs intérêts. Pour le suivi de la réalisation, un comité directeur a été créé et sera présidé par le ministre nigérian du Pétrole, secondé par son homologue nigérien. Ils assureront la direction technique, la supervision stratégique, ainsi que la gouvernance du projet. Par ailleurs, un comité technique conjoint a été également mis en place afin d’élaborer la feuille de route et la stratégie de mise en œuvre des projets de raffineries et de pipelines.
Il est attendu que la feuille de route de la réalisation de toutes les infrastructures convenues sera finalisée d’ici décembre prochain, avec comme objectifs à définir : les études de faisabilité susceptibles de bénéficier d’un concours financier, tant pour les projets de raffineries que pour les projets de pipelines, un site de projet optimal, des itinéraires pour les oléoducs, un plan de sécurisation, ainsi que l’identification des consortiums d’investisseurs sur la base de ceux qui ont été préalablement sélectionnés pour les projets de raffineries et de pipelines. Bref, après les déclarations d’intention, c’est véritablement maintenant que les choses sérieuses commencent pour les deux pays.
Avec latribune afrique