L’économiste nigérien Abdallah Boureima a été désigné nouveau président de la Commission de l’UEMOA à l’occasion de la dernière conférence extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’organisation sous régionale qui s’est tenue le 10 avril dernier à Abidjan. Cette nomination met ainsi fin au feuilleton diplomatique dont le Niger et le Sénégal ont été les principaux acteurs ces derniers mois pour le contrôle du poste. Sur fonds de concessions et de médiation, le nouveau président de la Commission de l’UEMOA, un proche du président nigérien Mahamadou Issoufou, va s’atteler à relever plusieurs défis auxquels sont confrontés les 8 pays membres de l’organisation au premier rang desquels les menaces sécuritaires, principal facteur à risques pour la dynamique d’intégration et de croissance régionale.
C’est l’épilogue d’une guéguerre diplomatique entre le Niger et le Sénégal pour le contrôle de la présidence de la Commission de l’UEMOA. Une crise en sourdine qui a fini par impacter le fonctionnement des principaux organes de l’organisation communautaire et qui vient de prendre fin à Abidjan avec la désignation, lundi 10 avril, du nigérien Abdallah Boureima comme nouveau président de la Commission. Le nigérien qui a été désigné à ce poste par la Conférence extraordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’institution d’intégration sous-régionale succède donc au sénégalais Cheick Hadjibou Soumaré, démissionnaire depuis le 1er décembre dernier.
L’économiste nigérien Abdallah Boureima, 63 ans, occupait depuis 2011 et jusqu’à sa désignation aux commandes de l’UEMOA, le commissaire en charge des politiques économiques et de la fiscalité intérieure. Autant dire qu’il connait très bien la maison ainsi que les principaux défis pour l’organisation et ses huit Etats membres.
Un banquier rodé sur le marché financier régional
Diplômé des universités de Toulouse et Rennes, Abdallah Boureima est titulaire, entre autres, d’une maîtrise en « sciences de gestion » et d’un DESS en « carrières bancaires et financières » des Universités de Toulouse 1 et de Rennes 1. C’est un ancien cadre de l’administration nigérienne mais également de la BCEAO, la banque centrale des Etats membres de l’UEMOA. Il fut ainsi ministre de l’Economie et des finances du Niger, de 1993 à 1994 à l’époque où Mahamadou Issoufou, l’actuel chef d’Etat nigérien dont il est très proche, était à la tête du gouvernement. Par la suite, il a occupé d’importantes fonctions dans le secteur privé notamment comme administrateur ou directeur général d’établissements bancaires nigériens (BDRN, SONIBANK), de compagnies d’assurance et de sociétés minières. Enseignant vacataire à la faculté de droit et des sciences économiques(FSEJ) de l’Université de Niamey durant quelques temps, il a également occupé les fonctions de directeur général du holding de la défunte Banque régionale de Solidarité (BRS), une banque communautaire de l’UEMOA lancée en 2005 à l’initiative de la BCEAO et qui fut présente dans les 8 pays membres avant d’être finalement racheté en 2012 par le groupe ORABANK.
C’est donc un homme d’expérience qui en plus de connaitre les principaux rouages de l’organisation, dispose d’une expertise confirmée des enjeux économiques et monétaires du marché financier régional et continental. Comme commissaire de l’UEMOA, Abdallah Boureima a d’ailleurs eu à présider le Comité de convergence de la « Zone franc », un organe commun entre l’UEMOA et la CEMAC pour la cohérence des politiques monétaires et économiques dans ces deux espaces d’intégration sous-régionale qui ont en commun le Franc CFA.
Jeu de dupes entre Issoufou et Sall
La sérénité est donc de retour au sein de l’UEMOA, et c’est ce qui compte, car il s’en est fallut de peu pour que l’organisation soit véritablement ébranlée par la guerre de leadership qui opposait Niamey et Dakar pour la présidence de la Commission. Le président en exercice de la Conférence des chefs d’Etat de l’UEMOA, l’ivoirien Alassane Dramane Ouattara a dû user de tout son talent de médiateur pour trouver une sortie de crise à ce qui ressemblait bien à une impasse au vue des prétentions des présidents Issoufou Mahamadou du Niger et de son homologue sénégalais Macky Sall. C’est du reste ce qui a fait retarder le sommet ordinaire de l’organisation, qui était prévue depuis janvier dernier.
En février dernier, la guéguerre s’est d’ailleurs amplifié à la suite de la décision du Sénégal de rempiler à la tête de la commission avec la désignation d’un nouveau commissaire, l’économiste Abdoulaye Diop, ancien ministre du budget de Wade et conseiller spécial du président sénégalais que Macky Sall avait voulu faire porter à la présidence de la Commission en succession de son compatriote Cheick Hadjibou Soumaré. Le Niger a aussitôt objecté auprès du chef d’Etat ivoirien qui a finalement pu mener une médiation de haute couture pour pousser les deux chefs d’Etat à accorder leurs violons. Au final, c’est le Sénégal qui s’est incliné puisque le Niger a fini par accéder au poste non sans marchander d’autres arrangements qui font de la victoire diplomatique du Niger, un coup d’éclat presque en trompe-œil.
En plus de la présidence du Conseil régional de l’épargne publique et des marchés financiers (CREPMF) qui a été attribué au sénégalais Mamadou Diop comme lot de consolation, Macky Sall a pu sécuriser pour les prochains mandats plusieurs postes stratégiques relevant de l’UEMOA.
Le Niger va certes diriger la Commission de l’UEMOA mais pour un seul mandat et en 2021, le Sénégal reprendra de droit ce poste qui sera à partir de cette échéance, sa chasse gardée. C’est en tout cas ce qu’a mis en avant la présidence sénégalaise pour expliquer la concession faite au Niger, laquelle va sans dire, est perçue dans le pays de la Téranga comme un nouvel échec de la diplomatie sénégalaise, après la surprenante défaite d’Abdoulaye Bathily au poste de président de la Commission de l’UA en janvier dernier.
C’est du reste conscient de cette interprétation qui sera faite au niveau interne que la présidence sénégalaise a vite fait de rendre public un communiqué officiel, en parallèle de celui de l’UEMOA, et dans lequel Macky Sall explique que c’est « dans un esprit de solidarité et de fraternité et dans le souci de permettre la poursuite du bon fonctionnement de l’Union, qu’il a répondu favorablement à la sollicitation de ses pairs pour l’attribution jusqu’en 2021, de la présidence de la Commission de l’UEMOA au Niger, soit pour un mandat unique ». Selon la présidence sénégalaise, cette sollicitation est en application des dispositions de l’Acte additionnel n°07/ 2011/ CCEG/ UEMOA qui stipulait que le Sénégal devait assurer un mandat unique de quatre ans au terme duquel seul le Niger devait présenter un candidat pour le poste de Président de la Commission de l’UEMOA. C’est justement ce que défendait le Niger depuis plusieurs années mais que contestait le Sénégal, ce qui a engendré la crise larvée qui a secoué la Commission.
« La Conférence a décidé qu’à la fin du mandat du Niger, en 2021, le Sénégal reprendra de manière définitive la Présidence de la Commission de l’UEMOA ». Présidence Sénégalaise
En somme le président sénégalais a bien fait des concessions mais au final c’est lui qui gagne la mise surtout qu’il va occuper, à partir d’octobre 2018, le poste de vice-gouverneur de la BCEAO pour un mandat unique, un poste occupé par un nigérien depuis la création de l’institution.
Défis sécuritaires pour une véritable intégration sous régionale
Des marchandages donc et un jeu de dupes en bonne et due forme pour un leadership sous-régional qui vaut son pesant surtout au regard de l’importance que prend de plus en plus l’UEMOA dans la sous-région mais aussi au delà.
C’est d’ailleurs l’un des principaux défis du nouveau président de la Commission, celui de consolider le processus d’intégration sous-régionale qui se matérialise par plusieurs chantiers stratégiques dans l’espace UEMOA. Abdallah Boureima va devoir s’atteler à conforter la dynamique économique assez reluisante des pays de l’UEMOA en renforçant les projets d’intégration et les échanges commerciaux dans ce marché de 70 millions d’habitants qui s’attend à une croissance de son PIB de 7% en 2017 après 6,8% en 2016. Les perspectives jusqu’en 2021 restent tout aussi favorables selon les dernières projections du FMI même si l’UEMOA doit désormais faire face aux risques que font peser les menaces sécuritaires sur sa dynamique économique.
C’est la ligne conductrice de la feuille de route pour le nouveau président, laquelle est donc toute tracée comme l’a rappelé d’ailleurs le président en exercice de la Conférence des chefs d’Etats devant ses pairs de la sous-région. « La lutte contre le terrorisme doit se faire en intensifiant nos efforts, pour plus de croissance économique, l’amélioration des conditions de vie de nos populations et la création d’emplois pour notre jeunesse » a souligné Alassane Dramane Ouattara.
« Face à la recrudescence d’actes terroristes, d’enlèvements et autres crimes perpétrés par des groupes armés non étatiques dont la seule volonté est de semer la peur et le chaos, il est urgent d’intensifier la mise en œuvre du Plan d’action pour la paix et la sécurité dans l’espace UEMOA, adopté le 5 juin 2016 à Dakar ». Alassane Ouattara
Il n y a pas de développement sans sécurité et contexte actuel oblige, l’organisation d’intégration économique et monétaire, l’UEMOA va devoir se charger de contribuer à l’effort de ses pays membres pour faire face aux risques de chocs sécuritaires tout en poursuivant ses efforts destinés à converger les politiques nationales pour un développement sous-régional commun. C’est désormais le défi prioritaire d’Abdallah Boureima qui fort heureusement en connait plus qu’un rayon en matière d’anticipation et de gestion des risques…
Avec latribune