C’est à la fois l’un des hommes d’affaires les plus prospères et les plus secrets du pays. Mais en pleine controverse sur l’amont pétrolier, le PDG d’Itoc et conseiller de Macky Sall est monté au créneau.
De mémoire de journaliste, Abdoulaye Diao, le PDG d’International Trading Oil and Commodities (Itoc), surnommé « Baba », n’a jamais fait de sortie médiatique en quelque trente ans de négoce de pétrole et de produits finis. Il aura fallu une lettre ouverte d’Abdoul Mbaye, ancien Premier ministre de Macky Sall aujourd’hui à la tête du parti d’opposition Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT), pour que l’homme d’affaires sorte de son mutisme, le 19 août.
Dans cette missive, l’ancien banquier interpelle le président sénégalais sur les relations peu orthodoxes qui existeraient entre son jeune frère, Aliou Sall, et certaines majors intervenant dans l’amont pétrolier au Sénégal.
Alors que le premier baril de pétrole sénégalais, découvert en 2014 dans le sous-sol maritime, n’est pas encore commercialisé, il évoque « la mise en place par l’un des conseillers spéciaux du président d’un dispositif visant au contrôle, dans l’aval pétrolier, de la cession future des parts de production revenant à l’État du Sénégal. Avec la création à Genève, par ce même conseiller, de la société Itoc Suisse et d’une banque au Sénégal [Outarde SA] ».
La défense de « Baba »
Pour Abdoulaye Diao, qui est aussi le conseiller spécial en énergie du chef de l’État, c’est clair : il est la cible de la lettre d’Abdoul Mbaye. Il a donc fait publier une réponse de deux pages dans plusieurs journaux de Dakar : « [La création de la filiale Itoc Suisse, le 15 mars 2015 à Genève, a été] dictée par nos activités à l’international, qui nous imposent d’être présents sur cette place où tous nos concurrents ont leurs sièges ou leurs filiales. Dans un environnement hautement concurrentiel, elle est chargée de gérer le volet financier des importations de pétrole brut et de produits pétroliers, les opérations de couverture et la réservation de tonnages », affirme-t-il.
En ce qui concerne la banque Outarde SA, « Baba » rappelle que ce « projet est très ancien et date d’une époque où nul ne prédisait la découverte, dans [le] pays, de gisements de pétrole et de gaz ». Et il conclut par cette question à Abdoul Mbaye : « Est-il vrai ou faux que je vous ai proposé, dans votre bureau de directeur général de la Banque sénégalo-tunisienne, il y a une dizaine d’années, un projet commun de création de banque ? Je n’ai jamais obtenu de réponse de votre part. »
Le rôle controversé du frère du président sénégalais
L’ACT a souligné que le patron d’Itoc omettait de répondre aux vraies questions posées et que le principal visé n’était d’ailleurs pas lui mais le chef de l’État. En effet, une partie de l’opposition politique et de la société civile soupçonne fortement son frère Aliou Sall d’être impliqué dans des activités spéculatives (achat et revente de licences) dans l’amont pétrolier.
Au-delà de cette controverse qui secoue la classe politique du pays, ce jeu de ping-pong a mis en lumière l’un des hommes les plus prospères mais aussi les plus discrets du Sénégal. Abdoulaye Diao – qui n’a pas répondu à notre demande d’interview – a la haute main sur le segment aval du secteur des hydrocarbures.
D’après les dernières données disponibles, en 2014, son entreprise de négoce de brut et de produits raffinés, l’un des principaux fournisseurs de la Société africaine de raffinage (SAR) et de la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec), a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 224 milliards de F CFA (341,5 millions d’euros). Et elle comprend aussi Itoc Shipping, spécialisé dans la consignation et le transit au port de Dakar, pour son propre compte ainsi que pour celui des autres opérateurs.
Surdoué aux multiples talents
Peul né à Thiès, Abdoulaye Diao acquiert dès le lycée une réputation de surdoué. Après avoir décroché la mention très bien au baccalauréat, il obtient une bourse d’études et atterrit en 1968 au lycée parisien Louis-le-Grand. Quelques années plus tard, il obtient les diplômes d’ingénieur de l’École centrale de Lille et de l’Institut français du pétrole (IFP), mais aussi une licence de sciences physiques et de sciences économiques.
De retour au bercail, il intègre l’administration sénégalaise et devient premier conseiller technique dans le cabinet de Cheikh Hamidou Kane, ministre chargé de l’Énergie et des Hydrocarbures et par ailleurs écrivain, auteur de L’Aventure ambiguë. En 1981, on lui demande de jeter les bases de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen). Mais, une fois sa mission accomplie, il quitte l’administration.
Dans sa réponse à Abdoul Mbaye, Abdoulaye Diao révèle que Cheikh Fall, diplômé de l’École supérieure d’électricité de Paris et premier directeur général de la compagnie aérienne panafricaine Air Afrique, lui conseille alors de créer sa propre société. Itoc voit ainsi le jour. Et Ousmane Fall, sorti de l’IFP et premier Sénégalais à être désigné patron de la SAR en 1969, l’aide à « rendre effectives les premières participations, en 1986, de la société aux appels d’offres [du raffineur national] ».
Une puissance indéniable
Ancien président – pendant deux décennies – d’Oryx Sénégal, actif dans l’approvisionnement, le stockage et la distribution de pétrole et de gaz, et depuis juillet dernier à la tête du conseil d’administration de Puma Energy Sénégal, filiale locale de la compagnie suisse, Abdoulaye Diao est aujourd’hui l’importateur de pétrole le plus important de son pays.
Ce qui l’expose aux humeurs d’un gouvernement dont la totalité des besoins en hydrocarbures dépendent de l’importation. Ainsi, en 2011, une épreuve de force l’a opposé à Karim Wade, alors tout-puissant ministre chargé de l’Énergie. Pour cause de défaut de paiement d’une précédente livraison, il bloque pendant plusieurs semaines un tanker de 33 000 tonnes de fioul destinées à la Senelec.
Un an plus tard, au lendemain de sa défaite électorale, Abdoulaye Wade prétexte de la présence dans l’actionnariat d’Itoc de son opposant Moustapha Niasse – président, par la suite, de l’Assemblée nationale – pour accuser l’entreprise du détournement d’une cargaison de pétrole nigérian destinée au Sénégal. Ce que l’intéressé démentit catégoriquement.
Dans les pas de « Baba »
Moussa Diao, fils d’Abdoulaye, est depuis 2009 le patron Afrique de l’Ouest d’Oryx Énergies, basé à Genève. C’est son père qui a contribué à créer la filiale sénégalaise de la compagnie suisse et qui en a assuré la présidence pendant vingt ans (1987-2007). Faut-il y voir un lien de cause à effet ? « J’ai rencontré les gens d’Addax [aujourd’hui Oryx Énergies] et leur fondateur, le Franco-Égyptien Jean-Claude Gandur, lors de mon stage de fin d’études, avait expliqué Moussa Diao à Jeune Afrique. Ils cherchaient des profils africains bien formés pour développer leurs affaires sur le continent. »
Quoi qu’il en soit, cet ingénieur physicien réputé pour sa mémoire phénoménale des chiffres gère annuellement un portefeuille de plus de 2 millions de tonnes de produits pétroliers (soit un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de dollars) et dirige une équipe d’une dizaine de traders. Et il est passé, comme son père, par de prestigieuses écoles d’ingénieurs – l’École polytechnique fédérale de Lausanne puis l’Institut français du pétrole.
Avec jeuneAfrique