Au travail, nous confondons trop souvent vitesse et précipitation. Du coup, il nous arrive de faire trop vite des choix importants, des choix dont nous nous mordons les doigts longtemps après : le jour où nous n’avons pas écouté l’idée de cet employé qui, peu après, a créé un produit révolutionnaire dans sa start-up, ou encore le jour où l’on a signé à toute vitesse le contrat «en or» suggéré par un nouveau partenaire d’affaires qui, en vérité, aurait été prêt à payer le double du prix.
Existerait-il un moyen infaillible pour arrêter, une bonne fois pour toutes, de se tromper lourdement au travail? Eh bien, je crois que oui. Si, si… Je l’ai déniché dans une étude intitulée Let’s decide together: Differences between individual and joint delay discounting. Celle-ci est le fruit du travail de : Diana Schwenke et Maja Dshemuchadse, toutes deux professeures de psychologie à l’Université technique de Dresde (Allemagne); Cordula Vesper, doctorante en science de la cognition à l’Université d’Europe centrale à Budapest (Hongrie); Martin Georg Bleichner, professeur de neuroscience à l’Université d’Oldenburg (Allemagne); et Stefan Scherbaum, professeur de science de la cognition à l’Université technique de Dresde. Regardons ça ensemble…
Mon nouveau livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement
Les cinq chercheurs européens ont noté que l’être humain a, en général, tendance à privilégier une petite récompense obtenue rapidement à une récompense plus grande, mais attribuée après un certain délai. Autrement dit, vous comme moi, nous avons la fâcheuse tendance de privilégier le court terme au long terme dès lors qu’il s’agit d’une récompense. Ce qui se traduit fort souvent par des déconvenues : par exemple, nous choisissons au restaurant la pointe de pizza à la salade garnie, même si nous avons conscience que cela aura, tôt ou tard, un impact sur notre santé.
Ce constat les a amenés à se demander si, par hasard, ce phénomène se produisait également lorsque nous ne sommes non pas seul, mais deux à prendre la décision. Pour revenir à mon exemple, cela revient à se demander si, par hasard, nous n’aurions pas plutôt tendance à choisir la salade garnie au lieu de la pointe de pizza si – contrairement à ce qui passe d’habitude, chacun choisissant son propre plat – les deux personnes attablées devaient impérativement s’accorder pour commander le même plat.
Pour s’en faire une idée, ils ont demandé à 60 volontaires de bien vouloir participer à une petite expérience. Le principe était simple… Chacun était installé devant un ordinateur et devait bien regarder l’écran avant de donner ses réponses à une série de choix qui lui étaient soumis.
Ainsi, un avatar du participant apparaissait au milieu de l’écran. Et deux récompenses lui étaient simultanément proposées : d’un côté, une petite récompense obtenue en peu de temps (cela était illustré par un petit trait allant de l’avatar à la récompense sur lequel l’avatar se mettait à cheminer si tel était le choix du participant); de l’autre côté, une grande récompense obtenue au bout d’un certain délai (le trait était alors plus long que l’autre). Le participant devait dès lors faire un choix (sans être pressé par le temps), cliquer sur la récompense voulue à l’aide d’une manette de jeu vidéo, puis regarder son avatar cheminer lentement jusqu’à celle-ci; une fois la récompense empochée, apparaissait un nouveau choix à faire; et ainsi de suite.
À noter que tous les participants n’avaient pas été placés dans les mêmes conditions de départ :
> Solitaire. Certains jouaient tout seuls. Ils prenaient donc leurs décisions en toute autonomie.
> Binôme. Les autres avaient été mis en binôme, mais ne pouvaient communiquer ensemble que d’une seule façon : chacun voyait sur l’écran le déplacement en direct de la flèche numérique de l’autre, si bien qu’il comprenait vers quel choix il penchait le plus; pour qu’une décision soit prise, il fallait que les deux cliquent ensemble sur le même choix. Ils devaient donc prendre une décision commune.
Résultats? Ils sont lumineux :
> Net avantage aux binômes. Les meilleurs choix ont été faits, et de loin, par les binômes. De fait, ils ont été la plupart du temps proches du choix optimal – le meilleur rapport gain/temps –, ce qui n’a pas été le cas pour ceux qui prenaient leurs décisions seuls.
Comment expliquer la plus grande efficacité décisionnelle du binôme? Les cinq chercheurs européens ont fouillé dans leurs données pour le savoir et ont découvert que cela résultait tout bonnement du fait que lorsqu’on collabore avec quelqu’un, cela nous pousse à davantage mûrir notre réflexion, et par suite, à faire de meilleurs choix. Autrement dit, au lieu de choisir vite et mal, nous choisissons dès lors un peu moins vite, mais mieux.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend ne plus jamais faire de grave erreur au travail se doit de prendre ses décisions cruciales à deux. Il lui faut s’ouvrir à autrui du choix important qu’il a à faire, partager les informations dont il dispose à ce sujet, puis réellement tenir compte de l’avis de l’autre avant de trancher. Car il aura alors la certitude de ne pas prendre une décision précipitée, et donc malencontreuse. Cela étant, la difficulté réside dans le fait qu’il faut à ce moment-là identifier une personne en qui l’on a entièrement confiance; et ce, sachant que cette confiance justement peut naître et s’apprécier à mesure qu’on fait appel aux lumières de cette personne-là.
En passant, le philosophe grec Épicure disait : «Ce n’est pas tant l’aide de nos amis qui nous aide que notre confiance dans cette aide».
Avec lesaffaires