Septième fortune du continent, le milliardaire égyptien est un véritable touche‑à-tout. Dernière initiative en date : la création du Festival du film d’El-Gouna, sur les rives de la mer Rouge, où il a reçu JA.
Naguib Sawiris entre dans le vaste salon rempli de meubles anciens du palace La Maison bleue, à El-Gouna, sur les rives de la mer Rouge. Une femme sublime, vêtue d’une robe noire échancrée, s’admire dans un miroir. « Tu es très belle ce soir », lui glisse-t‑il, souriant et détendu, dans son tee-shirt blanc à motifs.
La veille, le milliardaire copte, présent dans les médias, les mines et les télécoms, a effectué un aller-retour éclair à Paris en jet privé pour rencontrer le président français, Emmanuel Macron. Le voilà de retour sur ses terres d’El-Gouna, propriété de sa famille, où il a fait venir des stars hollywoodiennes pour son premier Festival du film, du 22 au 29 septembre, dernier dada de cet homme d’affaires touche‑à-tout. La septième fortune du continent, d’après le magazine Forbes, a‑t-elle la folie des grandeurs ? Sa parole ne connaît en tout cas que peu de limites. Comme le confirme cet entretien choc mené autour d’un magnifique jeu d’échecs.
Jeune Afrique : Comment vous est venue l’idée d’organiser un festival de cinéma ici, à El-Gouna ?
Naguib Sawiris : Je suis passionné de cinéma depuis mon adolescence, je suis accro aux films. Pour moi, c’est comme lire un livre. Un film vous donne les mêmes émotions et vous fait réfléchir, mais de façon plus facile, plus réaliste et divertissante. C’est la même différence qu’il y a entre croire en Dieu et le voir. Et l’Égypte a toujours été le chef de file du cinéma arabe. Ses acteurs étaient des dieux.
Par ailleurs, il y a cette ville magnifique, que mon frère a fait construire à partir de rien, en plein désert, en dépit de tous les problèmes de terrorisme que l’on a connus, comme le massacre de Louxor, qui a détruit le tourisme. Cette ville a changé nos vies. Je voulais donc la faire connaître. Et puis j’aime mon pays. Avec un tel événement international, les regards vont se tourner de nouveau vers l’Égypte. Quand tout le monde aura constaté que tout se passe bien, que la sécurité est assurée, cela dopera le tourisme, dont nous avons grand besoin.
Je fais quelque chose pour mon pays, pour mon frère, le cinéma et la culture
Est-ce du mécénat ou un investissement ?
Ce n’est pas un investissement. Je ne gagne pas d’argent. Je fais quelque chose pour mon pays, pour mon frère, le cinéma et la culture. C’est un devoir. En tant qu’Égyptien, quand je voyage, on me dit souvent « ah, que j’aime tel acteur ! » ou on me parle de « la chanteuse Oum Kalthoum ». C’était cela notre avantage dans le monde arabe. Pas notre armée.
Combien a coûté l’organisation de cet événement ?
Je ne peux pas vous répondre. Sinon les gens vont commencer à dire : « Oh, mais il y a des gens qui ont faim ! Vous auriez pu faire plutôt ceci ou cela ! » À chaque fois que je fais quelque chose de bien, on me dit que j’aurais pu faire autre chose. Mais je me fiche de ce qu’on dit. Personne ne peut me dicter ce que je dois faire. Je fais ce que je veux.
Je pense qu’on peut faire de ce festival l’un des plus importants au monde
Quelle est votre ambition pour ce festival ?
Même si cela paraît un peu fou, je pense qu’on peut en faire l’un des plus importants au monde. Beaucoup de professionnels sont venus voir les films, participer aux débats, etc. Des gens comme Oliver Stone ou Forest Whitaker. De nombreux accords de production ont été passés en très peu de temps. Ensuite, il y a cet endroit, El-Gouna. La météo est clémente toute l’année. Il se peut d’ailleurs que nous organisions les prochaines éditions plus tard dans l’année, en novembre par exemple, quand il fait froid en Europe. Bien sûr, il y a Cannes, qui est une très belle ville. Mais elle est ancienne, et il y a beaucoup de contraintes. Ici, nous avons de l’espace, et ma famille et moi contrôlons tout.
Vous possédez des salles de cinéma ?
Oui, ici.
Et pas au Caire ?
J’ai créé une grande société, Renaissance, qui était propriétaire de salles de cinéma. Mais je l’ai revendue il y a dix ans pendant la crise économique. Mais je suis de retour dans le secteur. Je loue et construis des salles de cinéma.
Maintenant que nous avons décidé de créer des salles de cinéma, j’investis dans certains films
Essayez-vous de maîtriser toute la filière, du financement jusqu’à la diffusion des films ?
Je n’ai pas de projets. Je fonctionne à l’instinct. Et le cinéma est une passion. Maintenant que nous avons décidé de créer des salles de cinéma, j’investis dans certains films. J’ai produit quelques films égyptiens, deux ou trois par an. Peut-être qu’un jour on construira des studios. Je produis beaucoup de choses que je n’aime pas. Notre famille a eu une usine de ciment…
Et vous n’aimez pas le ciment ?
[Rires.] Je ne suis pas amoureux de la cimentation !
Y a-t‑il des films présentés au festival que vous avez vous-même produits ?
J’ai coproduit Sheikh Jackson [le film d’ouverture du festival]. Mais je n’ai en rien influencé la sélection.
L’absence de film algérien n’a rien à voir avec le fait que le régime algérien ait volé et nationalisé ma société
En Algérie, certains médias ont fait remarquer qu’aucun film algérien n’avait été présenté. Y a-t-il un lien avec la nationalisation de Djezzy ?
Nous n’avons pas reçu de candidature. Personne ne nous a contactés. Peut-être l’année prochaine. Je n’ai pas de problème avec ça. Cela n’a rien à voir avec le fait que le régime algérien ait volé et nationalisé ma société.
Vous êtes donc toujours en conflit avec le gouvernement algérien…
Oui. Mes conflits ne finissent jamais. Sauf si je gagne et que je pardonne. Ou si je perds. Mais je n’ai encore jamais perdu de combat.
Ou en êtes-vous en matière de télévision ?
Je ne suis plus propriétaire d’aucune chaîne. Je n’ai plus qu’une régie publicitaire, qui est le principal fournisseur de trois ou quatre chaînes.
La seule chose que maîtrise le Qatar, c’est le terrorisme
Mais à l’étranger, vous avez Euronews et Africanews…
Oui, mais c’est la même entreprise.
Comment se porte-t‑elle ?
Très bien. NBC est devenu un partenaire à 25 %. Le nom de la chaîne va donc changer pour devenir Euronews-NBC. Mais je suis toujours l’actionnaire majoritaire.
Est-ce une façon de contrebalancer l’influence dans l’audiovisuel d’autres pays de la région, notamment le Qatar ?
Parce que le Qatar a une industrie cinématographique ? Je n’ai jamais vu de film qatari. La seule chose qu’ils maîtrisent, c’est le terrorisme. C’est leur spécialité. Ils sont excellents dans l’accueil de tous les terroristes du monde, tous ces prédicateurs qui incitent à la violence contre les chrétiens et les musulmans modérés. Ils financent toutes les organisations terroristes du monde.
C’est la première fois que mon frère et moi faisons quelque chose ensemble
Vous avez des preuves ?
J’ai mes informations. Je le sais. Mais sont-ils les seuls dans la région ? Je soupçonne aussi la Turquie, indirectement. Par le passé, l’Arabie saoudite a certes soutenu des combattants afghans contre les Soviétiques, mais c’était différent. Peut-être sont-ils excessifs dans leurs croyances, mais je ne pense pas qu’ils appuient des terroristes.
Comment travaillez-vous ensemble dans votre famille ?
Nous ne travaillons pas ensemble. C’est la première fois que mon frère et moi faisons quelque chose ensemble. Nous sommes très différents. Je prends beaucoup de risques, pas lui. Je suis un bourreau de travail, lui aime vivre… Il est donc très difficile de faire des choses ensemble.
Il n’y a donc pas de stratégie familiale ?
Non. Chacun des trois frères est totalement indépendant dans ses affaires.
Je ne suis plus associé au Parti des Égyptiens libres
À une époque, ils désapprouvaient votre engagement en politique…
Oui. Surtout pendant la révolution, puis sous les Frères musulmans, car ils craignaient que mes activités ne leur attirent des ennuis.
Votre mouvement, le Parti des Égyptiens libres, va-t‑il présenter un candidat à la présidentielle de 2018 ?
Je ne suis plus associé à ce parti.
Vous l’avez quitté ?
Je ne l’ai pas quitté. Il a été capturé.
Que s’est-il passé ?
C’est très sensible. Je préfère ne pas en parler. Mais vous pouvez faire des recherches.
Mais c’est récent, n’est-ce pas ?
Cela s’est passé il y a environ six mois.
Emmanuel Macron a dit des choses gentilles dans son discours
Vous avez rencontré le président Emmanuel Macron à Paris…
Oui, hier.
À quelle occasion ?
Il inaugurait une exposition à l’Institut du monde arabe sur l’histoire des chrétiens d’Orient. J’en suis le principal mécène. Jack Lang [le président de l’IMA] m’a invité.
Connaissiez-vous Emmanuel Macron auparavant ?
Non. Mais il a l’air de me connaître. Il a dit des choses gentilles dans son discours. J’ai été frappé par sa simplicité et sa chaleur. Il a l’air brillant et sûr de lui.
Il vous a séduit ?
Je ne dirais pas ça, mais je l’apprécie beaucoup.
Nous sommes à la recherche de nouveaux investissements en Afrique
Êtes-vous toujours aussi actif dans la production d’or en Afrique ?
Oui, je suis le principal actionnaire d’Endeavour, très présente en Côte d’Ivoire et en Afrique de l’Ouest. Et je suis toujours un actionnaire important de l’Australian Gold Mining Company. Nous sommes à la recherche de nouveaux investissements en Afrique.
Vous aspirez toujours à devenir le principal producteur d’or en Afrique ?
Oui. Cela nous prendra quelques années mais nous y arriverons.
Vous êtes également présent en Corée du Nord dans les télécoms…
Oui. Nous avons quelque 3,5 millions de clients. Mais il va falloir voir quel sera l’impact des nouvelles sanctions… Elles sont très dures.
Que pensez-vous de l’escalade avec les États-Unis ?
Il n’y a qu’une solution : les Américains et les Nord-Coréens doivent se mettre autour d’une table. Toute déclaration parlant de guerre ou de « détruire totalement la Corée du Nord » est stupide. Que fait-on de ses 22 millions d’habitants ? Ce n’est pas leur faute. Et que va-t‑il se passer s’il y a la guerre ? Que fait-on des gens qui vivent dans la région ? Que veulent les Nord-Coréens ? Devenir une puissance nucléaire. Or le Pakistan, l’Inde et la Chine le sont.
Qu’est-ce que cela peut bien faire qu’il y en ait une de plus ? Je ne dis pas ça parce que j’y ai des investissements. C’est juste parce que c’est un débat idiot et dangereux. Surnommer Kim Jong-un « Little Rocket Man » n’est pas sérieux. Dans cette affaire, il suffit qu’un fou appuie sur le bouton
Avec jeuneafrique