Climat oblige, les Montréalais ont la tête froide et ne s’engagent jamais dans de grands projets sans les avoir un minimum mûris. Pas d’impulsion, donc, mais de la réflexion. “À Montréal, les stratégies du développement économique se dessinent en grappes”, lance Élie Farah. Pour le vice-président d’Investissement Grand Montréal, cette notion de grappes, ou de pôles de compétitivité, est ce qui fait la force de la ville. “C’est ce qui nous permet de cibler nos efforts et d’être plus créatifs, plus performants”, souligne Élie Farah.
En tout, cinq pôles principaux se dégagent, à l’intérieur desquels se distinguent des sous-genres. Si les grappes de pointe (nanotechnologies, matériaux avancés) se disputent la vedette avec les grappes de production (pétrochimie, bioalimentaire, énergie…), les grappes dites “de rayonnement” (cinéma, culture, services…) et celles de compétition (aérospatial, sciences de la vie, multimédia), pour toutes le “mandat” initial consiste à attirer les investisseurs étrangers. “Il faut créer de la richesse économique pour faire entrer un flux de monnaies étrangères”, ajoute le spécialiste des investissements du Grand Montréal.
Un programme d’incitation à l’immigration
Terre d’accueil, le Canada dispose d’un programme d’incitation à l’immigration en trois volets. Un programme pour les travailleurs qualifiés (médecins, informaticiens…), venant surtout d’Europe, un autre destiné aux petits commerces et entreprises, et un dernier visant les gros investisseurs. Mario Lebeau, directeur marketing de TMIC, groupe de consultants en management international, est chargé d’attirer les grands investisseurs venant des pays émergeants comme l’Inde, les Philippines, l’Arabie saoudite ou le Maroc. “Pour pouvoir prétendre à ce programme, les investisseurs doivent posséder un minimum de 800000 dollars canadiens d’actif net et déposer 400000 dollars sur un compte pendant cinq ans, en acceptant que les intérêts soient reversés à la Province où ils immigrent, pour faire profiter l’économie de celle-ci”, explique-t-il.
Ensuite, il faudra compter entre 18 et 24 mois pour que ces investisseurs et leurs familles obtiennent leurs passeports canadiens. “Notre tâche est de les aider à trouver des projets d’investissements financiers, la plupart du temps immobiliers”, conclut le consultant. Mais le système des grappes fonctionne en double mouvement. Si ces candidats à l’immigration sont tellement avides de s’installer à Montréal, c’est aussi parce que la ville leur offre une gamme de services exceptionnels. Ils viennent y chercher des universités où envoyer leurs enfants, des hôpitaux de pointe, et des secteurs où ils pourront développer leurs propres activités et leurs investissements.
La réflexion avant l’action
Mais les grappes de pointe comme celle de la “haute technologie” ne poussent pas au hasard des chemins.Au sein de Montréal International, agence spécialisée dans le développement économique du Grand Montréal, chaque “grappe” possède son groupe d’études stratégiques. C’est le cas d’Invivo Montréal, pour les sciences de la vie, ou de Techno Montréal, pour la communication, le multimédia, les technologies de l’information, les arts numériques. C’est aussi le cas d’Aéro Montréal, groupe de réflexion dans le secteur de l’aérospatial, né en 2005, lorsque l’ancien aéroport international de Mirabel cessait son trafic passagers, désormais exclusivement centré sur l’aéroport Trudeau.
Situé à une quarantaine de minutes du centre de Montréal, le site de Mirabel accueillait déjà les sièges de Bell Helicopter Textron et de Bombardier aéronautique. Mais il fallait trouver un moyen de relancer ses activités, d’utiliser ses pistes ainsi que les 45000 m2 d’entrepôts laissés vides. En 2008, seuls 3000 m2 d’entrepôts restent inutilisés, et l’on propose déjà d’en installer de nouveaux, tant la demande est forte. C’est que la reconversion de Mirabel s’est faite de façon fulgurante.
“Montréal est l’une des trois capitales mondiales de l’aérospatial avec Seattle et Toulouse, explique Martin Lafleur, directeur de projets d’Aéro Montréal, il faut maximiser nos ressources pour continuer d’exceller.” Le secteur de l’aérospatial au Canada représente 49000 emplois, et a atteint 12 millions de chiffre d’affaires en 2007. En tout, 98 % des activités aéronautiques sont concentrées au Québec, principalement dans la région de Montréal. Aujourd’hui, tout juste trois ans plus tard, le site n’est pas simplement un aéroport de fret. C’est aussi un aéroport industriel qui chapeaute un centre de formation, de tests, de simulation, de réparation et d’assemblage de moteurs. On y trouve également une base de jets privés et d’affaires. “Historiquement, et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, Montréal était la capitale économique du Canada, le port d’entrée aérien”, rappelle Serge Coté, directeur stratégie et projets spéciaux de Mirabel.
Une autre porte d’entrée
Mais Montréal c’est aussi la plus grande ville portuaire du Saint-Laurent, reliée aux centres industriels des Grands Lacs nord-américains. En 2007, 1,36 million de containers, soit 12,4 millions de tonnes, ont été manutentionnés à Montréal. Dans ce secteur comme dans les autres, la stratégie est de mise. Depuis de début des années 2000, le port connaît une croissance annuelle de plus de 5 % et d’ici à 2020, l’administration portuaire projette de se lancer dans de nouveaux marchés capables de générer 3,4 milliards dollars annuels et de créer quelque 41000 emplois. Montréal port maritime et porte d’entrée aérienne… c’est, à l’évidence, en se tournant vers l’extérieur que Montréal prospère de l’intérieur. Une leçon.
Avec : voyages-d-affaires