« Je ne sortais ni de l’X, ni de Centrale, explique Éric Le Goff. Et, en 1996, à Paris, même avec des idées plein la tête, sortir d’une école d’ingénieurs quelconque, ce n’était pas suffisant pour trouver les partenaires financiers. » Montréal, même année, autre décor.
“C’est là que j’ai trouvé un associé, et mes premiers clients ont été… la Bourse de Londres et la Banque de France,” continue le directeur d’Abilis, entreprise de logiciels informatiques. Et tout suit rapidement. Des clients comme Bell Canada, Air Canada, l’État de New York et de Virginie font appel à Éric Le Goff dont l’entreprise, désormais logée dans les vastes bureaux du 1407 rue de la Montagne, compte aujourd’hui 120 employés de 14 nationalités différentes. “Après le 11 septembre 2001, les États-Unis ayant verrouillé toutes leurs portes, le Canada est devenu une terre d’immigration encore plus importante qu’avant. La société canadienne est très ouverte et peu marquée par la xénophobie. Ici, mes employés sont aussi bien canadiens que portuguais, allemands, chinois, haïtiens, argentins, roumains, vietnamiens, américains, français ou mexicains”, confie ce Montréalais d’adoption qui estime que sa réussite professionnelle n’aurait jamais pu être aussi brillante qu’en Nouvelle France.
Post-adolescents branchés
L’une des raisons du fructueux cosmopolitisme de Montréal, c’est que la ville jouit d’une position géographique unique. “Dans un rayon d’une heure et demie d’avion, on trouve les villes qui génèrent près des trois quarts du PIB américain. Et la proximité avec le client est un atout pour les jeunes entreprises audacieuses”, poursuit Éric Le Goff. Cela explique peut-être pourquoi tant d’entrepreneurs montréalais sont constamment à la recherche d’idées nouvelles et d’individus créatifs.
Mais si Montréal attire tant les entreprises étrangères, c’est aussi parce que la main-d’œuvre y est extrêmement qualifiée. L’une des fiertés de la ville repose sur ses quatre grandes universités* et ses nombreux instituts spécialisés dans les domaines de l’aérospatial, mais aussi des technologies de l’information. Ainsi, Montréal voit sortir chaque année plus de 15000 jeunes diplômés de ses écoles et universités, dont une grande partie est au fait des plus récentes innovations technologiques. Rien d’étonnant, donc, à ce que Montréal soit l’un des premiers bassins mondiaux pour les technologies de l’information après Silicon Valley. “Dans nos bureaux, la moyenne d’âge est de 31 ans”, explique André Beauchesne, directeur de la toute nouvelle agence Tank. Dans le vaste entrepôt rénové, les employés de l’entreprise, fruit de la récente fusion de trois agences (multimédia, publicité et photographie), ont tous des looks de postadolescents branchés. De gros casques aux oreilles, les yeux rivés sur des écrans où se meuvent des figures de dessins animés : difficile de dire s’ils travaillent ou s’ils jouent.
“Ils ont à faire leurs preuves car ils sont jeunes, mais ils sont tous très performants, affirme le directeur de l’agence. Et en tant que petites et moyennes entreprises, nous avons besoin du côté multidisciplinaire et de la créativité de ces jeunes. C’est grâce à eux que nous pouvons nous charger de l’ensemble des besoins du client en proposant une large gamme de services”, explique André Beauchesne. Mais ce dynamisme a une histoire. Il commence dans les années 80, quand Montréal voit naître la 3D.
Autodesk, qui a lancé l’invention, reste aujourd’hui l’un des plus grands fournisseurs d’effets spéciaux pour le cinéma, la télévision et les jeux vidéo. Même chose pour le monstre français Ubisoft, qui garde ses principaux studios à Montréal. Tradition et jeunes diplômés obligent.
Mais si ces deux grands groupes n’ont plus à faire leurs preuves, les petites structures indépendantes continuent de leur emboîter le pas et de développer leurs niches. Et le marché se renouvelle sans cesse, car les jeunes qui font leurs armes pendant quelques années dans les PME montréalaises n’attendent qu’une chose : se lancer en trouvant la nouveauté du moment. Chaque année, de nouvelles entreprises naissent autour de créneaux émergeants, comme Gorilla Nord, une toute petite structure québécoise qui s’implantera bientôt à Montréal et dont la spécialité est le jeu vidéo destiné aux jeunes filles de 8 à 12 ans.
Prime à la créativité
Dans les magazines, les annonces de “Prix aux jeunes entrepreneurs” abondent. Ainsi,Montréal est une ville où l’esprit d’entreprise est bien ancré. Privées ou publiques, les aides au développement des entreprises sont multiples. Des agences comme investquebec. com proposent des solutions financières tandis que d’autres, comme la SAJE (service d’aide aux jeunes entrepreneurs du Montréal métropolitain), offrent du conseil, du coaching et de la formation. Agence semi-publique dont les partenaires sont, entre autres, la Ville de Montréal et Emploi Québec, la SAJE a contribué au lancement de près de 20000 entreprises en vingt ans, qui elles-mêmes ont généré près de 40000 emplois. Comme le dit Florent Belleteste, directeur de la chambre de commerce française au Canada, “ici, on peut créer son entreprise avec un très petit capital de départ. On risque donc moins gros en cas de faillite, mais dans ce cas il n’y a pas nécessairement d’aides gouvernementales”.
Mais s’il est aisé de se lancer, il est important aussi d’être bien préparé. “Les Québécois sont toujours à la recherche d’opportunités, il est facile de rencontrer des partenaires. Mais ils attendent des résultats probants et beaucoup d’efficacité”, ajoute le directeur de la Chambre qui aide chaque année une soixantaine d’entreprises françaises, tous domaines confondus, à s’implanter dans la région de Montréal. De son côté, le gouvernement de la Province du Québec favorise depuis dix ans l’implantation de nouvelles entreprises. Ses stratégies reposent principalement sur un crédit d’impôt et, surprise, sur des aides à la recherche et au développement… dans le domaine des technologies de l’information.
Success-story à la cité multimédia
Parmi les différents programmes d’incitation à la création d’entreprise, la Ville de Montréal a choisi de réhabiliter un quartier encore peu fréquenté (et peu fréquentable) dans les années 90, et d’aider les entreprises à s’y implanter. Depuis le début des années 2000, les entreprises de multimédia qui s’y installent bénéficient d’aides et de réductions d’impôts. Résultat : la Cité Mutimédia compte aujourd’hui quelque 6000 employés dont le salaire annuel s’élève à environ 75000 dollars, soit 25 % de plus que la moyenne de Montréal. Éric Boyko, président de Stingray Digital Media Group, se présente comme l’un des pionniers de la Cité Multimédia. “Quand nous sommes arrivés ici, en 1991, le quartier était vraiment dangereux. Aujourd’hui, outre les habitations privées et les restaurants à la mode, on y trouve toutes sortes d’entreprises multimédias avec lesquelles nous travaillons en synergie. C’est très stimulant.Huit de nos partenaires se trouvent à moins de 500 mètres de nous.” Désormais à la tête de l’une des plus grandes compagnies de karaoké du monde, ce trentenaire et son associé viennent de lancer Karaoke Channel, une chaîne câblée qui compte déjà 17 millions d’abonnés dans le monde. Selon Éric Boyko, les secteurs du multimédia et du divertissement sur Internet sont plus que jamais porteurs. Comment ne pas être optimiste quand, au bout de dix ans, son entreprise se chiffre… en milliards de dollars ?
* McGill University, Concordia University, université du Québec à Montréal, université de Montréal, ainsi que l’École polytechnique de Montréal. Et à proximité, il faut également mentionner l’université de Sherbrooke et l’université de Laval.
Avec : voyages-d-affaires