Ngagne Pouye, un immigré clandestin sénégalais, a remporté en décembre 2015, le jackpot de 400 000 euros d’une loterie à Roquetas de Mar, près d’Almería, en Espagne. Un an après, Jeune Afrique l’a rencontré dans sa tranquille bourgade de Petit-Mbao, en banlieue dakaroise.
Son histoire a fait le tour de la toile, surtout au Sénégal son pays natal. En guise de cadeau de Noël avant l’heure, le 22 décembre 2015, Ngagne Pouye le musulman touche un véritable jackpot : les 400 000 euros (260 millions de FCFA) de la loterie de Roquetas de Mar, près d’Almería. Pourtant, ce jour-là, il lui restait moins de 5 euros en poche : il venait d’envoyer 100 000 F CFA au Sénégal, à une amie de son épouse.
« Je nouais les lacets de mes chaussures, m’apprêtant à aller faire mon jogging, lorsque j’entend à la télé parler de Roquetas de Mar, la ville où je résidais. Ce qui attire immédiatement mon attention. Je me lève et je fixe la télé. L’info est à la une sur l’écran : ‘El gordo cae integralemente en Roquetas de Mar.’ [‘Roquetas de Mar a remporté le gros-lot.’] Puis défile le numéro du ticket gagnant : 79 104.
J’étais avec mon épouse ; les choses s’emballent, je vérifie le numéro de mon ticket et je me rends compte que c’est moi qui suis bel et bien l’heureux gagnant. Je n’en revenais tout simplement pas ! », se souvient l’homme de 36 ans.
« Fini la galère ! »
« Une émotion intense m’a submergé, je ne m’y attendais pas du tout, raconte-t-il. Je suivais le loto tous les ans à la télé, mais je n’avais jamais imaginé qu’un Sénégalais ou un immigré pourrait, un jour, le gagner. J’ai éprouvé un bonheur intense. Parfois, je me levais en pleine nuit en me demandant si ce qui m’arrivait n’était pas un rêve ! »
Pour des raisons de sécurité, il doit d’abord déménager et loger pendant sept jours chez un compatriote.
La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans la communauté africaine de la ville et les coups de fil se mettent à pleuvoir… Il ne cesse de se répéter : « Se acabo la galera ! » (« Fini, la galère ! »). Mais pour des raisons de sécurité, il doit d’abord déménager et loger pendant sept jours chez un compatriote tant que le billet gagnant – non nominatif – n’est pas déposé.
« Quand cela a été fait, dix jours plus tard, j’ai ouvert un compte bancaire avant de faire un virement sur Dakar. C’est à ce moment-là que j’ai pris la résolution de rentrer au pays. Et quatre mois plus tard, nous sommes rentrés. »
Renaissance et retour au pays
Ce jackpot est une véritable renaissance pour celui qui a débarqué en pirogue sur les côtes espagnoles presque dix ans plus tôt, un jour de septembre 2007, en se faisant passer pour un réfugié sierra-léonais. Il s’agissait là de sa seconde tentative.
Lors de la première, en 2006, son embarcation partie clandestinement en pleine nuit d’une plage de Dakar avec 86 candidats à bord s’était perdue pendant 17 jours, quelque part dans l’océan, au large des côtes mauritaniennes.
Nous n’avions plus rien à manger. Nous buvions de l’eau de mer jusqu’à ce que nos mains et nos pieds deviennent complètement enflés.
« Nous n’avions plus rien à manger. Nous buvions de l’eau de mer jusqu’à ce que nos mains et nos pieds deviennent complètement enflés, raconte-t-il. Vingt-cinq de nos compagnons de voyage ont finalement péri de faim et de soif lors de cette odyssée macabre. » Les gardes-côtes mauritaniens viendront les sauver, mettant fin à leur aventure.
Lors de la seconde tentative, à l’issue de 38 jours de détention à Tenerife, il parvient à obtenir les précieux documents lui permettant de séjourner pendant neuf ans en Espagne. Il y enchaîne les petits boulots, souvent au noir.
Pendant 4 ans, il récolte 8h par jour des courgettes dans un champ d’Almería. « Les conditions de travail frisaient l’esclavage», se souvient-il. Puis pendant 4 ans encore, il enchaîne avec un travail ingrat de marchand ambulant d’articles de contrefaçon, traqué en permanence par les agents de la Guardia civil espagnole.
Investissements tous azimuts
Aujourd’hui rentré au pays, Ngagne est un homme heureux. Mais il estime qu’il n’a plus droit à l’erreur, et il est soucieux de réussir sa nouvelle vie d’entrepreneur au Sénégal. « Je dors très peu et je réfléchis beaucoup à mes différentes activités afin de pouvoir progresser », explique-t-il. « Si j’échoue, tout ce que j’ai enduré comme souffrances n’aurait plus aucun sens. »
Son unique regret ? La dizaine d’années passées en Espagne où, assure-t-il, il a perdu du temps. Referait-il le voyage si l’occasion se présentait ? « Non ! répond-il sans sourciller. Mes collègues que j’ai laissé sur place ont tous aujourd’hui bien réussi leur vie », affirme-t-il, convaincu que l’avenir des Africains se trouve sur le continent. Lui qui, paradoxalement, a trouvé sa chance ailleurs…
Alors, il essaie d’en faire profiter son pays natal. Il s’est lancé dans des investissements professionnels tous azimuts : importantes acquisitions foncières à Dakar et dans sa banlieue, mais aussi à Touba ; importation de plusieurs véhicules de seconde-main d’Espagne, revendus sur place ; et surtout, création d’une société spécialisée dans le terrassement et l’aménagement de sites.
Une activité qui lui permet de négocier, en guise de paiement, de nombreuses parcelles de terrains qu’il entend revendre un jour en faisant des bénéfices.
Commérages et jalousie
S’il n’est pas en opération de prospection d’opportunités d’affaires à la lisière de la capitale ou à l’intérieur du pays, on le croise parfois à quelques encablures de sa maison en construction, devisant avec les ouvriers et jouant au superviseur de chantier.
Car chez lui, Ngagne investit avec la même énergie : réfection de la demeure familiale, aujourd’hui transformée en une résidence à deux étages ; finalisation des travaux de sa propre maison ; construction de deux autres résidences ; achat de deux SUV, dont l’un est pour son épouse…
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Autant de signes extérieurs de richesse qui contrastent avec les conditions de vie souvent difficiles du voisinage, et qui ne manquent pas de susciter commérages et jalousie dans sa bourgade natale de Petit-Mbao.
Comment Ngagne réagit-il à tout cela ? « Avec philosophie, répond-il simplement. Bien sûr, je savais que je n’y échapperais pas », dit-il. Mais il jure qu’il est resté le même garçon simple, respectueux, calme, concentré sur ses objectifs et fidèle à ses anciens amis.
avec jeuneafrique