A la suite du rapport publié il y a quelques jours par un collectif de trois ONG et dans lequel, les pratiques de certaines multinationales françaises opérant dans l’exploitation des ressources naturelles, dont AREVA au Niger, la firme française a rejeté en bloc les allégations portée à son encore. Dans une réponse qu’elle a apportée aux différents aspects soulevés par le rapport, l’entreprise publique française oppose ses propres chiffres et s’appuie sur d’autres arguments pour justifier le manque à gagner pour le Niger mis en évidence par l’étude. Des explications qui ne convainquent guère surtout que ce n’est pas la première fois qu’AREVA est épinglée sur sa gestion de l’exploitation de l’uranium au Niger.
« Le chiffre avancé par OXFAM France d’une baisse de 15 millions d’euros de la redevance minière est infondé ». C’est l’une des réponses qu’a tenu à apporter le géant français du nucléaire AREVA sur les accusations contenues dans le rapport publié récemment par trois ONG françaises sur les pratiques de la multinationale au Niger où elle exploite une grande partie de son uranium. Dans leur rapport, « la transparence à l’état brut : décryptage de la transparence dans les industries extractives » qui a été publié le 12 Avril dernier, Oxfam, Sherpa et ONE ont passé au peigne fin, les comptes de six importantes sociétés françaises opérant dans l’exploitation des ressources naturelles en Afrique parmi lesquelles AREVA au Niger.
Le rapport s’est basé sur les données publiées par ces entreprises, conformément à la nouvelle législation française et européenne qui oblige les sociétés actives dans le secteur de l’industrie extractive à publier leurs comptes notamment les paiements qu’elles effectuent aux pays dans lesquels elles opèrent. Une manière d’insuffler un brin de transparence dans un secteur où la gestion est des plus opaques comme l’a relevé le document.
Le cas d’AREVA, présente au Niger depuis plus de 4 décennies dans l’exploitation de l’uranium à travers deux filiales dans lesquelles elle détient des parts majoritaires (la SOMAIR et la COMINAK) a retenu l’attention des experts qui ont rédigé le rapport. Ils ont pour ce faire, analysé les chiffres publiés par AREVA, les premiers du genre et qui concernent particulièrement les années 2014 et 2015. Et selon le rapport, ces données ont permis de faire un premier bilan des négociations qui se sont tenues entre AREVA et le Niger en 2014 lors du renouvellement des contrats.
« Alors que la société civile espérait voir augmenter les recettes tirées de l’exploitation de l’uranium après cet accord historique, le constat est sans appel : la négociation n’a pas permis d’accroître les versements financiers d’AREVA au Niger », ont tiré comme principale conclusion, les auteurs de l’étude.
« Les données publiées par Areva suggèrent que la nouvelle formule de prix appliqué à la redevance aurait fait perdre près de 15 millions d’euros au Niger en 2015 ». OXFAM France
Selon le rapport, l’analyse des chiffres publiés par la firme française ont mis également en lumière que les exportations d’uranium de la multinationale du Niger vers la France seraient sous-évaluées par rapport aux prix pratiqués, ce qui aurait eu pour effet de réduire le montant des contributions d’AREVA de 10 à 30 millions d’euros en 2015.
La multinationale française a catégoriquement réfuté ces chiffres dans une sorte de droit de réponse publié quelques heures à la suite du rapport qui a été largement relayé par la presse hexagonale et les médias africains.
Les chiffres d’AREVA
Selon AREVA qui a estimé « infondé » les chiffres contenues dans le rapport, « l’accord de 2014, jugé équilibré par les autorités nigériennes, n’est pas responsable de l’évolution des retombées pour l’état du Niger, mais c’est l’évolution du cours de l’uranium qui a fortement baissé depuis quelques années ».
La redevance au Niger est fixée par la loi minière en pourcentage du chiffre d’affaires des sociétés minières, et ce pourcentage a été stable en 2014 et 2015 a poursuivi AREVA rappelant par la même occasion que « le prix de vente de SOMAIR et de COMINAK est fixé avec l’Etat du Niger et les autres actionnaires de Cominak selon une formule basée sur des indicateurs de marché publiés par des instituts indépendants ».
L’évolution des retombées pour le Niger est donc directement liée à l’évolution du cours de l’uranium qui a fortement baissé depuis quelques années selon la réponse de la firme française qui explique, par exemple, que compte tenu de ses coûts de production élevés, SOMAIR a accusé une perte en 2014 et n’a donc pas payé d’impôts sur les sociétés en 2015 ni versé de dividendes à AREVA et à la société SOPAMIN, une société d’Etat du Niger qui gère ses participations dans les compagnies minières opérant dans le pays.
« Depuis la création des sociétés SOMAIR et COMINAK et jusqu’à fin 2014, l’Etat du Niger a bénéficié de retombées économiques des sociétés minières à hauteur de 82% en matière d’impôts, de redevances et de taxes ». AREVA
Selon AREVA, les sociétés minières SOMAIR et COMINAK sont des acteurs majeurs de l’économie nigérienne et en moyenne, 82% des recettes des sociétés minières, depuis leur création, sont reversées au Niger. Dans la même lancée, la multinationale avance que plus de 100 millions d’euros d’achats par an sont en moyenne réalisés par SOMAIR et COMINAK auprès de fournisseurs locaux sans compter la participation d’AREVA et de ses filiales en matière de contribution au développement du pays avec une enveloppe d’environ 6 millions d’euros par an investis dans la santé ou l’éducation.
Enorme manque à gagner pour le Niger
Les chiffres avancés par AREVA contrastent certes avec ceux contenus dans le rapport du collectif des ONG mais risque de ne pas convaincre grand monde surtout au Niger où le bénéfice que tire le pays de l’exploitation de sa principale ressource ministère est régulièrement sujet à caution. « Si les chiffres avancés par AREVA sont justes, il y a longtemps que notre pays aurait été sur la voie de l’émergence alors qu’on est classé à la dernière place en matière d’indice de développement humain depuis des années », ironise par exemple un acteur de la société civile nigérienne.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’AREVA est épinglée par rapport à sa présence au Niger, laquelle ne profite presque ni à l’Etat, ni aux populations locales comme l’a mainte fois mis en évidence le Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB), un collectif d’ONG locales actif dans la protection des intérêts du Niger dans le domaine des industries extractives.
En 2013 déjà, c’est à son initiative et avec le soutien d’autres associations non gouvernementales qu’une campagne a été menée pour appuyer les revendications du Niger alors que le pays était en négociation avec la multinationale française, détenue majoritairement par l’Etat français, pour la conclusion de nouveaux accords de partenariats stratégiques. Ce qui aurait pu permettre au Niger d’engranger plus de recettes alors que AREVA s’appuyait justement sur le contexte économique mondial et la baisse du cours de l’uranium sur les marchés internationaux à la suite du drame de Fukushima, pour reporter la mise en application de nouvelles taxes adoptées en 2006 par le Niger.
L’Etat du Niger et AREVA ont conclu de nouveaux accords en 2014 mais jusque-là, leur contenu n’a jamais été publié, ce qui conforte « la transparence floue » que dénonce le rapport des 3 ONG.
Alors que l’uranium nigérien représente près de 30 % de la production du groupe français, le rapport relève que le Niger ne perçoit seulement que 7% des versements d’AREVA aux pays producteurs. Il y a quelques mois, c’est le premier ministre du Niger, Birgi Raffini, qui est allé dans le même sens à l’occasion d’un entretien qu’il a accordé à la presse française lors d’une visite de travail en France. Selon le chef de gouvernement nigérien, les recettes tirées de l’exploitation du minerai jaune, dont le Niger est des plus grands producteurs mondiaux, ne tourne qu’autour de 5% des recettes fiscales totales du pays.
Il y a quelques semaines, ce sont les autorités locales de la région d’Agadez dans le nord du pays où sont implantées les deux mines d’AREVA au Niger qui se sont publiquement indignés des promesses non tenue par l’Etat, mais surtout les sociétés minières opérant dans la zone en matière de rétrocession d’une part des royalties tirées de l’exploitation des ressources minières. Les textes sont pourtant bien claires à ce niveau et à maintes fois, AREVA s’est engagée à financer des projets de développement dans le pays sans toutefois aller jusqu’au bout. C’est en tout cas ce qu’élus locaux et structures de la société civile du pays mettent régulièrement en avant avec des chiffres à l’appui.
Le débat est donc relancé et plus que jamais la question, « à qui profite vraiment l’uranium du Niger? », qui revient à chaque fois que la présence d’AREVA au Niger est évoquée, demeure d’actualité.
Avec latribune