Mrs Trump intrigue l’Amérique et au-delà. Les rumeurs les plus alarmistes circulent à son sujet, elle serait déprimée, malheureuse… Elle demeure pourtant aux côtés du président Trump, First Lady mi-soumise, mi-rétive.
Est-elle réelle? A la voir se profiler, apathique derrière son mari de président, le visage figé, le geste mécanique, on songe un instant à ces androïdes fabriqués en Asie qui nous annoncent un futur déconcertant. Etrange et fascinante Melania… Ses apparitions, comme on dit des spectres, interrogent et dérangent. On l’a aperçue, posée comme une figurine au cœur des cérémonies officielles. On l’a regardée descendre la passerelle d’Air Force One en vertigineux talons aiguille, distribuant des sourires forcés. On l’a découverte, fantomatique, à la Maison-Blanche, inaugurant les fêtes de Noël au milieu de branches mortes dans un décor de Belle au bois dormant.
D’où vient ce malaise? Qu’est-ce qui la rend impénétrable? Pour les uns, Melania Trump est une première dame malheureuse, enfermée dans un rôle qu’elle ne veut pas ou ne peut pas assumer. Lors de la prestation de serment, alarmés par son visage triste, des fans avaient brandi des panneaux compatissants : «Melania, si tu as besoin d’aide, cligne des yeux deux fois !» Pour d’autres, cette femme-là a simplement obtenu ce qu’elle a toujours souhaité. Melania Knavs, née en Slovénie en 1970, a assurément suivi une trajectoire que beaucoup lui envient. Grâce à sa silhouette longiligne et à ses yeux de chat, elle s’est extraite, dès l’âge de 16 ans, de son milieu proche de la nomenklatura communiste, pour les feux du mannequinat à Londres, Paris, Milan, et New York où elle a rencontré, en 1998, Donald Trump. Mariée en 2005, mère en 2006, elle a vite adopté la vie plaquée or de la star de téléréalité. Mais la Maison-Blanche… c’est une autre histoire qu’elle n’avait peut-être pas souhaitée.
Pendant la campagne électorale déjà, on la jugeait rigide, mal à l’aise, handicapée par son statut d’immigrée et son accent d’Europe de l’Est très prononcé. Sa première intervention publique, durant l’été 2016, se révéla un mauvais plagiat d’un discours de Michelle Obama. Potiche, Melania? Certains conseillers de Donald Trump le crurent et la reléguèrent en coulisses jusqu’à ce qu’ils aient besoin d’elle pour soutenir le candidat soupçonné d’agressions sexuelles. Le visage dur, déterminé, Melania affronta les caméras et montra ses griffes pour défendre son mari. Et le soir de la victoire, elle rejoignit docilement la brochette de créatures artificielles et splendides qui constitue l’écurie Trump –jambes interminables, courbes affriolantes, sourire immaculé–, participant volontiers à la promotion d’une image plutôt rétrograde de la femme.
Comme toutes les premières dames, la voilà chargée d’une mission impossible. On attend d’elle tout et son contraire : qu’elle représente son pays sans avoir de statut, qu’elle assume une charge publique sans faire de politique, qu’elle soit bonne épouse, bonne mère, bonne conseillère mais pas éminence grise… Bref, qu’elle se tienne à la fois dans l’ombre et la lumière. Parmi les 47 First Ladies qui l’ont précédée, certaines ont brillé (Eleanor Roosevelt, Jackie Kennedy, Hillary Clinton, Michelle Obama), d’autres se sont étiolées. Qui se souvient de Letitia Tyler, recluse au premier étage de la résidence présidentielle, qui y mourut en 1842, une Bible à la main? Ou de Jane Pierce, surnommée «l’ombre de la Maison-Blanche» (1853-1857), qui errait dans les couloirs vêtue de noir? Même la redoutable Nancy Reagan a avoué avoir souvent pleuré dans sa prison dorée.
Pour Melania, l’héritage est donc lourd. Elle a traîné des pieds, différé son arrivée à Washington de six mois pour s’occuper de son fils, Barron, à New York. Mère lionne mais épouse, par intérim. Que fait la première dame? A la Maison-Blanche, le sujet est tabou. Elle se languit, chuchotent les uns. Elle s’active, rectifient les autres. Dans l’aile Est, son staff ne comprend que neuf personnes, moitié moins que celui de Michelle Obama. Officiellement, on affirme qu’elle est passionnée par les arts et la philanthropie. On la voit surtout orchestrer ses apparitions comme un défilé de mode : tenue bleu-blanc-rouge pour dîner à la tour Eiffel, longue tunique au Moyen-Orient, blouson d’aviateur sur les lieux du cyclone Harvey (mais perchée sur des stilettos qui ont fait un mini-scandale), ou, pour célébrer l’héritage hispanique, jupe de flamenco écarlate surmontée d’un haut ultra-moulant qui a mis le feu à l’Amérique.
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Déteste-t-elle vraiment son rôle de First Lady? Pour alimenter le conte de fées, la presse lui a trouvé une rivale : Ivanka, la fille aînée du président, qui, c’est vrai, la remplace souvent. La gentille fille et la méchante belle-mère, ou l’inverse ? Stephanie Grisham, la porte-parole de Melania, le répète : ses priorités sont d’être «une mère, une épouse, et de servir le peuple américain». Soit. La jolie maman ne perd pas pour autant le sens des affaires. En février 2017, elle a réclamé 150 millions de dollars de dédommagements à des médias qui suggéraient qu’elle avait eu des activités de call-girl dans le passé. Ses avocats ont plaidé le préjudice, non pas moral, mais… commercial pour la marque Melania Trump (vêtements, accessoires, bijoux, cosmétiques). Une conception bien «trumpienne» du mandat présidentiel, vu comme une opportunité de faire tourner la machine à cash.
Malaise lorsqu’elle déclare se consacrer à la lutte contre le harcèlement sur Internet
Un an après l’élection, la First Lady, 47 ans, cultive donc le mystère. A petits pas, elle visite des écoles, distribue des jouets, plante des navets dans le potager. Dès qu’elle le peut, elle cache son regard derrière des lunettes noires comme une star fugitive. Pourtant, lorsqu’elle énonce de brefs discours déchiffrés sur les prompteurs, elle étonne : «Quand les femmes sont méprisées, le monde entier est méprisé avec elles, déclare-t-elle en mars dernier. Demandez-vous si vous auriez le courage moral, l’énorme force intérieure nécessaire pour lutter contre une écrasante adversité.» Parle-t-elle d’elle? Est-ce un message codé? Oublie-t-elle les propos tenus par son mari? Même malaise lorsque, à l’Onu, elle déclare se consacrer à la lutte contre le harcèlement sur Internet : «Nous devons, par notre exemple, enseigner à nos enfants à prendre soin du monde dont ils vont hériter. Nous devons nous souvenir qu’ils regardent et écoutent.» Elle n’ignore pas les insultes que déverse chaque jour le président sur les réseaux sociaux. Est-elle mise à contribution pour donner une image plus décente de la Maison-Blanche? Est-ce sa manière à elle de s’opposer à son mari? Ou les Trump se moquent-ils du monde? Un peu tout cela à la fois, sans doute.
Et voilà l’autre mystère : son couple, dissonant, qui n’est pas un modèle de romantisme. On note la froideur, le manque de naturel qui semblent régner entre Melania et Donald. Plus d’une fois, on l’a surprise la mine défaite, mécontente, repoussant furtivement son mari d’une petite tape sur la main. Mais les Trump ont compris la leçon, ils veillent désormais à se tenir proches l’un de l’autre en public, et Melania, consciencieuse, ajoute l’un de ses magnifiques sourires de papier glacé. Et ça marche : 48 % des Américains l’apprécient (contre 24 % il y a un an).
Finalement, l’évanescente s’affirme comme le pôle le plus stable d’un couple instable, l’élément le plus normal d’une présidence hors norme. Sa présence ramène Donald Trump vers un monde plus traditionnel et plus réel. Tel est peut-être l’objectif de cette First Lady mi-soumise, mi-rétive : dompter le fauve, du moins en public, adoucir les angles de cette présidence chaotique. Souvent, au cours de l’histoire, la personnalité des premières dames s’est révélée un indicateur de l’état du pays. L’attitude ambiguë de Melania Trump nous parle sans doute des Etats-Unis d’aujourd’hui, une nation elle aussi mal à l’aise, déboussolée et profondément divisée.