Négligée par Hassan II, la « perle du Nord » a retrouvé des couleurs avec Mohammed VI, qui en a pratiquement fait la troisième capitale du royaume. Reportage.
«Ici, Sa Majesté n’a pas besoin de sa sécurité personnelle, elle a plus de 900 000 gardes du corps à Tanger ! » s’exclame le chef de gare en commentant l’escapade royale impromptue de la veille. Le 19 septembre au soir, s’étant affranchi de sa garde rapprochée, Mohammed VI avait embarqué par surprise son hôte François Hollande, le président français venu dans la ville du détroit en visite de travail et d’amitié, pour un tour informel sur la corniche dans son coupé Mercedes.
« Nous avons roulé vitres ouvertes, c’était très amical. Le roi voulait me montrer qu’il circule parmi son peuple très librement et qu’il aime beaucoup cette ville, je crois d’ailleurs que sa grand-mère est de Tanger », commentait en privé le Français. Sans doute faisait-il allusion à la grande-tante du roi, Lalla Fatima Zahra, grande figure tangéroise, qui « était le mentor du futur roi Mohammed VI lors de ses visites fréquentes dans la ville », écrivait The Telegraph à la mort de la princesse, en 2003.
Une porte essentielle sur la Méditerranée et l’Europe
Sublime porte du Maroc vers l’Europe, l’Atlantique et la Méditerranée, la « perle du Nord » se mourait doucement au crépuscule du XXe siècle, négligée par le précédent souverain, Hassan II. Ce dernier n’avait mis qu’une fois le pied dans ce Nord rebelle, à Al-Hoceima, le 16 janvier 1959, où il entrait en vainqueur armé après dix jours d’une répression sanglante.
À peine l’indépendance proclamée, en 1956, le Rif, qui avait déjà tenté de s’ériger en République sous l’impulsion d’Abdelkrim al-Khattabi dans les années 1920, renouait avec ses aspirations autonomistes, et le futur Hassan II, alors prince héritier, avait été chargé avec le général Oufkir de soumettre par la force les séditieux.
Durant tout son règne, Hassan II délaissera la région et Tanger périclitera, livrée à l’économie de la contrebande et du haschich, ses enfants condamnés à choisir entre le chômage, les trafics ou la migration.
LE NOUVEAU ROI EST CONSCIENT QUE L’ABSENCE DE DÉVELOPPEMENT DU NORD FERME UNE PORTE ESSENTIELLE SUR LA MÉDITERRANÉE ET L’EUROPE
En 1999, l’avènement de Mohammed VI change radicalement la donne. Le nouveau roi est conscient que l’absence de développement du Nord ferme une porte essentielle sur la Méditerranée et l’Europe.
Après son intronisation, c’est dans le Nord et l’Oriental qu’il effectue son premier voyage officiel, lançant les grands projets qui feront en quelques années de Tanger, carrefour de tous les trafics, un hub économique de premier plan. « Le roi réside souvent à Tanger, mais au début de son règne il y était tout le temps, dirigeant le pays depuis notre ville, y recevant les chefs d’État étrangers : il en a fait une vraie capitale du royaume ! » rappelle Rachid Tafersiti, fondateur et président de l’association Al-Boughaz (« Le détroit »), qui milite pour un développement de la ville respectueux de l’environnement et du patrimoine.
« Il a démontré sa vision à long terme pour la ville, poursuit le Tangérois, abandonnant ainsi le projet élaboré dans les années 1990 de développer la zone du vieux port qui aurait mis le centre multiculturel au service exclusif de la logistique et du commerce portuaire, pour créer Tanger-Med dans une zone spéciale. »
Des infrastructures renouvelées
Inauguré en 2007 à 40 kilomètres de la cité, ce port ultramoderne tire aujourd’hui pleinement partie de sa situation stratégique à l’orée du détroit de Gibraltar, traitant chaque année 3 millions de conteneurs et attirant des poids lourds de l’industrie mondiale comme le voiturier français Renault, qui y a implanté, en 2012, la plus grande usine automobile d’Afrique. Opérationnelle en 2016, l’extension Tanger-Med II doublera les capacités de l’infrastructure portuaire.
TANGER OCCUPE UNE PLACE SPÉCIALE ; TANGER EST RESPECTÉE ; LE ROI EST AVEC NOUS AVANT L’AÏD ET APRÈS L’AÏD, RECONNAIT LE MAIRE DE LA VILLE, BACHIR ABDELLAOUI
Aujourd’hui largement ouverte sur le monde, celle qui avait le statut de zone internationale entre 1923 et 1956 a été connectée au sud et à l’est du royaume par de nouvelles autoroutes, et, le 19 septembre, Mohammed VI inaugurait avec François Hollande une station de maintenance de la ligne à grande vitesse (LGV) qui placera en 2018 la ville à deux heures dix de Casablanca, la capitale économique. Fraîchement élu, le maire Bachir Abdellaoui, du Parti de la justice et du développement (PJD), reconnaissait, le 7 octobre, que « Tanger occupe une place spéciale ; Tanger est respectée ; le roi est avec nous avant l’Aïd et après l’Aïd ».
« Hassan II nous a ignorés. Il n’aimait pas les gens du Nord. Avec Mohammed VI, c’est différent, il aime venir ici. Il était ici hier, il vient de repartir, mais il a laissé ses affaires, il va revenir dans quelques jours », renchérit un commerçant de la médina.
« Le roi aime Tanger, son côté ouvert sur le monde mais aussi ses aspects purement marocains, ses spécificités locales, ses montagnes, ses campagnes et la douceur de son climat », confirme le journaliste tangérois Jamal Amiar. Si le roi apprécie depuis toujours les escapades solitaires en décapotable dans les villes de son royaume, on le croise souvent à Tanger, à tel point qu’en septembre 2014 un « faux Mohammed VI » a été condamné à de la prison ferme pour « tentative d’escroquerie » : à bord de sa BMW, un Rbati qui présentait des similitudes physiques avec Sa Majesté s’était rendu à Tanger et à Tétouan, adressant des saluts royaux de la main aux piétons, qui croyaient voir passer leur souverain.
L’attachement particulier de Mohammed VI pour Tanger
Celui-ci n’était d’ailleurs pas loin à ce moment-là, résidant dans la petite ville balnéaire de M’diq – le « Saint-Tropez marocain » -, sur la côte méditerranéenne, où il se rend régulièrement pour pratiquer son sport favori, le jet-ski. Sensible aux faveurs royales, la « perle du Nord » a repris des couleurs : ses vieux quartiers font peau neuve, sa corniche a été réaménagée de fond en comble et une marina de plaisance est en cours d’achèvement au pied de la médina.
À l’autre bout de la baie, autour de la gare d’où partiront les premiers TGV d’Afrique du Nord, un quartier moderne est sorti de terre, où se concentrent les noms les plus prestigieux de l’hôtellerie internationale. À quelques pas du Mövenpick et du Golden Tulip, un imposant Hilton devrait ainsi ouvrir ses portes avant la fin de l’année.
C’EST AUJOURD’HUI SUR LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN DE LA CITÉ QUE SE CONCENTRE L’ACTION ROYALE, DANS LE CADRE DU PROJET « TANGER-MÉTROPOLE »
Mohammed VI a pris personnellement en main le développement de la ville, mais il l’a fait en étroite concertation avec les représentants de son peuple, rappelle Jamal Amiar : « Il n’a pas arrêté de se réunir pendant deux ans avec la société civile, le « Tanger d’en bas », avant de lancer ses grands projets. » Et c’est aujourd’hui sur le développement humain de la cité que se concentre l’action royale, dans le cadre du projet « Tanger-Métropole » lancé en 2013.
Sans doute le souverain eut-il une pensée émue pour sa grande-tante Lalla Fatima Zahra, grande militante tangéroise de la cause féminine, en inaugurant, le 12 octobre, un Centre d’éducation et de formation des femmes, une Maison de l’enfant et un Centre pour mères en détresse dans divers quartiers de Tanger. « Comme je militais pour la cause d’une ville mal aimée, on me regardait comme un opposant sous Hassan II, raconte le militant associatif Tafersiti, mais ce qu’a fait Mohammed VI pour la ville est extraordinaire, je suis fan ! » Une reconnaissance partagée par plus de 900 000 Tangérois.
avec jeuneAfrique