La filiale de Castel, Solibra, ne compte pas plier face à son nouveau concurrent sur le marché ivoirien, Brassivoire. Et la guerre entre les deux brasseurs se livre à coups de panneaux publicitaires.
«Notre arrivée a dynamisé le marché », soutient Alexander Koch, directeur général de Brassivoire. En mettant sa brasserie en service, en novembre 2016, la filiale ivoirienne de Heineken (51 %) et de CFAO (49 %) est venue briser le quasi-monopole de Solibra, filiale de la Société des brasseries et glacières internationales détenue par le groupe Castel.
L’usine, qui mobilisera à terme un investissement de 150 millions d’euros, produira 1,6 million d’hectolitres de bière Ivoire par an – contre environ 2 millions pour Solibra. Une capacité qui traduit les ambitions de Brassivoire sur le marché ivoirien, estimé à 2,8 millions d’hectolitres par an.
La Côte d’Ivoire est un marché à forte croissance dont la taille a doublé depuis 2007
« Certains pays africains, comme le Cameroun, ont des niveaux de consommation plus élevés, mais la Côte d’Ivoire est un marché à forte croissance dont la taille a doublé depuis 2007 », poursuit Alexander Koch, ajoutant que les travaux de la deuxième ligne de production, qui doit entrer en service en 2018, ont commencé plus tôt que prévu.
« Nous n’avions pas pensé faire ces investissements tout de suite, mais notre succès dans le pays nous l’impose », complète Marc Bandelier, DG de CFAO FMCG & Agri, la division produits et distribution de biens de consommation courante du groupe français.
Une rivalité entre les deux marques
Un succès pas encore chiffré que Brassivoire doit en partie à une offensive marketing de grande ampleur. Pour gagner des parts de marché face à Solibra, il a proposé gratuitement à tous les restaurateurs un panneau de présentation de leur maquis à l’effigie de son unique marque locale de bière, l’Ivoire.
Commercialisée dans des bouteilles de 60 cl, celle-ci est un produit d’entrée de gamme à l’instar de la Bock, l’une des marques phares de Solibra. Une campagne qui n’a pas manqué de faire réagir la filiale de Castel : « Depuis le début de l’année, nous avons dû suivre Brassivoire en rénovant les devantures des restaurants et des maquis », concède Roger Philippe Adou, directeur général adjoint de Solibra.
Le gérant des Jardins d’Éden, établissement situé sur la route de Bassam, confirme l’avance prise par Brassivoire. Et estime que le succès d’une telle opération était prévisible : « Nous payons une redevance de près de 200 000 F CFA (environ 305 euros) par mois pour le panneau de notre maquis alors que les marques de bière proposent les leurs gratuitement ! » explique-t‑il.
Problème éthique
Mais ces campagnes marketing ont pris une tournure anarchique. Depuis quelques mois, les façades de restaurants flambant neuves et griffées avec les marques Ivoire, Bock ou Beaufort foisonnent à Abidjan, au point de changer le paysage urbain. La multiplication sauvage des affiches a même entraîné des actes de vandalisme.
Des panneaux de restaurant siglés Ivoire ont ainsi été retrouvés déracinés le long de la route de Bassam. Pointé du doigt, Solibra dit n’avoir rien à voir avec cette histoire. Il s’agirait d’un propriétaire de restaurant qui voulait changer de fournisseur.
Quand des publicités d’alcool sont apposées près d’officines de santé ou d’écoles, elles posent un problème éthique
Mahama Coulibaly, président de la Chambre des afficheurs de Côte d’Ivoire, regrette que la concurrence prenne cette tournure : « Ces pratiques sont irrégulières », explique-t‑il, citant le décret no 2007-676 du 28 décembre 2007 régissant l’affichage publicitaire. Selon lui, elles posent un problème éthique, quand des publicités d’alcool sont apposées près d’officines de santé ou d’écoles. Par ailleurs, indique-t‑il, « si un maquis utilise le logo et la charte graphique d’une marque, il fait de la publicité détournée ».
Dans un communiqué publié le 14 juin, Solibra affirme être conscient du problème. Si le groupe a suivi le mouvement, c’est parce que « malgré la réglementation il n’y a pas eu, au départ, de réaction des autorités », se défend Roger Philippe Adou.
Depuis, Solibra et Brassivoire ont rencontré le Conseil supérieur de la publicité. Si le premier a indiqué vouloir « procéder à des ajustements sur les points de vente et au démantèlement de certaines enseignes », le second n’a pas annoncé de mesures précises. Alexandre Koch concède qu’il faut limiter le nombre d’affiches mais n’envisage pas pour autant de réduire ses dépenses marketing. « Nous avons de grandes ambitions pour ce marché », insiste-t‑il.
Solibra s’impose malgré tout
En attendant, « Solibra est toujours leader sur le marché », tempère Roger Philippe Adou. Un haut cadre du secteur estime que la filiale du groupe Castel détient encore trois quarts des parts de marché. Un chiffre que ni Solibra ni Brassivoire n’ont voulu confirmer.
Pour l’instant, les deux brasseurs affirment ne pas vouloir mener la bataille sur le terrain des prix. Chez Solibra, on veut plutôt « mettre l’accent sur les services à destination des distributeurs », explique Roger Philippe Adou.
Il y a un peu plus de deux ans, pour contrer son précédent concurrent, Les Brasseries ivoiriennes, qu’elle a entre-temps absorbé, la filiale de Castel avait misé sur une politique de crédit pour ses distributeurs agréés. Tout en exigeant l’exclusivité, elle accordait à ces derniers un délai plus long pour payer les stocks enlevés.
Aujourd’hui, Solibra table aussi sur des innovations produit. Depuis deux mois, le brasseur propose un nouveau bouchon baptisé « pull off », plus facilement décapsulable, sur les bouteilles de Beaufort. Et « d’autres innovations sont à venir », promet-il.
Nous avons construit notre propre réseau et travaillons avec 50 distributeurs qui nous permettent déjà de couvrir 80 % du pays
Chez Brassivoire, on vante la qualité de l’Ivoire, « la première bière ivoirienne à avoir remporté un prix international, la médaille du goût remarquable au concours de l’Institut international du goût et de la qualité à Bruxelles », rappelle Alexander Koch.
Le brasseur travaille également sur sa distribution et son approvisionnement : « Nous avons construit notre propre réseau et travaillons avec 50 distributeurs qui nous permettent déjà de couvrir 80 % du pays. Nous brassons en utilisant du riz local, en complément du malt d’orge, qui reste la matière première principale. L’eau utilisée provient d’une source naturelle. Et nous développons nous-mêmes nos levures », détaille Alexander Koch.
Ces pratiques s’inscrivent dans la stratégie de Heineken en Afrique – où il réalisait, en 2015, 15 % de ses revenus, soit 3 milliards d’euros, et 21 % de ses profits, soit 700 millions d’euros. Le groupe souhaite en effet que ses usines africaines s’approvisionnent à 60 % localement d’ici à 2020.
Déjà-vu
Entre 2013 et 2015, Solibra avait dû faire face à un autre concurrent de taille, Les Brasseries ivoiriennes, du groupe Eurofind. Mais, très vite confronté à des difficultés financières et à l’échec de certains de ses produits, le holding de la famille Khalil a été contraint de vendre…à Solibra, pour 49 millions d’euros
Avec jeuneafrique