Il a mené à bien la construction du port camerounais, le voici placé à la tête de la nouvelle entité. Objectifs : accueillir des navires avant la fin de l’année et, déjà, s’attaquer à l’extension de l’infrastructure…
Il se garde bien de l’avouer mais Patrice Barthélémy Melom est conscient que sa désignation, le 23 août, comme premier directeur général du Port autonome de Kribi (PAK) apparaît pour beaucoup comme une récompense après un long engagement en faveur de cette nouvelle structure. Ce jour-là, dans la matinée, alors que le conseil d’administration de la nouvelle structure s’apprête à tenir sa session inaugurale, son nom circule déjà dans les milieux informés de Yaoundé.
Patrice Melom fait la sourde oreille et enchaîne les réunions. Jusqu’à 15 heures, lorsqu’un coup de fil émanant du cabinet du ministre camerounais des Transports, Edgard Alain Mébé Ngo’o, l’invite à se rendre au ministère toutes affaires cessantes. Sur place, il est officiellement informé de la décision du président Paul Biya et aussitôt installé dans ses nouvelles fonctions.
Statisticien de formation
Une consécration pour ce statisticien de 55 ans natif de Bipindi (à 60 km à l’est de Kribi) qui rêvait d’être pilote ou architecte. Diplômé de l’Institut sous-régional de statistique et d’économie appliquée (Issea) de Yaoundé, Patrice Melom a commencé sa carrière comme ingénieur au ministère du Plan avant de travailler pour la présidence de la République puis, durant une quinzaine d’années, au contrôle supérieur de l’État.
En 2002, ce fils d’enseignant a complété sa formation avec un DESS à l’Institut supérieur de management public (ISMP) de Yaoundé et, en 2005, a intégré les services du Premier ministre. C’est là qu’il se frotte pour la première fois au projet du port en eau profonde de Kribi.
Nommé en 2012 coordonnateur de l’unité opérationnelle du comité de pilotage et de suivi de la réalisation du complexe industrialo-portuaire de Kribi, Patrice Melom a mené à son terme la première phase de cet immense projet de 574 millions de dollars (environ 513 millions d’euros), financé à 85 % par China Exim Bank. Construit par China Harbour Engineering Company (CHEC), le port général (16 mètres de profondeur) a été livré en mars 2015 : il comprend notamment un quai de 615 m de long, un chenal, une digue de protection et des bâtiments administratifs. L’infrastructure pourra accueillir des navires de plus de 100 000 tonnes.
Tout en défendant les intérêts de l’État, il me fallait jouer au modérateur et convaincre les uns et les autres de rester autour de la table
Un ouvrage en progrès
La tâche n’a pas été de tout repos. « Les pourparlers avec les partenaires furent âpres et le ton est souvent monté entre les représentants des différentes parties, confie un proche collaborateur de Patrice Melom. Son tempérament calme et réservé a été déterminant. En tant que président de la commission de négociations, il n’a jamais perdu son sang-froid. » Ce que l’intéressé semble relativiser : « Tout en défendant les intérêts de l’État, il me fallait jouer au modérateur et convaincre les uns et les autres de rester autour de la table », lâche-t‑il, tout en confessant qu’avoir pratiqué le shotokan, une variante du karaté, l’a rendu endurant.
De l’endurance, il lui en faudra sans doute pour parachever la mise en exploitation du port. Le PAK est censé générer 4 000 emplois, directs et indirects, dès la première année. Le temps presse, et le projet accuse déjà du retard. Il reste à parapher les contrats de concession avec le groupement Bolloré-CMA CGM-CHEC pour le terminal à conteneurs (d’une capacité de 350 000 équivalents vingt pieds), avec le consortium Necotrans-KPMO pour le terminal polyvalent (d’une capacité de 1,5 million de tonnes) et avec le néerlandais Smit Lamnalco pour le remorquage et le lamanage.
« Nous sommes prêts à lancer les activités à la fin de l’année si les contrats de concession sont signés dans les prochains jours », indique un cadre de Bolloré. Une échéance sur laquelle se cale aussi le patron du PAK : « Nous avons arrêté une feuille de route au sein de l’unité opérationnelle et l’avons déjà exécutée à 70 %. La négociation des contrats avec les opérateurs est achevée, celle des annexes est pratiquement finalisée et la signature des documents est imminente. » Selon Patrice Melom, il ne reste qu’à finaliser les procédures douanières, à mettre en place les services administratifs et à se mettre en conformité avec le code ISPS pour la sécurité des navires et des installations portuaires.
Les défis à venir
Il lui faudra aussi lever l’appréhension des professionnels de la manutention, inquiets de l’absence d’entrepôts. « Ce n’est pas faute d’avoir demandé depuis des années qu’on nous montre un espace où nous pourrions les construire », peste un membre du Groupement professionnel des aconiers du Cameroun (GPAC). « Nous sommes en train d’aménager une zone logistique prioritaire de 200 hectares qui répondra à leurs préoccupations », répond Patrice Melom.
Parallèlement, la direction du PAK doit s’atteler à l’aménagement progressif de la zone industrielle de 20 000 hectares adossée au port. Car les sollicitations pour s’implanter dans cet espace appelé à devenir une zone économique spéciale ne manquent pas.
Ces dossiers urgents n’empêchent pas Patrice Melom de s’occuper de ses six enfants, de s’adonner à l’agriculture dans son village dès qu’il le peut et, surtout, de s’attaquer à un autre chantier : l’extension du PAK. Cette phase du projet, dite de croissance, doit en principe commencer au premier trimestre 2017 et coûtera 716 millions de dollars, là encore financés en grande partie par China Exim Bank.
Elle prévoit notamment la construction d’un deuxième terminal à conteneurs de 700 m et d’un terminal à hydrocarbures (grâce au consortium constitué de la Société camerounaise des dépôts pétroliers et du canadien Blaze Energy), ainsi que l’installation d’équipements de manutention. Également prévue, la réalisation du terminal minéralier risque d’être reportée du fait de la chute des cours des matières premières, qui affecte aussi le projet d’exploitation du gisement de fer de Mbalam-Nabeba, à la frontière avec le Congo.
Pendant ce temps à Douala…
Le 24 août, au lendemain de la nomination de Patrice Melom à la tête du port de Kribi, Cyrus Ngo’o est devenu directeur général du Port autonome de Douala (PAD). Il succède à Emmanuel Etoundi Oyono, décédé un mois plus tôt. Administrateur civil de 49 ans, par ailleurs diplômé en stratégie d’entreprise à l’Université de Québec à Montréal (Canada), Ngo’o n’arrive pas en terre inconnue. Il représentait la primature au conseil d’administration du PAD et a piloté, ces deux dernières années, l’audit des concessions attribuées.
L’un de ses chantiers sera d’ailleurs de renégocier lesdites concessions… Mais il devra surtout redynamiser un port en surcapacité, souvent engorgé et dont les coûts de passage des marchandises et la médiocre qualité des services obèrent la compétitivité. Loin d’être une menace à court terme, Kribi lui permettra, grâce au cabotage, d’accroître son activité.
Avec jeuneAfrique