Dans la zone industrielle d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, un miracle africain. Une petite entreprise locale est parvenue à se hisser au niveau des multinationales Danone et Nestlé. PKL, pour Protein Kissèe-La, qui fabrique des farines infantiles enrichies à base de soja et de maïs, est la première entreprise de production d’aliments pour bébé au sud du Sahara (hors Afrique du Sud), numéro deux du marché ivoirien juste derrière Danone. Derrière ce succès, une femme, l’une des premières industrielles en Côte d’Ivoire. Sans sa détermination, il est peu probable que le champion africain PKL aurait pu endurer le chemin de croix que réserve la création d’entreprise en Afrique.
Le paradoxe africain
Marie Diongoye Konaté est une rebelle. Les absurdités l’agacent, surtout lorsqu’elles entravent le développement africain. Tout juste diplômée, ingénieur et architecte, passionnée par le ballon rond, c’est dans les années 80 qu’elle se rend au Brésil. Pas encore émergent, le pays est déjà le premier producteur mondial de soja, de sucre et de viande bovine. Surtout, il transforme localement ses propres ressources agricoles, soit tout le contraire du continent africain. “Le problème en Afrique, c’est que nous exportons ce que nous produisons et importons ce que nous mangeons”, s’insurge-t-elle. Une pratique qui nuit au développement de l’agriculture locale et à l’emploi. “Nous devons absolument valoriser nos ressources locales et produire ce dont nous avons besoin pour notre consommation quotidienne”, insiste-t-elle.
De l’Amérique latine à l’Afrique
Malienne d’origine, elle rejoint la Côte d’Ivoire au début des années 90 pour travailler sur un projet financé par le gouvernement autour du soja. Un boulot en or pour la fille d’un ancien ministre de l’Économie du Mali et d’une femme médecin. Sauf que depuis son voyage en Amérique latine, la graine a germé et la même obsession revient sans cesse : pourquoi réserver le soja et le maïs produits sur le continent au bétail et nourrir les bébés avec des farines importées ? Poste, salaire, chauffeur, les avantages ne suffisent pas à la retenir, Marie Konaté claque la porte.
Elle aurait pu choisir la voie de la facilité. D’une famille engagée – son grand-père, Mamadou Konaté, a oeuvré à l’indépendance du Mali -, elle a plutôt l’âme d’un bâtisseur. Pour combler son envie d’entreprendre, la malnutrition infantile sera son cheval de bataille. Diplômée de l’École polytechnique de Lausanne, Marie dispose d’une formation et d’une expérience solides, mais son bien le plus précieux reste l’éducation reçue aux côtés de ses deux frères. “Même si mon père était ministre, nous n’avions pas le droit de gaspiller. Nous n’avions pas de passe-droit.” Un parcours qui lui donne la pugnacité nécessaire pour affronter la suite.
David contre Goliath
En effet, les banques autant que les institutions internationales, comme la Banque africaine de développement (BAD) et la Société financière internationale (SFI), refusent de financer son projet, à l’échelle d’une PME. On ne prête qu’aux riches, c’est bien connu. “En Afrique, les bailleurs de fonds ne soutiennent que les multinationales. Plutôt que de favoriser l’émergence des PME et donc de nous permettre de nous approvisionner localement, ils font de nous des assistés.” D’autant que les poids lourds Danone et Nestlé sont déjà sur le segment de la nutrition infantile. “Les banques pensaient que les multinationales allaient m’écraser. Finalement, il y a de la place au soleil pour trois !” Elle pioche finalement dans ses économies et se lance avec 400 000 FCFA. “Je voulais montrer qu’on pouvait démarrer avec l’équivalent de 600 euros de fonds propres.” Grâce au Cepici (Centre de promotion des investissements en Côte d’Ivoire), une initiative du gouvernement qui soutient les entreprises dans leurs démarches administratives, elle monte PKL en six mois. “Sans le Cepici, je crois que je n’y serais pas arrivée”, affirme-t-elle.
L’inébranlable
Marie ne connaîtra pas la paix pour autant, les obstacles s’accumulent. En 2006, l’entreprise est touchée de plein fouet par les déchets toxiques déversés par le navire Probo Koala. Elle apprend également qu’elle est installée sur un terrain au centre d’un litige foncier et vit sous la menace d’une expulsion. Sans compter les conséquences des crises électorales, qui anéantissent l’économie. Même face au racket des percepteurs des impôts, Marie Konaté résiste. Son arme ? L’éthique. La charte anti-corruption est d’ailleurs placardée sur les murs de PKL. “Refuser la corruption, c’est le meilleur investissement qu’on peut faire.”
Aujourd’hui à la tête d’une entreprise qui affiche un chiffre d’affaires de 1,3 milliard de FCFA (2 millions d’euros) et de 70 employés, dont 45 % sont des femmes, Marie Konaté a bien mérité son surnom : l’insubmersible. Ses méthodes de management qui valorisent la prise d’initiative sont souvent citées en modèle. Elle a aussi reçu le prix de la Meilleure PME de Côte d’Ivoire en 2002. Son ambition ? Faire partie des dix meilleures entreprises agroalimentaires d’Afrique de l’Ouest à l’horizon 2020. Un succès qui ne fait aucun doute.
Avec L’Entrepreneuriat