Orange vous souhaite la bienvenue en Belgique. En Italie. En Allemagne. En Roumanie. » Orange est d’ailleurs le premier à vous accueillir à votre descente d’avion, avant vos amis ou votre famille. Cela valait bien la peine d’abolir les frontières physiques entre pays européens pour les voir réapparaître sous la forme de ces textos intrusifs et de supprimer les droits de douane pour se faire lourdement taxer par les tarifs de « roaming », ces sommes extravagantes prélevées par les opérateurs télécoms dès que nous quittons nos espaces nationaux. Paradoxalement, l’ère digitale nous a redonné le sens du voyage à l’étranger, et toutes les ruses qui l’accompagnent : désactivation de l’itinérance sur nos smartphones, substitution de carte SIM, voire dans les cas les plus désespérés (dont je fais partie) achat d’un deuxième téléphone pour éviter la mort sociale (personne ne vous appelle sur un numéro commençant par +44). Il suffit de franchir le Rhin pour être privé de Google Maps et se retrouver perdu une carte à la main comme un pauvre voyageur 1.0.
Grâces soient donc rendues à Jean-Claude Juncker pour avoir, dans son discours sur l’état de l’Union, annoncé des mesures fortes vers ce marché unique numérique dont il a fait un enjeu central de son mandat. Déjà, suite à un vote du Parlement européen en octobre 2015, les tarifs de « roaming » sont en baisse et devraient disparaître d’ici au milieu de l’année prochaine. Mais l’Union se fixe des objectifs plus ambitieux : harmonisation du spectre radio, connexion de tous les foyers européens au très haut débit et déploiement d’une couverture 5G ininterrompue à partir de 2018. La refonte annoncée du droit des communications électroniques devrait faciliter les investissements transeuropéens, en donnant davantage de sécurité aux opérateurs sur les bénéfices qu’ils peuvent en attendre. La logique voudrait que l’on aboutisse à un régulateur européen unique pour les télécoms, même s’il devra tenir compte des disparités géographiques et historiques des territoires. Rêvons un peu : demain, n’importe quel citoyen sur n’importe quelle partie du territoire européen pourrait accéder pour le prix de son forfait à un réseau de qualité, télécharger films et applications sans restriction géographique et appeler n’importe qui. Ce qui ferait de l’Europe la première zone du monde à être intégralement couverte (sauf pour les Brexiters du pays de Galles naturellement, qui, eux, continueront à aller chercher les hotspots sous la pluie et à payer au prix fort leurs appels vers le continent). Ne serait-ce pas une avancée à la mesure d’Erasmus ou du low cost aérien ? La connectivité n’est pas un luxe. Elle permet d’accélérer les échanges économiques, mais aussi de partager les données médicales ou de participer au renouveau démocratique offert par la Civic Tech.
Bien sûr, on peut et on doit contester certains éléments de la proposition Juncker. Je ne suis pas persuadé que mettre en place une ligne de crédit européenne (subtilement baptisée « Wifi4EU ») pour financer le wi-fi public dans les collectivités locales soit la meilleure manière de responsabiliser les élus. Plus grave encore, les mesures pour renforcer la protection du droit d’auteur vont à l’encontre de l’esprit du Web, et risque d’enrayer pour des raisons idéologiques le moteur d’innovation qui nous vient des géants de l’Internet américains. Mais, sur la base d’un relatif consensus en faveur d’un marché unique numérique, tous ces éléments pourront être légitimement débattus au sein du Parlement. J’en profite d’ailleurs pour rappeler que, depuis les élections européennes de 2014, le président de la Commission n’est plus nommé par les chefs d’Etat, mais élu par le parti (ou la coalition) majoritaire au Parlement européen, selon le plus pur modèle de la démocratie parlementaire… britannique !
L’Europe tant décriée offre ici son meilleur visage. Par pitié, arrêtons de réclamer une « vision », un « destin commun », fantasmes constructivistes qui ont déjà tant endommagé notre politique nationale. Considérons les 500 millions d’Européens non pas comme une grande famille, mais comme autant d’individus avides de liberté et de progrès. En proposant « un programme positif d’actions européennes concrètes », M. Juncker se montre fidèle au véritable projet européen, celui qui se bâtit, selon la fameuse formule de la déclaration Schuman, « par des realisations concretes creant d’abord une solidarite de fait ». Est-il permis de l’applaudir ?
avec lesechos