Rachat de brasseries locales, l’extension de capacités d’installations existantes, construction de nouvelles usines, méga-fusions… Pour de nombreux experts, l’avenir de l’industrie mondiale de la bière se joue désormais en Afrique. Et si les majors du secteur ont déjà pris de l’avance dans cette nouvelle course au profit, tout reste encore à jouer sur ce marché très prometteur, qui reste largement ouvert à la concurrence.
Une zone clé pour l’industrie mondiale de la bière
La ruée des géants mondiaux de la bière vers l’Afrique s’explique par les belles perspectives d’augmentation des capacités de production de l’industrie que le continent offre en raison de la croissance économique, du boom démographique fulgurant, de l’émergence d’une classe moyenne et de l’urbanisation rapide. Ainsi, d’après l’entreprise d’études de marché Canadean, le volume de bière vendu en Afrique devrait croître de 5% par an en moyenne entre 2015 et 2020. Ce niveau de progression est légèrement au-dessus de celui de l’Asie (3%) qui a porté le marché durant cette dernière décennie et reste bien très loin de la croissance de 1% escomptée en Europe occidentale ou en Amérique du Nord. Pour sa part, la Deutsche Bank dans un rapport datant de 2015, indique que le continent africain représentera 37% du volume mondial de la bière et comptera 42% de la croissance du bénéfice des entreprises brassicoles mondiales d’ici 2025.
Le marché africain de la bière
En Afrique, la valeur du marché de la bière est estimée à 13 milliards de dollars. La moyenne annuelle de la boisson ingurgitée par individu est de 9 litres, soit un niveau cinq fois inférieure à la tendance mondiale (44 litres) et encore plus loin de celui d’une zone comme l’Europe (55 litres).
En Afrique, la moyenne annuelle de la bière ingurgitée par individu est de 9 litres, soit un niveau cinq fois inférieur à la tendance mondiale (44 litres)
A l’intérieur du continent africain, ce chiffre varie énormément, allant de 5 litres en Ethiopie à 12 litres au Kenya, 36 litres au Cameroun ou 60 litres en Angola, alors même qu’il peut grimper à 74 litres en Belgique ou 100 litres en Allemagne.
La consommation annuelle varie beaucoup d’un pays à l’autre : 5 litres en Ethiopie, 12 litres au Kenya, 36 litres au Cameroun ou 60 litres en Angola.
L’Afrique du Sud est le principal marché africain de la bière avec un volume dépassant les 30 millions d’hectolitres par an. Malgré cette place importante, il faut noter que la consommation sud-africaine s’est essoufflée durant ces 20 dernières années. Comptant en effet pour 46% du volume africain en 1995, la consommation de la Nation arc-en-ciel ne représentait plus que 39% en 2005 et 26% en 2015, une part qui, selon les prévisions devrait se replier à 20% d’ici 2025.
Le Nigéria arrive au second rang dans la consommation derrière l’Afrique du Sud. Contrairement à ce dernier, le pays le plus peuplé d’Afrique a vu sa contribution passer de 14% à 16% entre 2005-2015.
Selon les prévisions de la Deutsche Bank, le géant ouest-africain devrait dépasser d’ici 2030, l’Afrique du Sud à la faveur du boom démographique attendu et de croissance économique. La troisième place est occupée par l’Angola qui est l’une des zones les plus dynamiques pour l’industrie, avec une contribution au volume africain passant de 5% en 2005 à 10% en 2015. Le classement est complété par des pays comme le Cameroun, la RDC, le Mozambique, la Tanzanie et le Kenya.
Un marché dominé par 4 grands acteurs
Le paysage africain de la bière reste relativement concentré. On estime en effet que le marché est contrôlé à 90% par le quatuor formé par le néerlandais Heineken, le français Castel, le britannique Diageo et le belgo-brésilien ABInBev qui a rejoint le groupe depuis sa fusion avec le sud-africain SABMiller (autrefois plus gros brasseur d’Afrique et deuxième mondial).
Si, compte tenu de la nouvelle donne du marché, les entreprises sont obligées d’être proactives afin de développer leur présence, elles peuvent aussi nouer des pactes de non-agression.
SABMiller est présent au capital du Français, à hauteur de 20% (à l’exception de ses activités en Algérie, au Maroc et en Angola), tandis que ce dernier détient, en retour, 38% de l’activité africaine, hors Afrique du Sud, de SABMiller.
Dans ce cadre, il faut noter que SABMiller est présent au capital du Français, à hauteur de 20% (à l’exception de ses activités en Algérie, au Maroc et en Angola), tandis que ce dernier détient, en retour, 38% de l’activité africaine, hors Afrique du Sud, de SABMiller.
ABInBev, qui dit mieux
Profitant de son rapprochement à 112 milliards $ en 2016, avec SABMiller, fondé en 1895, AB InBev est devenu le leader mondial de la bière et un acteur de premier plan en Afrique avec près de 40% du marché. Avec des marques phares comme Castle, Hero, ou Kilimanjaro, le groupe est présent grâce à ses filiales dans plus d’une trentaine de pays africains. Hormis sa terre natale où il est roi (80% des parts), le brasseur domine plusieurs marchés comme la Zambie, le Mozambique, le Zimbabwe, le Botswana et la Tanzanie. Il est également présent depuis 2009, dans un pays à fort potentiel comme le Nigéria, où il fournit 12% du volume global.
Castel, toujours bien portant
Numéro trois mondial du vin, le groupe français Castel fondé en 1949 à Bordeaux, représente le deuxième producteur de bière en Afrique, par le biais sa filiale BGI (Brasseries et glacières internationales) qu’elle a racheté en 1990.
Castel se taille 74% du marché camerounais.
Implanté dans une vingtaine de pays africains (principalement francophones), le groupe qui a débuté ses opérations de brassage en 1967 au Gabon, possède 25% des parts de marché sur le continent. Parmi les principaux pré-carrés de la compagnie figurent le Cameroun, où il domine 74% des parts de marché (2016) grâce à sa filiale Société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC). Par ailleurs, Castel est également bien enraciné en Angola qui représente avec le Cameroun, 52% de son volume. Dans le pays lusophone, le groupe domine 80 % de l’offre par le biais de la Companhia União de Cervejas de Angola (CUCA) qui brasse la bière éponyme.
Heineken, numéro un ou challenger de poids
Second brasseur mondial, le Néerlandais Heineken est le troisième du continent africain avec environ 18% des parts de marché. Le groupe qui s’est fixé comme ambition « d’étendre son empreinte et de devenir le numéro 1, ou un challenger de poids, dans tous les marchés » dans lesquels il opère, a accéléré ces cinq dernières années ses opérations sur le continent qui compte, avec le Moyen-Orient et l’Europe de l’Est, pour 19% de son volume global.
Sur le continent, Heineken signale sa présence dans des pays comme le Rwanda, où, il possède, grâce à sa filiale Bralirwa, près de 94% des parts de marché de la bière avec des bières comme Primus, Amstel et Mutzig. Le groupe est également leader dans des marchés comme le Congo, l’Ethiopie, le Burundi et le Nigéria. Dans ce dernier pays, où il détient à 54% la Nigerian Breweries établie depuis 1946, le Néerlandais domine 70% des parts de marché grâce à des marques comme Star, Legend in Stout ou 33 Export.
Hormis ces marchés, le groupe a annoncé en décembre 2017, l’implantation de sa première brasserie au Mozambique, un pays dans lequel il mène ses activités de vente de marques de bière importées dont Heineken et Amstel depuis 2016. Nécessitant un investissement de 100 millions de dollars, l’usine sera basée dans la province de Maputo et sera dotée d’une capacité de production de 0,8 millions d’hectolitres avec la première bouteille prévue pour être écoulée d’ici le premier semestre 2019.
Bataille entre Heineken et Castel
Dans la guerre entre les géants de la bière en Afrique, l’affrontement entre Heineken et Castel en Côte d’Ivoire et en Ethiopie mérite d’être soulignée.
Dans le premier pays, Castel s’est engagé dans une stratégie d’expansion horizontale en rachetant dès 1994, la Société de limonaderies et basseries d’Afrique (Solibra). Par la suite, le groupe se lancera en avril 2015, dans l’acquisition pour 32 milliards de Fcfa de la société « Les Brasseries ivoiriennes (LBI) », fondée 2 ans plus tôt par le groupe local Eurofind. Si cette manœuvre visait à supprimer toute concurrence et conforter sa position de Solibra, l’embellie sera de courte durée. Dès le mois de septembre, le Néerlandais Heineken annonce la création avec le groupe de distribution spécialisée CFAO d’une brasserie baptisée « Brassivoire ».
« Mais c’est un marché également très exigeant. Cette nouvelle classe moyenne, jeune et très connectée, souhaite désormais profiter de produits aux standards internationaux »,
« Le marché de la bière ivoirien est à la fois très prometteur et très exigeant. Très prometteur car nous l’estimons pour 2016 à 2,6 millions d’hectolitres avec une consommation de bière de 11,8 litres par habitant. Mais c’est un marché également très exigeant. Cette nouvelle classe moyenne, jeune et très connectée, souhaite désormais profiter de produits aux standards internationaux », affirme Alexander Koch, directeur général de Brassivoire.
Implantée sur un site de 12 hectares dans la zone industrielle d’Anyama, l’infrastructure d’un coût de 100 milliards de Fcfa et d’une capacité de 1,6 millions d’hectolitres par an sera réalisée en 13 mois et écoulera dès la mi-novembre 2016, sa première marque de bière locale à base riz dénommée « Ivoire ».
Si à l’heure actuellement, le groupe Castel domine plus encore 2/3 du marché ivoirien. Heineken ne s’avoue pas vaincu. Il ambitionne notamment d’injecter 20 milliards de Fcfa dans le doublement de la capacité de sa brasserie entre 2017 et 2019.
Dans le second théâtre de compétition qu’est l’Ethiopie, le Néerlandais tire son épingle du jeu. Sur ce marché, le second plus peuplé du continent, Heineken a enchaîné les investissements. Pénétrant le pays dès 2011 avec le rachat des brasseries de Bedele et Harar auprès du gouvernement pour un coût de 163 millions $, la firme investira 110 millions $ de plus en 2014, dans la construction d’une nouvelle unité de production à Kilinto qui sera inaugurée en 2015.
L’Ethiopie, l’autre champ de bataille entre Heineken et Castel .
Une stratégie payante puisqu’elle représente actuellement un acteur de premier plan du secteur avec une capacité de production de 4 millions d’hectolitres et des marques comme Walia, Heineken, Bedele Special ou Buckler. Pour sa part, le groupe Castel bien qu’ayant pris pied en Ethiopie depuis 1998 représente le numéro deux du marché. Il possède trois brasseries basées à Addis Abeba, Kombolcha et Hawassa cumulant une production de 2,6 millions d’hectolitres par an et détient des marques comme Amber et Saint-Georges.
Diageo, spiritueux mais pas que
Leader mondial des spiritueux et 13ième acteur de l’industrie brassicole, Diageo ne compte pas rester en marge du développement de la consommation de bière en Afrique. Sur le continent qui compte pour 13% de ses ventes totales, l’objectif affiché par le groupe est de non seulement faire croître son segment des spiritueux mais aussi de positionner sur le marché de la bière. «Notre stratégie est d’accroître notre portefeuille de marques de bières rapidement et de spiritueux plus rapidement, en nous focalisant sur nos marchés principaux », a indiqué John O’Keeffe, président de Diageo Africa. Le groupe est bien implantée en Afrique de l’Est grâce à sa filiale East African Breweries Ltd (EABL), qu’elle détient à 50,1%.
Possédant des opérations au Kenya (Kenya Breweries Ltd), en Ouganda (International Distillers Uganda Ltd) et en Tanzanie (Serengeti Breweries Ltd), le groupe exporte ses produits vers le Soudan du Sud, le Burundi et le Rwanda. Avec des marques phares comme la Tusker, Pilsner ou Guinness, Diageo possède des parts de marché pouvant varier de 20% en Tanzanie à 45% en Ouganda, et jusqu’à 71% du volume global des ventes au Kenya.
Toujours dans cette zone, Diageo se fait aussi remarquer en Ethiopie. Il a ainsi acquis en 2012, la brasserie Meta Abo Brewing pour 225 millions $. Grâce à sa branche Diageo-Meta Abo Brewery, dotée d’une capacité de production de 1,7 millions d’hectolitres, il détient 20% du marché aux côtés de Heineken et Castel, solidement implantés, et offre les marques de bières Meta et Meta Premium.
En Afrique de l’Ouest, le groupe est présent au Nigéria par sa filiale Guinness Nigeria qu’elle détient à 54%. Il représente le petit poucet avec 20% du marché de la bière qu’elle fournit principalement avec les marques comme la Guinness Stout et la Malta Guiness. Il est aussi présent au Ghana via sa filiale Guinness Ghana Brewery Ltd (GGBL).
En Afrique centrale, Diageo possède la Guinness Cameroun qui représente le second acteur du marché camerounais derrière la SABC avec 15% du marché.
Les matières premières locales ont de plus en plus la cote
Parallèlement aux investissements qu’elles effectuent dans l’expansion horizontale, les entreprises brassicoles renforcent leur approvisionnement local en matières premières après d’un réseau d’agriculteurs contractuels. Cette stratégie permet ainsi aux compagnies de réduire les coûts liés à l’importation des matières premières classiques (orge, malt et le houblon).
En outre, elle ouvre la porte d’un autre pan du marché plus porté vers la consommation de bière produite localement qui représente 70% de la consommation d’alcool sur le continent contre seulement 30% pour la bière classique.
La première entreprise à s’être engagée dans cette démarche est SABMiller avec le lancement en 2002, de la bière Eagle à base de sorgho, en Ouganda.
La première entreprise à s’être engagée dans cette démarche est SABMiller avec le lancement en 2002, de la bière Eagle à base de sorgho, en Ouganda. Encouragée par des réductions de taxe de la part des pouvoirs publics, la compagnie a pu proposer un produit adapté au pouvoir d’achat des locaux (30% moins chère que la bière classique). Aujourd’hui, la boisson représente plus de 55% du marché de la bière en Ouganda et est également présente dans plusieurs autres pays comme le Ghana et la Zambie.
SABMiller lancera également en 2013, la Eagle Beer sur le marché ghanéen grâce à sa filiale locale Accra Breweries Ltd (ABL). Outre cette marque, il faut noter par ailleurs, que sa filiale mozambicaine Cervejas de Moçambique, a entamé en 2011, le brassage de la première bière au monde à base de manioc (70%) dénommée « Impala ».
Il faut noter par ailleurs, que sa filiale mozambicaine Cervejas de Moçambique, a entamé en 2011, le brassage de la première bière au monde à base de manioc (70%) dénommée « Impala ».
Elle a été rejointe dans ce virage par d’autres majors comme Diageo. Dès 2004, le britannique a lancé, grâce à la branche kenyane de sa filiale East African Breweries Ltd (EABL), la Senator Keg produite à base de sorgho. Cette boisson représente désormais 40% du marché kenyan de la bière et la compagnie veut développer sa production grâce à une brasserie de 140 millions $ qui devrait être construite à 350 km au nord-ouest de Nairobi d’ici 2019. Hormis, cette marque, Diageo a également produit au Ghana en 2013 par le biais de sa filiale Guinness Ghana Brewery Ltd (GGBL), la Ruut Extra Premium, à base de manioc.