Leur fonction a évolué de la gestion de crise à la conduite du changement. Ces spécialistes nous parlent de leur métier et évoquent leur parcours atypique.
Personnes exceptionnelles pour situations exceptionnelles. “Les managers de transition sont des cadres très expérimentés qui aident les entreprises à mener à bien des projets cruciaux comme une acquisition ou une internationalisation”, explique Thierry Fournier, associé au cabinet EIM. Née il y a vingt-cinq ans avec le développement des restructurations, cette activité s’étend désormais à des missions réalisées dans des contextes de stabilité ou de croissance.
Le pompier de service cède la place au stratège, et le terme “management de transformation” serait aujourd’hui plus approprié. “Les missions, à 95%, ne sont ni du retournement ni du redressement de PME. Avec l’accélération des cycles économiques et l’arrivée du digital, les entreprises ont besoin d’une intervention extérieure pour gagner en agilité”, confirme Philippe Soullier, président du cabinet Valtus, spécialisé dans le placement de ces cadres indépendants. Voici six hommes et femmes qui excellent dans leur domaine.
- Pourquoi fait-on appel à eux ? On les missionne le plus souvent pour effectuer un remplacement, pallier une absence de ressource en interne ou lancer un nouveau projet. De l’avis de leurs clients, leurs principales valeurs ajoutées sont la connaissance du métier et leur regard extérieur. (Source : enquête 2016 de Delvllle Management)
Elle apure les comptes des PME en difficulté
Nathalie Gambade, 51 ans
C’est auprès d’une PME de Grenoble que Nathalie Gambade a effectué une des missions dont elle est le plus fière. Cette directrice financière a accompagné l’entreprise à temps partiel pendant quatre ans. D’abord dans une levée de fonds pour répondre à une crise de trésorerie. Puis dans la définition et la mise en place de nouvelles orientations stratégiques. Les fusions-acquisitions et le retournement de PME sont la spécialité de cette manageuse, qui apprécie la gestion de crise, même si, confie-t-elle, “le gros inconvénient du management de transition est qu’on n’appartient à aucun groupe.
L’an dernier, l’une de mes missions s’est arrêtée du jour au lendemain à la suite du rachat de mon client. Je m’entendais très bien avec les équipes. Il a été difficile de les voir partir sans moi vers de nouvelles aventures”. Pour pallier cela, celle qui a commencé sa carrière comme commerciale dans un groupe informatique travaille aujourd’hui davantage pour des cabinets de transition. Une façon de retrouver une appartenance.
Lingerie, vodka, nucléaire… un DG “couteau suisse”
Franck Mayau, 50 ans
Dans une usine de fabrication de lingerie, il a réussi, grâce à des méthodes venues de l’industrie automobile, à diminuer le “temps de défilement” d’un soutien-gorge (durée pendant laquelle la pièce reste dans les ateliers) de 39 heures à … 25 minutes !” Le management de transition, commente Franck Mayau, est une activité très, très exigeante. Les entreprises font toujours appel à nous au dernier moment. La pression est forte, nous devons être efficaces dès le premier jour.” A 50 ans, ce manager spécialisé dans la direction générale a touché à tous les secteurs d’activité : du nucléaire à la production de vodka en passant par l’industrie aéronautique et les cartes à puce. Il a réalisé du redressement, des fusions, des ouvertures de filiale, etc., en France comme à l’étranger. “La diversité est ce qui me plaît dans ce métier. Je suis un spécialiste des hommes, des organisations et de la méthodologie, je sais m’adapter. Et je m’appuie toujours sur les équipes techniques et commerciales en place.”
Devenu manager de transition à 42 ans, il a fait figure de précurseur dans un milieu où, à l’époque, la plupart des hommes et des femmes ont dépassé la cinquantaine. “J’ai dû attendre d’avoir emmagasiné plusieurs expériences de directeur général en CDI. C’est normal car, pour réussir, il faut être surdimensionné par rapport à la mission que l’on vous confie”, raconte cet ingénieur passé par Centrale Lille et l’EM Lyon. Un bémol, cependant : la précarité qui, malgré des niveaux de salaire élevés, règne dans le secteur. “Je travaille toujours de manière temporaire, confie Franck Mayau. Lorsque vous terminez un contrat, vous ne savez jamais ce que vous ferez le mois suivant. Cependant, conclut-il confiant et serein, aujourd’hui, pour rien au monde je n’accepterais de CDI.”
Il a aiguillé TGV Lyria vers les rails du digital
Ludovic Ronchaud, 42 ans
“Ludovic a été l’homme de la situation parce que nous sommes une entreprise traditionnelle et que lui est un digital native.” Pour Andreas Bergmann, directeur général de TGV Lyria, l’âge de Ludovic fait sa force : à 42 ans, c’est un spécialiste de la stratégie digitale appliquée au marketing et à la communication. “Il y a un vrai intérêt à développer la transition sur ces questions, car c’est un nouveau marché”, observe Ludovic Ronchaud. Il a été appelé en juillet 2015 par Andreas Bergmann, lorsque ce dernier a été nommé à la tête de Lyria, pour l’accompagner dans ses cent premiers jours et l’aider à reconquérir des parts de marché.
Après un audit marketing, digital et commercial, le jeune manager a défini plusieurs chantiers et aidé à leur démarrage. Parmi eux : générer de l’engagement pour la marque sur les réseaux sociaux. A cette fin, il a recruté un ambassadeur, en la personne du tennisman Stanislas Wawrinka. Son intervention a été considérée comme un succès par TGV Lyria et lui a valu d’être lauréat des Trophées Valtus 2016 du Manager de transition, catégorie direction marketing-direction commerciale. Il est aujourd’hui en mission au Crédit agricole Assurances en tant que responsable du département Communication clients.
Le crack des missions internationales
Tim Morris, 62 ans
Avec son accent britannique, Tim Morris ne mâche pas ses mots. “Un manager qui recherche un CDI ne fait pas un bon manager de transition. Car celui-ci doit pouvoir déranger et être capable d’imposer ses choix sans penser à poursuivre une carrière dans l’entreprise.” Il est même déjà arrivé à ce directeur des affaires financières de démissionner au cours d’un mandat tant sa marge de manœuvre était restreinte. Mais c’est aussi un homme de dialogue. Sa spécialité : les interventions transfrontalières, dans lesquelles ce Britannique marié à une Française fait le pont entre différentes cultures.
D’ailleurs, le contrat dont il est le plus fier, il l’a effectué au sein d’une jeune pousse anglaise de 150 salariés, qui venait tout juste d’être rachetée par un groupe hexagonal coté en Bourse. “L’intégration de la start-up posait plusieurs difficultés : un problème de compétences en interne, et un problème culturel entre deux pays et deux types d’entreprises.” Mal considéré à son arrivée, il a su défendre le travail des équipes locales tout en rassurant le siège, qui, au même moment, voulait développer un nouveau système de reporting. “J’ai donné comme défi à l’équipe anglaise de devenir la première filiale à le mettre en place afin de casser son image de vilain petit canard”, se souvient-il. Pari réussi.
Salarié pendant des années chez Valeo puis chez Thomson Multimédia, Tim Morris est devenu manager de transition en 2005 après avoir suivi une formation à l’Insead (Institut européen d’administration des affaires). A 62 ans et après huit missions, il ne se voit plus en poste fixe dans une seule entreprise. “Il y a dans ce travail un côté force spéciale, plus qu’infanterie, qui me plaît”, souligne-t-il.
Cette DRH relève les défis en douceur
Michèle Sully, 58 ans
Arrivée au management de transition après avoir fait ses armes lors de la fusion de Petrofina avec Total en 1999, puis lors de la réorganisation de la Camif quelques années plus tard, Michèle Sully fait déjà figure de spécialiste des situations délicates. Est-elle pour autant une directrice des ressources humaines seulement appelée pour faire le sale boulot ? “Je n’envisage pas cela comme “le sale boulot”, répond cette femme souriante et posée. Les missions dans lesquelles c’est le financier qui décide de la politique RH, je n’y vais pas. Quand on fait appel à moi pour accélérer les changements nécessaires, c’est souvent en effet lors d’une réorganisation. Bien sûr, je peux aider à diminuer les coûts salariaux et j’organise des départs. Mais j’essaie toujours d’accompagner les personnes dans leurs projets.”
Par exemple, pendant une mission chez le fabricant de palettes en plastique Schoeller Allibert, entre 2012 et 2014, on lui a demandé de “fermer un établissement situé au fin fond de l’Essonne où travaillaient 11 collaborateurs. La moyenne d’âge était de 57 ans et la plupart d’entre eux n’avaient connu qu’un seul employeur”. Cela a provoqué un tollé chez les partenaires sociaux. “Je me suis engagée à ne fermer ce site que le jour où j’aurai trouvé une solution pérenne pour chacun”, raconte celle que personne n’a crue et qui assure avoir réussi. Désormais, Michèle Sully se fait accepter ainsi. “Je n’essaie même plus de dire “Faites-moi confiance”, déclare-t-elle. Je prends le dossier le plus délicat à réaliser, je dis aux partenaires sociaux comment je compte le traiter, et surtout, je le fais.” A 58 ans, la manageuse se plaît dans ces défis. Et elle les enchaîne.
Le champion de l’extrême urgence
François Demoulin, 65 ans
Gantois, Parisot et DMC. Quand ces grands noms de l’industrie française ont été en difficulté, un seul et même homme a tenté de redresser la barre : François Demoulin. Cet ex-cadre de l’industrie automobile endosse ce rôle dès 2001 quand il reprend Gantois (tôles perforées et toiles métalliques), alors en mauvaise santé financière. En cinq ans, il place ce groupe en redressement judiciaire, établit un plan de continuation et trouve un repreneur : un fonds d’investissement qui ne tarde pas… à le congédier. A peine parti, il est appelé par la famille Parisot pour gérer la crise financière du fabricant de meubles qui porte son nom. Placé neuf mois à la tête du groupe industriel et de la holding financière, François Demoulin impose aux clients une hausse des prix et conduit un plan social. La crise de trésorerie passée, et alors qu’il commence à renouveler l’équipe dirigeante, la famille, entre-temps revenue à la tête de la holding… l’évince.
“Quand vous êtes dirigeant de transition, vous devez avoir les pleins pouvoirs pour agir. Mais vous êtes révocable à tout moment et vous savez que c’est inéluctable”, confie ce manager de 65 ans, qui entend dépasser le rôle de pompier. “Mon objectif est de préserver l’entreprise, de voir ce qui peut être sauvé et ce qui la fera rebondir. Si aucun redressement n’est possible, je ne m’engage pas”, assure-t-il. Dans son mandat actuel, qu’il occupe depuis quatre ans, il est cette fois-ci resté après la crise afin d’accompagner les dirigeants dans le déploiement d’une nouvelle stratégie. Un rôle plus pérenne que dans ses précédentes missions.
LES CABINETS SPÉCIALISÉS : UN RÔLE D’ACCOMPAGNATEUR
Plutôt que de rester indépendant, les managers de transition sont de plus en plus nombreux à passer par un cabinet spécialisé pour trouver leurs missions. Pour quelle raison ? Parce que ce dernier nomme un de ses associés dont le rôle est de suivre la mission de près. Chez EIM et Valtus, par exemple, cette personne est en contact avec le manager chaque semaine et avec le client une fois par mois. “Non seulement il fluidifie les relations entre le client et nous, mais il s’assure que celui-ci met à notre disposition tous les outils et documents dont nous avons besoin”, témoigne Ludovic Ronchaud. Sans oublier, bien sûr, la qualité des missions proposées : atout premier des cabinets, pour 46% des managers interrogés par Valtus début 2017.
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