L’AVIS DU PSYCHOLOGUE

“Si le recadrage échoue, c’est qu’il a eu lieu à chaud. On risque d’être trop agressif”

Philippe Rodet, ex-médecin urgentiste, fondateur de Bien-être et Entreprise, coauteur du livre Le Management bienveillant (Eyrolles).

“Avant de recadrer, le manager doit réunir des éléments factuels, et non se contenter de simples rumeurs. Les phrases du genre : “Untel m’a dit que, l’autre matin…” sont à proscrire. Le collaborateur peut se sentir victime d’une délation et voudra en connaître l’auteur, ce qui est très malsain pour toute l’équipe. Le moment du recadrage doit être bien choisi. Si celui-ci échoue, c’est souvent qu’il a lieu à chaud. On risque d’être agressif, accusateur, et de créer un sentiment d’injustice démotivant.

Cela me rappelle une histoire survenue à une collègue sur un plateau d’appels. Un jour, elle est partie à 19h30 au lieu de 18 heures, à cause d’un dossier compliqué. Le lendemain, elle arrive avec dix minutes de retard. Et son boss lui dit : “Tu as vu l’heure ?” Dès lors, plus personne n’est resté au-delà de 18 heures. Si, au cours d’un entretien, on accuse un collaborateur d’être dans son tort, il risque, par réaction, de se buter, ce qui rendra tout dialogue impossible. Il faut écouter ce qu’il a à dire, louer les aspects positifs de son travail et glisser : “En revanche, ici, il y a un souci, et j’aimerais qu’on le règle ensemble.” Un entretien réussi c’est quand, en se quittant sur la base d’un accord trouvé en commun, chacun a envie de travailler avec l’autre.”

L’AVIS DU COACH

“Il est important de conclure l’entretien par une solution trouvée à deux”

Paul Devaux, fondateur du cabinet de coaching Orygin.

“Si l’on répertoriait les erreurs types d’un recadrage raté, elles seraient de trois ordres. Celles liées au collaborateur, au manager et celles dues à l’interaction entre les deux. Bien souvent, tout cela part d’une vague remarque du manager (“En ce moment, on dirait que tu prends du retard…”), et le motif de l’entretien n’a pas été suffisamment précisé, ce qui favorise les répliques agacées du genre : “De quoi parles-tu ?” Dans d’autres cas, les perceptions divergent : le collaborateur considère que ce qui lui est reproché est compensé par la valeur qu’il crée. Et rétorque que l’essentiel est d’être dans l’intelligence de la situation (“Pourquoi rester plus tard, si on n’est pas plus efficace ?”).

Le manager doit ici rappeler que le respect des règles communes vaut autant que la création de valeur. Par ailleurs, il est probable que les entretiens précédents ne soient pas allés jusqu’au bout du problème. On est restés évasifs alors qu’il est important de conclure. Pas par une menace ou un chantage, car on focaliserait l’attention du collaborateur sur le négatif et celui-ci risquerait de devenir le salarié négligent que sa direction voit en lui. Il faut finir l’entretien par une solution trouvée conjointement et par cette question qui mobilise l’intelligence : “Comment pourrions-nous faire mieux ?””

L’avis de l’adolescent

“Par peur du conflit avec ceux qui ne font pas d’efforts, je fais le boulot à leur place”

Simon, 17 ans, élève en terminale L.

“Mon établissement scolaire, classé Réseau éducation prioritaire, mène beaucoup d’expériences en îlot. On y travaille en groupe, sur des objectifs que l’on s’est fixés, afin de renforcer la motivation, l’autonomie, et de limiter le décrochage. Ça peut prendre la forme d’un exposé, d’une analyse de texte, d’une scène tirée d’une pièce de théâtre que l’on interprète… L’an passé, je me suis retrouvé au sein d’une équipe plutôt faible, avec des élèves qui n’avaient pas envie de faire d’efforts. C’était dur. D’autant plus que j’ai dû lutter contre une peur que j’ai depuis l’enfance : celle du conflit. J’ai tendance à éviter l’affrontement, parce que je redoute que ça ne crispe les relations et que le travail commun ne soit plus possible ensuite.

J’ai peur de ma propre colère, d’exploser et de prononcer des mots qui dépassent ma pensée. Alors, j’accumule de la rancoeur. Ou encore, comme cette année, je fais le boulot à la place des autres. Je les couvre. De temps en temps, je pratique l’ironie, une petite pique par-ci, par-là… Mais je m’efforce tout de même d’améliorer les choses. D’abord, en essayant de dire “Je” et pas “Tu” ou “Vous”, pour ne pas braquer ceux qui m’entourent. J’évite les jugements de valeur. Et je tâche de me montrer enthousiaste, en espérant secrètement que ça finisse par influencer le reste du groupe.”

Avec capital