Vous avez tranché, il vous reste maintenant à mettre en œuvre votre programme. Mission impossible sans l’adhésion de vos équipes…
«Il faut parfois accepter de prendre un peu de temps avant de se lancer», constate Gérard Rodach, coach chez Dalett, qui s’inquiète vingt ans plus tard de l’urgence de plus en plus grande dans laquelle agissent les décideurs. Or cette urgence conduit à oublier un autre principe essentiel, selon lui : «Il ne sert à rien de dire “je veux” si les autres ne vous suivent pas.»
Votre décision est entérinée par votre hiérarchie, vous avez hâte de l’annoncer et de la faire appliquer. «Attention à l’excès de confiance comme à la précipitation, prévient Anne Chazoule, manager chez Cegos. Votre décision vous semble peut-être limpide mais elle ne le sera pas forcément pour vos collaborateurs.» Par exemple, décider que les heures supplémentaires seront récupérées et non plus payées paraît à première vue simple à mettre en œuvre. Sauf si vos employés rechignent à augmenter leur temps de travail et que vous ne comptez pas embaucher.
Etape 1 : préparez votre argumentaire
Pour préparer votre argumentaire, commencez par mettre noir sur blanc la «raison d’être» de votre décision : quel est le contexte ? l’enjeu ?… Puis donnez quelques détails clés. L’objectif est que chacun comprenne ce qu’on attend de lui. Réfléchissez aussi à la façon dont vous allez présenter les choses. Certains schémas ou tableaux peuvent vous aider, comme le diagramme de Gantt : chaque tâche est représentée par une ligne, les colonnes correspondent aux jours ou aux semaines, ce qui permet à chacun de suivre le déroulé des opérations.
Avant d’affronter vos équipes, vous devrez anticiper leurs réactions : que va impliquer pour elles cette décision (pensez à la charge de travail, à l’évolution de chacun au sein de la nouvelle organisation) ? Certains collaborateurs seront-ils plus touchés que d’autres (attention à l’équité) ? Quelles peuvent être leurs craintes, leurs objections ? Réfléchissez à la meilleure façon de rassurer chaque camp. Enfin, dernière étape, définissez une fois pour toutes ce qui pour vous est négociable et ce qui ne l’est pas.
Etape 2 : Levez les doutes de votre équipe
Adaptez votre discours et votre mode de communication à votre auditoire : avec des techniciens, attachés à l’écrit, faites circuler au préalable un document d’information, utilisez des slides lors de votre présentation, proposez un document récapitulatif… et vérifiez que votre message est passé. Une décision mal comprise n’a quasiment aucune chance d’être bien appliquée. «Le bon manager n’est pas celui qui impose mais celui qui prend le temps d’obtenir l’adhésion de son équipe», confirme Ricardo Croati, coach et dirigeant de France Training.
La clé pour y arriver ? Que chacun ait le sentiment d’avoir été écouté personnellement et d’avoir pu exprimer ses doutes. Pensez à demander si tout est bien clair. Si le oui n’est pas franc, poursuivez le dialogue avec des questions ouvertes. Toute la difficulté sera d’identifier celles qui amèneront vos collaborateurs à s’exprimer : «Quels sont les points que vous comprenez moins ? Que manque-t-il pour que vous adhériez à cette solution ?» Ne négligez pas ceux qui se montrent réfractaires car ils risquent de retarder, voire de compromettre, l’application de votre décision», recommande Christine Marchal, directrice associée de Manability (conseil en management).
Rencontrez-les en tête à tête pour comprendre leurs réticences. Tout changement important implique une phase de deuil plus ou moins longue selon les individus (lire l’encadré page suivante). Pour que l’équipe adhère pleinement, vous devrez aussi l’impliquer dans le projet : faites-la participer à la définition du plan d’action, établissez ensemble le planning des tâches à accomplir et, pour envoyer un signe fort, déléguez le suivi à certains.
Etape 3 : Définissez vos indicateurs et suivez-les
«Quand nous avons mis en place la méthode 5S dans l’atelier [cette technique de management d’origine japonaise préconise d’optimiser l’environnement professionnel en sollicitant les salariés, qui doivent eux-mêmes rechercher les moyens d’améliorer leur poste de travail, NDLR], tout le monde était motivé. Mais, au fil du temps, certaines mauvaises habitudes ont repris le dessus», raconte Marc, responsable d’une unité de production chez un fabricant de câbles. Parfois, une décision simple à appliquer au début peut se révéler compliquée à faire perdurer. «C’est pourquoi il ne faut pas relâcher son attention et ce jusqu’à ce que le changement ait été intégré au point d’avoir été oublié», observe Christine Marchal.
L’idéal est de recourir à un indicateur de suivi, il en existe beaucoup. Les Key Performance Indicators (KPI), d’habitude utilisés pour évaluer la performance d’une entreprise, peuvent par ailleurs être adaptés pour suivre l’application d’une décision. Pour cela, choisissez trois ou quatre indicateurs réellement significatifs. Une baisse de la satisfaction client, des écarts de coûts ou de calendrier par rapport au cahier des charges, par exemple, révéleront que le changement n’a pas été bien intégré.
Suivre une décision dans le temps signifie aussi savoir la faire évoluer, voire y mettre un terme si le contexte économique ou la direction vous y contraint. Et peut-être vous rendrez-vous compte que vous vous êtes trompé. La fausse bonne idée serait de stopper l’application en catimini. Arrêter le projet ou en modifier l’orientation s’apparente à une nouvelle décision, et il faut alors reprendre le processus depuis le début.
Etape 4 : Célébrez les premiers signes de succès
Le temps joue contre vous. Si vos équipes tardent à accepter un changement, c’est mauvais signe. «Au-delà de six mois, il n’y a plus d’espoir», selon Jean-Claude Ancelet, directeur d’Adeios Consulting. Il faut alors tout reprendre de zéro. La solution ? Mettre, dès le début de l’application de votre décision, vos équipes sous tension et dans une dynamique de réussite. Dès que l’occasion se présente, célébrez les «quick wins», ces succès rapides et identifiables. Vous lancez un produit ? Fêtez le premier client. Vous avez instauré un nouveau process de fabrication ? Même si la cadence n’est pas encore optimale, félicitez vos collaborateurs de n’avoir rencontré aucun problème.
«Vous les aiderez à prendre confiance en eux et, peu à peu, le changement leur semblera moins difficile», souligne Gérard Rodach, qui reproche aux managers de mettre davantage en avant les points négatifs (retard, décalage…) que les positifs. Lors de la phase de lancement, soyez présent pour répondre aux questions qui surgiront au fil des jours. Si besoin, prêtez main-forte à vos équipes pour qu’elles ne soient pas ralenties par le premier problème venu. En parallèle, prévoyez des points toutes les semaines ou tous les quinze jours, quitte à espacer les contrôles par la suite. Comme un marathonien vérifie sa vitesse moyenne lors des premiers kilomètres, vos collaborateurs ont besoin de savoir régulièrement s’ils respectent la cadence.
Etape 5 : Faites un retour d’expérience
C’est, selon les experts, la partie la plus négligée. Pressés par le temps, les managers s’autorisent peu cette prise de recul, pourtant essentielle. Analyser la façon dont se sont déroulés le processus de décision et son application permet d’en savoir plus sur l’équipe : qu’a-t-elle bien fait ? Quels ont été les points critiques ? Comment les a-t-elle éliminés ? Certains collaborateurs ont-ils, plus que d’autres, joué un rôle moteur ? Mais ce retour d’expérience peut être aussi l’occasion d’évaluer vos points forts et vos points faibles en matière de décision, votre capacité à prendre des risques, à entraîner une équipe…
Pour vous aider dans cette analyse, construisez dès le départ une grille d’évaluation (le REX, par exemple) que vous remplirez régulièrement. Elle doit au moins comprendre les informations suivantes : qui évalue (vous, un tiers, l’ensemble de l’équipe…), quoi (quels résultats sont analysés), à quelles occasions (points d’étape, réunions de validation, contacts informels), avec quelle fréquence (hebdomadaire, mensuelle) et comment (quels sont les indicateurs utilisés). La synthèse sera plus simple à réaliser en fin de processus. Et les leçons à tirer plus claires… en prévision du prochain changement.
Avec capital