L’arrivée de la génération Z dans les entreprises remet en cause le rôle du management. Fini l’autorité hiérarchique et le pouvoir statutaire : voici six façons de se mettre au diapason des mutants de l’entreprise.
“Un management nouveau est en train de se mettre en place”, constate Audrey Deconclois, directrice des ressources humaines chez EY. Le prestigieux cabinet d’audit compte 75% de millennials parmi ses effectifs. Une raison suffisante pour vouloir renverser les vieilles tables du management afin d’attirer et de fidéliser ces jeunes loups exigeants. Mais quitter le confort de la pyramide pour retrouver l’excitation de la meute ne s’improvise pas.
1 Transformez-vous en manager coach
Exit le leader incontesté, vous vous imposerez désormais à votre équipe en étant à ses côtés plutôt qu’au-dessus d’elle. “L’arrivée de la génération Z a fait exploser le cadre hiérarchique, même en France où l’on reste plus traditionnel. Se contenter de donner des ordres ne marche plus, observe Roy Broughton, formateur en management. Il faut accompagner les jeunes, les aider à progresser et à se former.” Ce rôle de coach passe par des échanges simples et, surtout, fréquents.
Pour Robert de Quelen, consultant spécialisé dans l’intelligence collective chez Demos, la notion de proximité est essentielle dans ce nouveau style d’encadrement. “Le manager doit se positionner comme un expert, notamment auprès des jeunes, et les laisser réfléchir ensemble au projet auquel ils travaillent, plutôt que de décider à leur place.”
Une idée ? Remplacez les entretiens d’évaluation, beaucoup trop espacés dans le temps, par des points réguliers en face à face. Les plus grandes multinationales ont déjà franchi le pas : General Electric, Deloitte, Gap, Microsoft ou Netflix, pionniers en la matière, ont mis fin à cet exercice fastidieux et chronophage.
Chez General Electric, on a préféré mettre en place un système d’évaluation permanent au moyen d’une application mobile. Au cabinet EY, les plus jeunes collaborateurs font un point avec leur manager “parrain” tous les trois mois. “Ils repartent avec un feed-back et des actions à accomplir pour le trimestre suivant. Le manager a un rôle d’accompagnement régulier, pas seulement lors des évaluations”, détaille Audrey Deconclois.
2 Acceptez les critiques de vos subordonnés
S’il donne des feed-back plus régulièrement, le néomanager doit aussi accepter d’en recevoir. La start-up Zest Me Up a créé Zest, une appli qui permet de prendre le pouls des salariés au quotidien. Christophe Bergeon, son cofondateur, y voit un moyen de libérer la parole et de renforcer l’implication de tous. “Les managers sondent leur équipe sur une question, un collaborateur partage son humeur en quelques secondes… C’est très intuitif. Zest apporte aux cadres une meilleure compréhension de leur équipe en temps réel.” Une trentaine de clients ont adopté l’appli, des groupes (Bouygues Construction, Orange, LVMH, BPCE…) comme des petites entreprises, dont des start-up.
Chez Bouygues, l’adoption de Zest par 30 managers et leurs équipes, soit 350 personnes, s’inscrit dans l’axe stratégique “manager demain”. “Zest ne remplace pas les entretiens en face à face, il les complète, explique Catherine Boban, DRH du département rénovation. Cela fluidifie la remontée d’informations, ce que les nouvelles générations apprécient particulièrement.”
Une idée ? Faites-vous noter par vos collaborateurs. Les managers d’EY sont ainsi passés au reverse feedback. Grâce à une appli sur le modèle du Net Promoter Score (indice de recommandation des clients), la DRH recueille les avis anonymes des salariés sur leurs managers, puis les transmet aux intéressés. “Les managers étaient un peu inquiets au départ, se souvient Audrey Deconclois. Aujourd’hui, ils sont tous demandeurs de ces retours. Ils en ont besoin pour travailler avec les jeunes. Ils savent que ça marche dans les deux sens.”
3 Devenez le gourou de votre équipe
Plus que jamais, le manager est celui qui donne du sens au travail. Pour le formateur Roy Broughton, “les cadres sont souvent perturbés par ces jeunes qui posent des questions sur tout et n’acquiescent jamais sans discuter”. Répondre à ces attentes n’est pas forcément si compliqué : il s’agit avant tout de convaincre du bien-fondé d’une décision. Commencez donc par réfléchir au “pourquoi” et non plus seulement au “comment”, ne négligez pas l’aspect éthique d’un travail, replacez l’action de l’entreprise au cœur de la société humaine… et dialoguez sur ces sujets avec votre équipe.
“Il y a des attentes très fortes, notamment des jeunes, sur la façon dont on travaille et l’empreinte qu’on laisse sur la société”, constate Philippe Burger, associé responsable capital humain chez Deloitte. Votre job consiste aussi à garantir la transparence des règles du jeu, au sein de l’entreprise comme en dehors. “Il faut faire les mêmes promesses aux collaborateurs qu’aux clients”, conseille Emmanuelle Duez, fondatrice de The Boson Project.
Soignez enfin les conditions de travail. “Les millennials cherchent du plaisir au bureau, souligne Marie-Hélène Meuric, responsable achats chez Enedis, auparavant manager d’un centre d’appels de 200 personnes (dont une majorité de juniors) chez EDF. Il faut être attentif aux locaux, aux conditions de vie, poursuit-elle. Ne pas capter le WiFi est inconcevable pour eux. Se voir interdire Facebook aussi, car il leur sert d’outil de communication dans le travail.”
Une idée ? Vous ne savez pas trop comment vous y prendre ? Demandez à un junior de vous servir de mentor. De plus en plus d’entreprises pratiquent ainsi le reverse mentoring pour faire en sorte que les jeunes partagent leurs connaissances avec leurs aînés. La start-up Unatti a créé une plateforme qui met en relation les collaborateurs d’une société selon leurs besoins.
Une fois un binôme formé, des rencontres d’une heure, en face à face ou en vidéo conférence, sont organisées chaque mois. “C’est une solution appropriée pour les grands groupes où les salariés ne se connaissent pas. Cela facilite l’échange entre les générations, dans les deux sens”, explique Victoria Pell, fondatrice d’Unatti, qui a déjà convaincu Engie, GRTgaz, Orange, Danone et Société générale.
4 Apprenez à lâcher prise
Vous savez maintenant partager le pouvoir ? Veillez aussi à ne pas “faire obstacle” : “Le manager collaboratif favorise les échanges et les projets transversaux au sein de l’équipe, crée du lien, porte des démarches d’intelligence collective… résume Christophe Perilhou, directeur d’activité chez Cegos. Bref, il n’est plus un décisionnaire au sens strict, mais un aiguilleur qui n’intervient que dans les moments critiques.” A vous d’organiser l’autonomie et la souplesse dans le travail quotidien.
Chez EY, par exemple, on a adopté le flexible working depuis un an : chacun peut travailler à distance autant de jours qu’il veut. Une façon de s’adapter à la culture des millennials, pour qui vivre et travailler, c’est un peu pareil, qu’il s’agisse de jouer au boulot ou de bosser chez soi. “L’un des nouveaux rôles du chef est d’autoriser le fun au travail, confirme Marc Raynaud, président de l’Observatoire du management intergénérationnel. Bien sûr, dire que les managers doivent devenir des “organisateurs de fêtes” hérisse le poil de quelques-uns. Mais c’est une façon de fidéliser les jeunes !”
Une idée ? Mettez sur pied un événement hors du commun pour casser les codes trop bien écrits de votre entreprise. “Lors du dernier rassemblement annuel des 530 managers du groupe, nous avons organisé des master class, assis sur des poufs de couleurs vives, en tenue décontractée et lunettes colorées sur le nez, raconte David Marchal, DRH adjoint de la Banque populaire Alsace Lorraine Champagne. Les gens pouvaient réagir avec des tablettes. Il y a eu un vrai engouement, dont les effets décloisonnants se font encore ressentir dans les relations au sein de la boîte.
5 Valorisez toutes les contributions
La génération Z a fait entrer la notion d’infidélité dans le rapport au salariat. Vous en êtes désormais l’antidote : à vous de fidéliser vos collaborateurs – et pas seulement les plus jeunes – en reconnaissant leur valeur. En jouant sur le registre financier si vous le pouvez, mais aussi émotionnel : dire merci, notamment, suffit souvent à améliorer les relations au sein d’une équipe.
Chez Orange, la valorisation des jeunes commence dès le recrutement. “Ceux qui ont une expertise très pointue, par exemple sur la sécurité en ligne, présentent leur savoir-faire à leurs collègues dès leur arrivée”, raconte Hervé Engasser, directeur technico-commercial chez Orange Business Services.
Dans son équipe, chargée de l’avant-vente auprès des entreprises, il demande aux apprentis d’animer des ateliers numériques sur Twitter ou sur le big data. “Le jeune devient “celui qui sait” et montre la voie. Avant l’arrivée de ces apprentis, mon directeur ne savait pas ce qu’était Twitter. Maintenant il a un compte.”
Une idée ? Créez un comex junior et faites-le vivre. Pour impliquer ses jeunes recrues, EY s’est doté, il y a dix-huit mois, d’un shadow comex réservé aux moins de 35 ans. Ce talent transformation committee permet à de jeunes collaborateurs de proposer des projets pour développer le cabinet. D’autres entreprises suivent la même voie, avec plus ou moins de bonheur. “Le shadow comex a une réelle utilité quand il ne s’agit pas seulement d’une opération de communication, note Emmanuelle Duez. Nous en avons, par exemple, mis en place chez Havas et Leroy Merlin. Ils travaillent dans l’ombre, sans aucune exposition médiatique, mais ils ont un impact extraordinaire.”
1 Jeune sur 2 se sentirait plus impliqué dans son entreprise si le management y était plus démocratique, incluant partage des responsabilités et consensus.
(Source : CSA pour JLL, 2016.)
6 Et, pour finir, effacez- vous !
“Y aura-t-il toujours des managers dans quinze ans ? s’interroge Frantz Gault, directeur conseil au cabinet LBMG Worklabs. En effet, les jeunes veulent aller vers l’automanagement.” A force d’aplatir la hiérarchie, le néomanager pourrait bien devenir… invisible ! Chez le fabricant de vêtements W. L. Gore, c’est une réalité depuis plusieurs années : les 90.000 salariés travaillent en équipes projets autonomes depuis la disparition du management traditionnel.
Une réforme radicale qui doit être soigneusement préparée pour ne pas déstabiliser l’entreprise. Au sein de la start-up californienne Zappos, par exemple, la disparition d’un échelon hiérarchique de proximité s’est traduite par 20% de départs volontaires. Tout le monde n’est pas chaud pour s’autogérer !
Une idée ? Passez à l’holacratie, l’absence totale de chefs. C’est la solution d’IGI Partners, qui repose sur une “constitution”, une règle du jeu commune basée sur un algorithme évolutionniste. “Les managers lâchent le pouvoir au profit de cette constitution : tout le monde devient subordonné aux mêmes règles du jeu, managers comme managés.
En holacratie, vous avez des rôles et non plus une fiche de poste”, explique Bernard Marie Chiquet, fondateur d’IGI Partners et l’un des promoteurs de cette technologie managériale en France. En huit ans, son cabinet a accompagné 50 entreprises, de la petite coopérative aux grands groupes comme Danone ou Decathlon. Reste donc à mettre son ego de côté pour basculer définitivement vers le néomanagement.
C’était mieux avant !
“Faire autrement sans tout bouleverser.” Pour Christophe Perilhou (Cegos), tout n’est pas à jeter dans le management à l’ancienne. “On ne peut pas remettre totalement en cause l’entreprise pyramidale. Il y a un besoin de verticalité dans les sociétés et toutes n’ont pas vocation à se débarrasser de leurs structures de commandement. Notre message n’est pas “faire autrement” pour faire autrement, mais “comment faire mieux”.
Aux managers d’arbitrer en fonction de la complexité de la situation à traiter. Certaines décisions méritent de faire appel au schéma traditionnel, dont il n’est pas toujours judicieux de sortir. D’autres demandent la mise en œuvre d’une intelligence collective dans un schéma plus souple. La logique des entreprises libérées est séduisante, mais elle produit elle aussi une régulation, qui n’est pas moins violente que dans les structures classiques.”
Avec capital