A présent que vous êtes sur le perchoir, il vous reste à trouver le ton juste (et la bonne distance) avec vos ex-camarades de volière.
Voilà un an que Cédric Ermacore a été nommé responsable d’agence chez Samse, un distributeur de matériaux de construction, succédant à son chef sur le départ. Pas commode d’être ainsi propulsé supérieur de ses anciens collègues… et, de ce fait, pas toujours très respecté.
“Quand j’étais commercial, raconte-t-il, j’étais perçu comme le bon camarade : celui qui aimait plaisanter, toujours prêt à rendre service. Devenu chef, je me suis demandé si je n’allais pas devoir casser cette image, car, lorsque je donnais des consignes, certains disaient “oui” tout en continuant à faire les choses à leur manière. Pour pouvoir travailler, j’ai dû les recadrer et leur rappeler que, désormais, c’était moi qui fixais les procédures.
Manager ses ex-collègues est un virage professionnel délicat. Pour le négocier dans les meilleures conditions, il va falloir asseoir votre crédibilité auprès de chacun et vous appuyer sur les bonnes personnes sans vous enferrer dans des problèmes d’affects ni vous laisser déstabiliser par les rancunes que votre nouvelle position pourrait susciter.
Vous ne vous sentez pas légitime ?
“Les deux principaux dangers avec ses anciens collègues est de s’excuser d’être devenu leur chef ou, au contraire, de verser dans l’autoritarisme pour compenser un déficit de légitimité”, analyse Catherine Barbon, cofondatrice du Gymnase du management. Malgré votre promotion, certains continueront à vous percevoir comme leur égal. Pour éviter cela, il faut revoir vos relations à travers le prisme de vos nouvelles responsabilités et vous demander ce qu’on attend de vous en tant que manager.
Ainsi, au moment de devenir directrice opérationnelle de l’agence de communication Pschhh, Emeline Dewitte est allée voir chacun des collaborateurs avec qui elle avait débuté. “J’avais besoin de leur approbation, explique-t-elle. Leurs retours ont été positifs. Cela m’a aidée à créer une bonne dynamique.”
♦Le conseil en + : si vous êtes dans une grosse structure, appuyez-vous sur votre hiérarchie. “Interrogez vos supérieurs et votre DRH sur les raisons qui ont motivé votre nomination, recommande Annette Chazoule, responsable des formations destinées aux managers à Cegos. Prendre conscience de vos qualités vous permettra d’échapper au syndrome de l’imposteur et de vous sentir plus vite à l’aise dans vos nouvelles fonctions.”
Vous avez du mal à mettre de la distance ?
Il y a quatre ans, en passant du poste de directeur de département de la société IT où il travaillait à celui de DG, Yann Guiomar (il a, depuis, lancé sa start-up, Sensing Labs) a bien senti que les plus proches de ses ex-collègues, ceux avec qui il lui était arrivé de partager des activités extraprofessionnelles, pensaient pouvoir jouir de privilèges.
“Certains commerciaux auraient aimé que j’élargisse leur zone d’activité, mais j’estimais qu’ils n’avaient pas les compétences. Dans ce genre de situation, il faut apprendre à gérer la frustration, à laisser l’affect au parking pour rester crédible en tant que manager.”
Dorénavant, l’enjeu pour vous est de faire preuve d’équité et d’exemplarité. Il est donc salutaire de prendre les distances qui s’imposent. Dans la manière de dire bonjour, par exemple : au lieu de faire la bise à certains et pas à d’autres, contentez-vous d’un salut cordial à chacun.
♦Le conseil en + : “Un changement brusque d’attitude pourrait jeter un froid, prévient Pierre Bultel, fondateur du cabinet PBRH. Allez-y en douceur : si vous mangiez tous les jours avec vos collègues, espacez progressivement ces retrouvailles en expliquant que vous avez d’autres obligations, d’autres rendez-vous.”
Vous craignez d’être accusé de favoritisme ?
Dans votre nouvelle position, vous allez être amené à accorder des promotions. Et à faire grimper celles et ceux dont vous connaissez et appréciez les qualités professionnelles. Après tout, ils constituent une ressource précieuse et on ne peut pas vous reprocher de savoir vous entourer.
Reste à faire preuve de tact vis-à-vis du reste de l’équipe. Chakir Moullan, DG France de l’éditeur de logiciels 8MAN, a travaillé dans cinq pays avant de recruter, dans le cadre de son poste actuel, plusieurs ex-collègues : “J’avais besoin de gens de confiance. Ces collaborateurs représentent pour moi un soutien, mais aussi un défi : avec eux, je dois encore faire mes preuves comme manager.”
♦Le conseil en + : Pour être crédible, restez concentré sur l’opérationnel. Parlez des missions et des objectifs en cours et évitez au maximum de faire référence au passé.
Vous êtes confronté à des rivaux jaloux ?
Enfin, il se peut que certains se montrent hostiles à votre nomination. Karim Ogbi, directeur Cloud Solutions chez Hardis Group (services numériques), a trouvé la parade. “A la suite d’une création de poste dans l’entreprise, j’ai gagné deux échelons d’un coup. La majorité des salariés soutenait ma promotion. Pour les autres, j’ai laissé faire les managers intermédiaires, dont mon ex-chef qui, après avoir pris le temps de digérer la nouvelle, a été l’un de mes meilleurs relais.”
Tout le monde n’a pas la chance d’avoir de tels appuis. Cédric Ermacore, chez Samse, a connu une situation de tension avec un collègue expérimenté qui estimait être plus légitime que lui pour devenir responsable d’équipe : “Au lieu de me braquer, j’ai discuté avec lui. J’ai essayé de comprendre son malaise et, au final, je lui ai confié une mission transversale, plus en rapport avec ses aspirations.”
♦ Le conseil en + : Difficile, parfois, de trouver un terrain d’entente quand votre nomination bloque l’évolution d’un collègue. “En cas de conflit ouvert ou larvé, il faut réagir vite, prévient Catherine Barbon. Désamorcez la défiance en cherchant à savoir ce qui dérange et renvoyez le collaborateur à ses limites.” Si la situation est inextricable, allez chercher du soutien en dehors de l’équipe: sollicitez vos pairs ou votre hiérarchie. Après tout, ce sont eux, vos nouveaux collègues!
Pierre Bultel :
“Ne croyez surtout pas que votre promotion ne changera rien. Car tout va être transformé… mais pas forcément en mal. Positionnez-vous comme une charnière fiable entre la direction et vos ex-collègues et incarnez avec fierté le fait qu’une évolution de carrière est possible au sein de votre entreprise.”
Avec management