Plan social inévitable, entreprise au bord du redressement judiciaire, contestations sans fin … Spécialistes des situations tendues, les managers de transition sont appelés à la rescousse des sociétés en crise. Ils constituent une riche source d’inspiration dans la gestion des conflits. Leur principal savoir-faire, selon Vincent Derville, DRH de transition depuis huit ans : “Rassurer en donnant du sens, en apportant une vision qui s’inscrive dans une logique de développement.” A l’image d’un manager de crise, sachez donner le cap et trancher : un conflit généralisé n’est que l’expression d’un dysfonctionnement qu’il vous appartient de résoudre. “Il s’agit d’aller vite tout en étant prudent, résume Philippe Soullier, président du cabinet de management de transition Valtus. Notre rôle est de formuler une stratégie et un plan d’action puis de les faire exécuter.”

ATTAQUEZ-VOUS À LA RACINE DU LITIGE

Dans cette perspective, n’abordez surtout pas le problème d’en haut. Au contraire, plongez à la source du conflit pour le comprendre et trouver des pistes pour y remédier. “Les bonnes idées, on les trouve souvent en écoutant les ouvriers, les personnes qui sont au contact du terrain”, estime Arnaud Marion, manager de crise. Pour cela, il est indispensable de renouer les fils du dialogue, souvent rompus en cas de contestation. “Dans ce contexte, le principal atout du manager de transition est d’arriver de l’extérieur. Il n’est pas chargé de l’histoire de l’entreprise. Il porte sur elle un regard neutre, exempt de sentimentalisme”, souligne Arnaud Moretti, senior manager de la division Management de transition au cabinet de recrutement Robert Walters.

Etant déjà en poste, vous ne bénéficiez pas d’un tel recul ? Efforcez-vous alors de faire preuve d’empathie. Ecoutez les parties en présence, prenez le temps de réaliser un diagnostic complet. “Il faut compter entre dix jours et un mois pour faire le tour d’un problème”, estime Philippe Soullier.

APPUYEZ-VOUS SUR VOS SUCCÈS

Une fois votre stratégie arrêtée, expliquez-la en toute transparence, sans occulter les difficultés ni les bouleversements qui risquent de toucher les salariés. Il suffit parfois d’un détail pour débloquer une situation difficile et renouer le dialogue. Ainsi, en mission dans un groupe de 1.000 employés où le syndicat majoritaire historique avait pris le dessus sur la direction, Vincent Derville a relancé les échanges en obtenant que les comités d’entreprise se déroulent désormais selon un ordre du jour préétabli et des questions posées à l’avance, sans prise de parole intempestive.

Autre technique pour assouplir les résistances au changement : remporter rapidement de petits succès et capitaliser sur leur impact positif. Par exemple, lors d’un rachat ou de la fusion de deux entités, éditer un bulletin de paie en temps et en heure en attendant d’harmoniser les conventions collectives, ou fournir des bleus de travail ou des blouses au nom de l’entreprise pour souligner l’appartenance des salariés au nouvel ensemble. Pour Philippe Soullier, “ces petits succès permettront à ceux qui doutent de réaliser qu’un processus de transformation est en route et qu’il commence à produire ses effets”.

                             Portrait ARNAUD MARION, Trans Consult International.

Arnaud Marion. Toujours entre deux missions, cet urgentiste a sauvé plus de 5.000 emplois en quinze ans. © SP/Doux
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Arnaud Marion. Toujours entre deux missions, cet urgentiste a sauvé plus de 5.000 emplois en quinze ans.

“JE SUIS UN TIERS DE CONFIANCE, POUR LES EMPLOYÉS ET POUR LA DIRECTION”

Chez Doux, ses cartons ne sont pas encore emballés. Mais Arnaud Marion vole déjà au secours d’une nouvelle entreprise. Appelé en 2012 au chevet du volailler breton, alors en redressement judiciaire, l’homme a quitté ses fonctions de président du directoire fin février, quelques jours après la validation par l’Autorité de la concurrence du rachat du groupe agroalimentaire, renfloué par la coopérative agricole Terrena.

Après quatorze ans passés dans le conseil et la banque, Arnaud Marion est devenu sauveteur d’entreprises, en créant il y a quinze ans Trans Consult International, un cabinet spécialisé dans la gestion de crise, l’analyse stratégique et les négociations. A 50 ans, l’homme dit s’être penché sur le sort de 220 sociétés et avoir assuré pas moins de 35 mandats de direction générale, participant ainsi à la sauvegarde de 5.000 emplois.

LE GOÛT DE LA MÉDIATION

Terrena lui avait bien proposé de rester à la tête de Doux, mais il a décliné, plaidant pour le recrutement d’un spécialiste du secteur, qui apporterait un regard neuf sur l’activité. C’est qu’Arnaud Marion n’intervient pas dans les entreprises en vitesse de croisière, leur préférant les opérations commandos au cours desquelles il peut construire, en un temps compté, la bonne stratégie.

Fils de militaire, habitué aux fréquents changements de caserne, il a acquis le goût de la négociation à l’occasion d’une mutation paternelle qui l’avait conduit à côtoyer les hommes du GIGN. Il aime jouer le rôle du médiateur, comme lors de son intervention en 2004-2005 au Lido, où il a déployé ses talents pour lever les blocages entre les deux familles actionnaires, permettant finalement de faire entrer Sodexo au capital.

“La négociation -avec les banques par exemple ou à travers la mobilisation des créances des clients- est un des leviers du manager de crise”, assure-t-il. Et de poursuivre : “Intervenir dans une situation de crise suppose de gérer le conflit, même si les deux notions ne se confondent pas. Ainsi, Doux était une société en crise, dont la direction était par ailleurs en conflit avec les syndicats et les salariés. Pour résoudre la crise, il fallait commencer par traiter le conflit.”

Dans ce contexte, le manager-sauveur dispose d’un atout majeur : étranger à l’établissement, il peut tenir un discours de transparence et de vérité au personnel. “Dans ces situations où la détresse sociale est parfois terrible, il faut être capable d’affronter le problème et d’expliquer aux salariés qu’ils devront travailler autrement, dégager plus de productivité, s’adapter à de nouveaux métiers…”

DÉCULPABILISER

Ses armes secrètes : l’écoute et l’empathie. Le conflit se nourrit des reproches adressés à la direction ? Arnaud Marion fait comprendre que la “véritable” guerre se joue à l’extérieur de l’organisation et que les salariés doivent se battre ensemble pour leur entreprise et leurs emplois. “Vis-à-vis d’eux, je suis un tiers de confiance qui apporte de la sérénité. Une sérénité que je donne également aux dirigeants en les déculpabilisant face à une situation qu’ils vivent comme un échec.”

À RETENIR

– Le confit n’est pas la crise, même si les deux se recoupent. Mais impossible de sortir de la seconde sans avoir réglé le premier.

– La négociation est l’arme du manager de transition. Soyez créatif dans vos propositions.

– Porter un regard neuf sur la situation est la clé d’une sortie de crise réussie.

Avec Management