Le milliardaire emprisonné et contesté par les siens passait, il y a encore peu, pour le président-bis de la Guinée.
C’est pour être allé le libérer de la prison centrale de Conakry que le président Lansana Conté a provoqué la furie du petit peuple de Guinée. Avec la suite que l’on connaît. Cailloux et cris de rage contre balles réelles. Plus de 100 morts.
La médiation de l’ancien président nigérian, militaire comme lui, a mis fin aux émeutes. Conté a accepté de choisir un Premier ministre de consensus sur une liste de trois, proposés par les syndicats et la société civile. Ce fut Lansana Kouyaté, ancien secrétaire exécutif de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, CEDEAO. Parmi ses missions, l’audit de la gestion des ressources publiques, pour tirer au clair, entre autres, les accusations de malversations qui ont valu la prison à l’ami du président Conté.
Kouyaté vient de publier les résultats. Effarants ! 200 milliards de francs guinéens détournés. 13 400 fonctionnaires décédés
toujours salariés et 300 véhicules disparus.
Résultats effarants !Kouyaté vient de publier les résultats. Effarants ! 200 milliards de francs guinéens détournés. 13 400 fonctionnaires décédés toujours salariés et 300 véhicules disparus. Véhicules ? Le différend entre Sylla et le gouvernement portait justement sur des véhicules payés et non livrés selon le gouvernement, livrés et pas payés pour le milliardaire guinéen. La justice va se saisir des audits et peut-être la lumière sera-t-elle faite, entre autres, sur ce contentieux.
Solidarité ethniqueCe milliardaire qui a ébranlé l’Etat vivait, jusqu’à son emprisonnement, un conte de fées.
Né en janvier 1960 à Boké, une ville minière du nord-ouest de la Guinée, ce Diakhanké, ethnie commerçante et religieuse, est initié au commerce et à la religion par son père, El Hadji Bakoutoubou Sylla, marabout. Il l’amène avec lui à la poursuite du diamant dans les mines de Banankoro. Les recherches du père sont vaines. A 24 ans, Mamadou Sylla estime le moment venu d’aller chercher fortune ailleurs. A Conakry, en 1984, il s’essaie à tous les commerces. Il a le sens des affaires et la solidarité ethnique aide aussi. Il finit par racheter une petite société, Futurelec, spécialisée dans l’électronique grand public, en 1993. Il s’associe avec Arnaud de Rességuier, qui venait de créer une autre petite société dénommée AMC en 1996. Futurelec, rapidement, se diversifie. Engrais, semences, produits phytosanitaires. « El Hadj, qui a toujours 100 idées à la minute, m’a dit : “Maintenant qu’on tient bien ce marché là, nous allons passer à autre chose ” », raconte son associé devenu son conseiller. Après l’agriculture, ce sera l’automobile. Pour acheter une voiture, il fallait alors verser quelque 20 000 $ d’acompte et attendre six mois. Futurelec en importe des dizaines pour livrer immédiatement. Les acheteurs commencent à se presser et Futurelec à prospérer, mais il est loin d’être le premier de la classe.
Vente d’armesA toute chose malheur est bon, dit l’adage. En 2001, la Guinée est attaquée par des rebelles sans dessein politique. Leur seul but, piller, dépouiller, comme ils le font en toute impunité au Liberia et en Sierra Leone. Mal préparée, sans équipements, démobilisée, l’armée du général Conté brille par son absence. Puis, se souvenant qu’il fut militaire, Conté réagit. Il prend la direction des affaires. Il lui faut d’abord des armes, des munitions et des véhicules. Et pour cela, des relations avec les négociants d’armes. On lui parle d’un certain Mamadou Sylla, qui vend de tout. Probablement, Sylla n’en connaissait-il pas plus que lui car, en faits d’armes, il ne vendait que des fusils de chasse. Mais en bon commerçant, pour toute demande, il a forcément une offre. Et quand il s’agit d’un Etat, les vendeurs d’armes peuvent bien faire crédit. Pari gagné. En un tour de main, Conté a ses armes et voitures. Et comme les rebelles étaient seulement venus piller, ils n’ont nulle intention de trop risquer leur vie. Plutôt retourner dans le no man’s land sierra-léonais-libérien.
Son chiffre d’affaires est passé de 1 à 200 millions de dollars en quelque cinq ans. Il est resté l’ami du chef de l’Etat.
Le graalPour Sylla, c’est le graal. Conté, qui sait être reconnaissant, ne jure désormais que par lui. Il empoche quelques millions de dollars et, en prime, la confiance du chef de l’Etat.
La diversification des activités se poursuit. Futurelec est partout.
Sylla est maintenant la première fortune de Guinée. Il trône dans un imposant immeuble neuf dans le quartier de Dixinn Bora, à Conakry, avec ses trois femmes et ses dix enfants. En guise de bilan, il rappelle qu’il est né commerçant et énonce sa philosophie. « Personnellement, je n’ai pas besoin de dire que telle ou telle chose m’a empêché de faire ceci ou cela ; il faut que je réussisse, je me dis ” je dois faire ceci ” ou ” je ne le dois pas “, mais c’est toujours moi-même qui décide. Dieu m’a toujours aidé. Chaque fois qu’on a monté une affaire, ça a bien marché. On a investi beaucoup d’argent dans les avions. Pour ce qui est de l’agriculture, tout est mécanisé, c’est moderne. On est dans l’élevage, la pisciculture… On a regroupé tout ça au sein de Futurelec. Il y a aussi une grande société de construction. On va construire le plus grand dépôt du pays. On a aussi une société de trading. Dans presque tous ces domaines, nous sommes leader. En dehors de la Guinée maintenant, d’autres chefs d’Etat viennent nous visiter. »
Son chiffre d’affaires est passé de 1 à 200 millions de dollars en quelque cinq ans. Il est resté l’ami du chef de l’Etat. Le vice-président de la République, raillent même quelques-uns qui le soupçonnent d’être le porte-nom du président. Lui s’en défend : « Je n’ai jamais entretenu de rapports d’argent avec le président. Il rigole, d’ailleurs, chaque fois que je lui rapporte les rumeurs qui veulent que des caisses d’argent circulent entre mon domicile et le palais. »
Face à Sylla se dresse désormais El hadj Youssouf Diallo qui a, du reste, signé au nom du patronat les accords tripartites
gouvernement – syndicats – patronat, qui ont permis de calmer le jeu politico-social.
Il démissionne le Premier ministreIl est assez puissant pour pousser un Premier ministre, Lonsény Fall en l’occurrence, à la démission. Le président Conté ayant pris la défense de Sylla dans un conflit avec le PM. Une autre fois, le président met son cortège à sa disposition en mars 2005. Pour démentir les rumeurs sur sa santé, c’est chez lui que Conté décide de faire sa première apparition publique, le 3 avril 2005.
Mais comme toujours, avec le pouvoir, rien n’est jamais définitivement acquis. Le gouvernement l’accuse de lui avoir pris indûment vingt millions de dollars. L’affaire finit en justice et Sylla est placé sous mandat de dépôt. La suite est connue. C’est sa libération et les émeutes. Un malheur n’arrive jamais seul, dit aussi l’adage. Après ses déboires avec sa compagnie aérienne, dont un avion a crashé, le voici à présent contesté par ses pairs. Les patrons guinéens comptent désormais deux patrons. Face à Sylla se dresse désormais El hadj Youssouf Diallo qui a, du reste, signé au nom du patronat les accords tripartites gouvernement- syndicats-patronat, qui ont permis de calmer le jeu politico-social.
Son ascension avait commencé par l’épée. Si les événements de janvier 2007 finissent par l’emporter, c’est par l’épée qu’il aura également tout perdu.