Présent au Salon international de l’agriculture (SIA), fin février, Mamadou Sangafowa Coulibaly, le ministre ivoirien de l’Agriculture, est venu promouvoir à Paris le troisième Salon de l’agriculture et des ressources animales (Sara), qui fait son grand retour à Abidjan, du 3 au 12 avril, après seize ans d’absence. L’occasion de faire le point sur les grands dossiers d’un secteur agricole qu’il connaît sur le bout des doigts pour avoir été lui-même producteur, avant de devenir directeur de cabinet adjoint au ministère (2003-2010), puis ministre.
Propos recueillis par Olivier Caslin
Jeune Afrique : Trois ans après le lancement du Programme national d’investissement agricole [PNIA], quel premier bilan en tirez-vous ?
Mamadou Sangafowa Coulibaly : Il est en bonne voie. Les objectifs du PNIA sont de faire reculer la pauvreté, d’assurer la sécurité alimentaire, de développer plus de 2 millions d’emplois supplémentaires et d’assurer à l’horizon 2020 la transformation de 50 % de notre production. Sur tous ces points, nous progressons. Nous avons démarré nos projets dès 2013 et avons déjà engagé plus de 52 % de notre enveloppe budgétaire, c’est-à-dire plus de 1 000 milliards de F CFA [plus de 1,5 milliard d’euros].
Quelle a été la contribution du secteur privé ?
Il a très vite répondu présent et participe à hauteur de 60 % au financement du PNIA. Sur trois investisseurs qui viennent en Côte d’Ivoire, deux s’intéressent au secteur agricole, qui représente un tiers du PIB du pays. Cette contribution du privé se fait déjà sentir dans les résultats que nous enregistrons en termes de production pour 2014, avec une hausse de 9 % sur les cultures de rente et de 27 % sur le vivrier. Il nous faudrait maintenir un niveau de croissance équivalent pendant trois ou quatre ans.
Le secteur privé français a-t-il aussi répondu à l’appel ?
Oui, même s’il pourrait faire beaucoup plus. Les entreprises françaises n’occupent pas en Afrique francophone la place qui devrait être la leur. C’est d’ailleurs pour les encourager à s’intéresser davantage à la Côte d’Ivoire que nous sommes présents au SIA de Paris. Les entrepreneurs français que nous avons rencontrés se sont montrés très réceptifs. La plupart connaissent déjà le pays pour y avoir travaillé ou pour disposer d’un partenaire sur place. Ils cherchent tous de nouvelles opportunités, et ce type de grands salons, comme le SIA ou le Sara, permet d’exposer notre patrimoine agricole et, surtout, de mettre nos producteurs en contact avec de grands acteurs internationaux.
Vous avez rencontré de nombreux fabricants d’intrants. Est-ce la priorité dans l’agriculture ivoirienne ?
Pas uniquement ivoirienne, mais africaine. Pour améliorer la productivité, il faut des semences de qualité, des fertilisants et du matériel agricole, aujourd’hui très peu disponible sur le continent.
La parcellisation des terres freine l’utilisation de ces équipements en Afrique…
Absolument, mais la situation était comparable en Asie, et cela n’a pas empêché la Chine et l’Inde de mécaniser leur agriculture. C’est ce que nous devons faire. Pour bénéficier d’un matériel adapté à nos conditions, nous devons convaincre les constructeurs internationaux de s’intéresser à l’Afrique et en particulier à la Côte d’Ivoire, qui peut être la vitrine de ce qu’ils peuvent offrir au continent.
Faut-il passer d’une agriculture paysanne à des exploitations industrielles ?
Il n’y a aucune raison d’opposer ces deux types d’agriculture. Il s’agit plutôt de trouver l’ancrage qui leur permettra d’être complémentaires. À nous de développer les projets où ils pourront cohabiter, selon le principe que les cultures de rente peuvent favoriser le développement de l’agriculture vivrière dans leur environnement proche. Je vous rappelle que la Côte d’Ivoire est devenue le premier producteur mondial de cacao en s’appuyant sur ses planteurs. En Afrique de l’Ouest, les petites exploitations de coton ont montré qu’elles étaient plus rentables que les grandes plantations nord-américaines. Et sans bénéficier de subventions.
La réforme foncière est inachevée, et cela pèse sur le développement du secteur…
Le problème est toujours de savoir comment concilier les droits coutumiers avec ceux hérités des colonies. Une grande majorité d’États africains continuent de fonctionner selon le cadre défini durant la colonisation… qui n’est pas celui qu’appliquent les paysans. L’objectif est donc de consacrer le droit coutumier, puisque c’est celui qui, dans les faits, régit les terres. Il faut le rationaliser et formaliser une tradition essentiellement orale.
Cela permettra-t-il aux jeunes Ivoiriens de revenir à la terre ?
Ils y reviennent déjà ! Même des gens qui ont fait des études en ville vont aujourd’hui s’établir en zone rurale. Les jeunes vont là où ils peuvent gagner leur vie, et l’agriculture peut le leur permettre. Nous avons bien sûr encore beaucoup d’efforts à réaliser pour les accompagner, les aider à trouver les financements, leur apporter la formation nécessaire pour maîtriser les méthodes modernes de production.
J’ai le sentiment que l’ensemble des filières renouent avec leurs performances passées.
Qu’en est-il des OGM ?
C’est un débat communautaire qui dépasse la seule Côte d’Ivoire. Nous n’avons pas encore légiféré au niveau national, mais la prochaine loi d’orientation agricole évoque les biotechnologies, qui sont loin d’être toutes nocives pour la santé ou pour l’environnement. Nous suivons de près les expériences du Burkina Faso dans le coton et ne sommes pas fermés à la question, mais il nous faut des règles précises pour entrer en action et développer nos cultures de rente. Avec l’anacarde, mais aussi le coton et la mangue, nous voyons que ce type de grandes cultures peut exister, notamment dans le nord du pays, avec pour effets le recul de la pauvreté et la redistribution des richesses nationales. L’anacarde joue un rôle majeur dans l’économie ivoirienne. Nous en produisons 560 000 tonnes. Reste maintenant à les transformer sur place.
Le cacao va rester incontournable encore longtemps. Où en est la filière après deux ans de réforme ?
Les principaux objectifs ont été atteints. Tant pour le prix versé aux paysans, garanti pour la première fois à hauteur de 60 % des cours internationaux, que pour l’amélioration de la qualité de nos fèves. La gouvernance de la filière s’est elle aussi améliorée. Nous disposons d’agents sur l’ensemble du territoire, qui sont là pour confirmer que la qualité et les prix sont bien respectés. Le Conseil du café-cacao doit maintenant anticiper les défis qui attendent la filière en matière de productivité et de débouchés.
L’encadrement des filières passera-t-il de plus en plus par ce genre de structure public-privé ?
Le tout-État a montré ses limites, le sans-État aussi. Le système actuel semble plus équilibré. C’est un mode de gestion qui a tendance à se généraliser et que nous appliquons aussi dans le coton et l’anacarde.
Quel est votre regard sur les dernières évolutions du secteur agricole ?
J’ai le sentiment que l’ensemble des filières renouent avec leurs performances passées. Il faut juste être sûr que toutes les conditions seront réunies pour que cette évolution s’inscrive dans la durée. Et le Sara doit justement y contribuer en encourageant les échanges, l’innovation et l’investissement. La Côte d’Ivoire a besoin d’agrofournitures, et nos partenaires ont tout intérêt à venir voir sur place.
Du 3 au 12 avril, Abidjan abrite le Salon de l’agriculture et des ressources animales. L’occasion de passer en revue les grands dossiers du secteur en Côte d’Ivoire, de la réforme foncière à celle du cacao.
(avec jeunfeafrique)