Président du Conseil national du patronat du Mali (CNPM) depuis octobre 2015, Mamadou Sinsy Coulibaly a l’esprit d’initiative et le goût de l’innovation chevillés au corps. À 61 ans, le PDG fondateur du groupe Kledu est célèbre pour son parcours de self-made-man, son ultralibéralisme, son franc-parler et sa constance, jusque dans le look chic et décontracté dont il ne se départ presque jamais : casquette de base-ball, veste sur chemise ou polo, sans cravate.
Né au Sénégal, Mamadou Sinsy Coulibaly a grandi au Mali et passé son bac au lycée Prosper-Kamara de Bamako. En France, il étudie la mécanique, via un cursus en sciences et structure de la matière à la faculté de Jussieu, à Paris, puis à l’École supérieure du commerce des réseaux automobiles (Escra), au Mans.
Il s’envole ensuite aux États-Unis, où il crée une société de pompes funèbres spécialisée dans les funérailles à l’africaine, qu’il revend pour investir dans une compagnie aérienne reliant Haïti à Miami.
Rentré au Mali au début des années 1980, il tisse un réseau de relations d’affaires en travaillant notamment dans le commerce de véhicules d’occasion, crée une société de vente de matériel vidéo et, à la faveur de l’ouverture démocratique, en 1991, lance l’un des premiers médias privés du pays, Radio Kledu.
Son groupe emploie aujourd’hui environ 2 000 personnes au sein d’une constellation de sociétés actives dans les médias et la communication, avec Radio Kledu, K2FM, le mensuel gratuit Le Dourouni ou encore Malivision, mais aussi l’imprimerie et les technologies numériques (ImprimColor), le tourisme (Tam voyages), la distribution et les services (Tam courrier, Kledu pressing, SPI bureautique…), l’agroalimentaire, la restauration, etc. À Bamako, tout le monde connaît le tycoon et la magnifique villa à l’italienne qu’il a fait construire au milieu d’une palmeraie, à l’entrée de la Cité du Niger.
Mais c’est dans son immense bureau d’ACI 2000 que l’influent patron des patrons maliens a reçu Jeune Afrique, avant d’embarquer dans sa Classe S Berline noire qui le conduira chez le ministre des Finances « pour une audience privée ».
Jeune Afrique : Quelles missions vous êtes-vous fixées à la tête du patronat ?
Mamadou Sinsy Coulibaly : Mon rôle est de booster le secteur privé, de faire connaître le monde de l’entreprise et de sensibiliser l’État pour qu’il travaille avec nous. Pour ça, on doit se dire la vérité. Par exemple en ce qui concerne l’exigence d’une culture du travail et de la compétitivité, ou la nécessité de mettre en place un système de taxes équitable, puisque c’est le privé qui donne tout et le public qui dépense. Pour moi, c’est un défi permanent.
Ce que l’on demande au politique, c’est d’assurer la sécurité. Nous, on s’occupe du reste
Que pensez-vous de la situation économique du pays ?
Sur un plan macroéconomique, malgré la crise sécuritaire, on peut dire que cela va à peu près. Le taux de croissance s’est élevé à plus de 5 % en 2016, des projets se montent… Aujourd’hui, ce que l’on demande au politique, c’est d’assurer la sécurité. Nous, on s’occupe du reste.
Je suis très optimiste, car dans le pays on prend enfin conscience de l’importance du secteur privé, et nous, les entrepreneurs, commençons à rêver. On sait que ça va marcher. L’État investit dans les routes et autres infrastructures, partout des chantiers fleurissent : ça, c’est du concret. On voit aussi que l’économie malienne prend son envol dans tous les secteurs, notamment grâce à la présence étrangère militaire et humanitaire.
En fait, notre pays profite de l’économie militaire. Les soldats étrangers sont des consommateurs et, dans une certaine mesure, remplacent les touristes d’hier. L’immobilier décolle, dans certains quartiers les restaurants marchent mieux qu’avant, etc. On ne peut pas se plaindre.
Cela profite-t‑il vraiment au Mali, de façon pérenne ?
Bien sûr ! D’abord, il y a une forte redistribution locale et des créations d’emplois, y compris dans les bases militaires. Ensuite, cet argent est reversé dans les caisses de l’État à travers les taxes et les impôts. Enfin, ce sont des entreprises maliennes qui sont désormais chargées de la plupart des travaux et services.
La sous-traitance s’est développée à cause de l’insécurité, car nombre d’entreprises étrangères ne veulent pas prendre le risque de travailler au Mali. Cela a provoqué un déclic : nos entrepreneurs ont pris conscience qu’il faut croire en ce pays et que, même dans un climat d’insécurité, leurs sociétés peuvent gagner de l’argent.
Par ailleurs, la diaspora malienne est très active, en France et dans le monde. L’argent qu’elle envoie est plus important que l’aide technique apportée au Mali. C’est une vraie force !
Depuis les indépendances, tout s’est dégradé au Mali
Quelles sont les voies à explorer pour accélérer le développement ?
Je suis persuadé que, très prochainement, les entreprises maliennes vont revenir travailler dans le Nord. Personnellement, je suis prêt à aller m’installer à Tombouctou ou à Gao. Il y a de l’argent à y gagner dans la construction, l’énergie, l’eau, etc.
Depuis les indépendances, tout s’est dégradé au Mali. On a des problèmes partout, y compris au palais présidentiel de Koulouba. Il faut tout reconstruire ! Une telle tâche ne peut être assurée par une seule société, et les financements ne sont pas tout. Il faut des entreprises spécialisées, il faut des compétences. Sur ce point, les étrangers peuvent nous aider.
Comment améliorer le climat des affaires, notamment en ce qui concerne la corruption ?
C’est la plaie de notre société ! Or on peut la stopper par la numérisation de l’administration publique, qui supprime le contact entre usagers et agents de l’État. Si j’ai une carte ou que je fais des virements, l’argent va directement dans les caisses de l’État, pas ailleurs.
Nous avons aussi un problème de compétitivité. L’emploi est cher, les charges sont lourdes, notre administration n’est pas concurrentielle… En revanche, Bamako est à équidistance de toutes les capitales d’Afrique de l’Ouest. Nous devons miser sur cet atout et investir dans la logistique et la sous-traitance.
Le pays peut retrouver la voie de l’émergence, et cela très rapidement. Dès 2025, il fera bon vivre au Mali, ou alors c’est qu’on aura disparu à cause du jihadisme. Soit on lutte, et l’économie redémarre, soit on crève. C’est quitte ou double.
Avec jeuneafrique