Parmi les 17 prévenus qui comparaissent pour l’assassinat de 21 Bérets rouges, en mai 2012, quelques sans-grade ont reconnu leur culpabilité. Mais l’ex-chef de la junte, Amadou Haya Sanogo, s’enferme dans sa stratégie de défense : le déni et les menaces.
Ils ne s’étaient pas vus depuis trois ans. À l’époque, ils étaient fâchés et divisés. Ibrahim Boubacar Keïta venait d’être élu, et la junte arrivée au pouvoir en mars 2012 – qu’ils avaient dirigée à des degrés divers de responsabilité et dont ils étaient les figures les plus connues – venait d’être liquidée. Certains, disait-on alors à Bamako, ne se parlaient plus.
Réconciliés ?
D’autres s’en voulaient à mort. Tour à tour inculpés pour leur rôle présumé dans l’enlèvement et l’assassinat de 21 Bérets rouges, en mai 2012, embastillés et éparpillés aux quatre coins du pays, ils n’avaient plus eu l’occasion de s’expliquer. Mais lorsqu’ils se sont retrouvés, le 30 novembre, dans la grande salle de spectacle de Sikasso transformée en tribunal, quelques minutes avant le début de leur procès, ils se sont pris dans les bras comme de vieux amis, se sont lancé de larges sourires et ont multiplié les salutations démonstratives.
Puis ils se sont assis les uns à côté des autres, comme un seul homme : Yamoussa Camara, ministre de la Défense durant la transition, à la gauche d’Amadou Haya Sanogo, le chef de l’ex-junte ; Ibrahima Dahirou Dembele, l’ancien chef d’état-major des armées, à sa droite ; puis, à leurs côtés, Blonkoro Samaké, Amadou Konaré, Soïba Diarra, Christophe Dembélé…
Un détail, cependant, n’a pas échappé aux avocats qui ajustaient leur robe juste devant eux : quand Sanogo est entré dans la salle, amaigri, certains des seize prévenus (le dix-septième, Amassongo Dolo, est récemment décédé) ont refusé de lui serrer la main. « Dans ce dossier, il y a un seul banc des accusés, mais beaucoup de positions et d’enjeux différents. Ce n’est pas un bloc homogène, loin de là », commente un avocat qui défend les intérêts d’Amadou Konaré, l’ancien porte-parole du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État (CNRDRE).
Il y a d’abord les vieilles rancœurs, bien trop tenaces pour que trois ans d’isolement les aient effacées. Hormis lors de son avènement, en mars 2012, la junte n’a jamais été unie. Très vite, des divergences sont apparues, notamment quand Sanogo a accepté de lâcher le pouvoir, sous la pression de la communauté internationale et contre l’avis de certains de ses lieutenants, dont Amadou Konaré et Soïba Diarra.
Homme à abattre
À l’époque, on pensait que Sanogo ne dormait jamais au même endroit pour éviter toute attaque extérieure. Mais c’est de ses propres hommes qu’il se méfiait. Cette fracture a éclaté au grand jour quand, en septembre 2013, quelques semaines après l’élection d’IBK et la promotion du capitaine Sanogo au grade de général de corps d’armée, une mutinerie a été matée dans le sang au camp de Kati. Les hommes, tous des membres de la junte proches de Konaré, voulaient en découdre avec Sanogo lui-même…
« La mutation du CNRDRE est fondamentale dans cette affaire, convient un avocat de la défense. La mutinerie a laissé des traces terribles. Aujourd’hui, ils se regardent tous en chiens de faïence. » Et se demandent qui va parler, et qui va se taire.
Certains se sont déjà mis à table au cours de l’instruction. Trois hommes, des sans-grade, ont admis devant le juge avoir tué et enterré les 21 Bérets rouges : l’adjudant-chef Fousseyni Diarra, dit « Fouss », Tiémoko Adama Diarra, son « petit », et un autre adjudant-chef, Mamadou Koné. Ils sont accusés d’enlèvement et d’assassinat. Ce sont eux qui ont guidé les enquêteurs jusqu’à la fosse commune où les corps ont été entassés dans la nuit du 2 au 3 mai 2012. Ce sont eux aussi qui ont chargé certains de leurs supérieurs.
Ces hommes n’étaient en effet que des exécutants. « L’enjeu du procès est de savoir qui leur a donné l’ordre de tuer », explique un avocat de la défense. C’est donc vers les autres prévenus, tous accusés de complicité d’enlèvement et d’assassinat, que les regards seront rivés durant les audiences. Et plus particulièrement vers Sanogo.
L’heure des aveux
« Fouss », Diarra et Koné auront-ils le cran de répéter tout cela à l’audience, alors qu’ils sentiront dans leur dos le souffle de ceux qu’ils accusent ? Pour ceux qui ont eu accès à l’ensemble des pièces du dossier, il y a peu de chances qu’ils reviennent sur leurs déclarations. « Je ne crois pas à la loi du silence, dit l’avocat d’un des accusés. Ceux qui ont avoué n’ont pas varié leur version d’un iota, même lors des confrontations. Les “petits” ne sont plus sous le joug de Sanogo, c’est clair. »
Cet avocat, comme d’autres, a été surpris – courroucé aussi – d’entendre, au début du procès, les défenseurs de Sanogo se constituer pour l’ensemble des accusés. « C’est intenable. Il y a un risque majeur de conflit d’intérêts », soutient-il. Les hommes de loi l’ont discrètement fait savoir à leurs confrères, alors que la greffière lisait l’acte d’accusation. Et c’est notamment pour cette raison que la défense a demandé, et obtenu, une suspension d’audience.
Au président de la cour, les avocats de l’ancien putschiste ont expliqué qu’ils avaient besoin de temps pour s’entretenir avec leurs clients, qui étaient arrivés la veille seulement à Sikasso. « Pendant trois ans, nous avons été coupés de nos clients, qui ont été éparpillés dans l’ensemble du pays. Nous avons besoin de savoir comment ils souhaitent organiser leur défense. C’est un droit », ont-ils soutenu. Mais il s’agissait surtout, pour l’armada d’avocats qui représentent les prévenus, d’accorder leurs violons sur une stratégie commune.
Dans les heures suivant la suspension de l’audience, les avocats de Sanogo ont multiplié les tentatives de rapprochement avec leurs confrères. Une première réunion a été organisée dans la soirée du 30 novembre à l’hôtel Maïssa, le QG de l’équipe de Sanogo. Sans succès. Puis une seconde, le lendemain. Avec le même résultat.
« Pourquoi aller à ces réunions ? s’interroge un avocat récalcitrant. Les conseils de Sanogo veulent nous imposer une stratégie unique, mais cela ne tiendra pas. Et on ne peut pas accepter qu’ils représentent tous les accusés. Cela pose un problème déontologique. » À la sortie du tribunal, l’un de ses confrères se désolait de la stratégie adoptée par le clan du général : « Ils veulent politiser les débats. Ils vont aller jusqu’à nier les faits. Il s’est bien passé quelque chose, pourtant. »
Innocence clamée
Une machination politique : telle sera la défense du général. Au cours de l’instruction, Sanogo n’a cessé de nier son implication dans cette affaire. Selon son entourage, il continuera de crier son innocence face aux juges. « Il est déterminé à livrer la vérité sur cet épisode, indique l’un d’eux. Il est même heureux de pouvoir édifier le peuple malien et défendre son honneur. » À ses proches, qu’il reçoit au compte-gouttes dans sa prison dorée – l’une des suites présidentielles du gouvernorat de Sikasso, loin des autres accusés qui se trouvent, eux, au camp de la gendarmerie –, Sanogo a expliqué sa stratégie.
Il va rappeler, comme l’ont déjà fait ses avocats, que les agresseurs, le 30 avril 2012, venaient du camp des Bérets rouges, et non du sien. Il va ajouter qu’ils ont tué, eux aussi, et que, malgré cela, ils ne sont pas poursuivis. Pour quelles raisons ? Il va répéter qu’il a tout fait pour les en dissuader, mais qu’au bout d’un moment, quand ils approchaient de son quartier général, le camp de Kati, il a bien dû se défendre.
Qu’il aurait été idiot d’ordonner l’exécution de prisonniers qu’il avait lui-même exhibés devant les caméras de l’ORTM, la télévision publique, une fois les combats finis et la défaite des Bérets rouges consommée. Qu’il aurait été bien plus simple de leur prendre la vie dans le vif du sujet, lorsque les combats faisaient encore rage à Kati et à Bamako. Et qu’il ne croit pas Soïba Diarra, qui est accusé par Mamadou Koné de lui avoir remis la liste des hommes à abattre, capable d’un tel sang-froid : « S’il avait voulu les tuer, il l’aurait fait pendant les combats, le 30 avril », argumente la défense.
Aide aux plus faibles
Sanogo va également demander à la cour pourquoi un homme qui donne de l’argent aux femmes des prisonniers (« 4 millions de F CFA », assure-t-il, en plus des 4 tonnes de riz offertes par Cherif Haïdara, une figure religieuse qui est citée comme témoin au procès) pour qu’elles puissent nourrir leurs enfants ferait tuer leurs maris. Il va même peut-être nier ce que « Fouss », Diarra et Koné ont admis durant l’instruction, à savoir qu’ils ont sauvagement tué et jeté dans une fosse les Bérets rouges, qu’on leur avait ordonné de faire disparaître.
« Qui dit que ce sont les Bérets verts qui les ont tués ? demande-t-il à ceux qu’il reçoit. Moi, ce que je sais, c’est que j’ai donné de l’argent aux familles des victimes pour qu’elles enterrent leurs morts. Et que je n’ai pas vu les obsèques. Où ont-ils été enterrés ? »
Il promet d’aller plus loin même : il va politiser les débats, recycler le discours qui a tant plu lors de sa prise du pouvoir (c’est pour cela qu’il souhaite ardemment que les débats soient diffusés en direct à la radio et à la télévision). à l’époque, il se faisait le héraut des « petites gens » face aux élites représentées par la classe politique et les Bérets rouges, ces soldats – souvent des « fils de » – qui touchaient deux fois plus que les Bérets verts, et dont il avait rogné les privilèges.
Il va même menacer de tout déballer, de dire qui sont les hommes politiques qui ont financé l’attaque des Bérets rouges, et qui attendaient patiemment à l’hôtel Amitié un appel leur confirmant que l’opération était un succès. De dire aussi qui sont ceux qui, acteurs de sa chute, avaient pourtant fait des pieds et des mains pour le conseiller quand il était le maître du pays. « Je vais citer des noms. Je vais expliquer les vraies raisons de l’acharnement contre moi », assure-t-il. Il a des preuves, des dossiers, des vidéos, même, et il n’hésitera pas à s’en servir s’il le faut, clame-t-il. Sera-ce suffisant pour convaincre le jury de son innocence ?
Avec Jeune Afrique