Inspirée. Mode, beauté, boissons…Figure de la nouvelle génération, elle part à la conquête du luxe.
Elle incarne une nouvelle génération d’Africains d’outre-continent, façonnée dans un subtil mélange d’influences. Dans le shaker personnel de Magatte Wade, on trouve trois ingrédients essentiels. D’abord, une bonne dose de Sénégal : elle a passé les sept premières années de sa vie à M’Bour avec sa grand-mère, sans aller à l’école, en faisant les quatre cents coups avec sa bande de copains. Puis une grosse louche de France : elle a rejoint ses parents qui y avaient émigré sans elle. Elle a étudié au lycée Marceau de Chartres puis a intégré une école de commerce.
Enfin, une copieuse cuillère d’Etats-unis où elle a posé ses valises voilà dix-sept ans. Une fois agité et secoué, le cocktail donne Magatte Wade. Une femme de 38 ans, qui peut s’exprimer avec une égale agilité et un débit impressionnant en français, anglais et wolof, vit à New York, a déjà créé plusieurs entreprises, a récemment figuré dans le classement Forbes des vingt jeunes Africaines les plus influentes du monde, a été nommée Young Global Leader par le Forum économique de Davos et donne des conférences dans les universités Harvard, Yale ou Columbia.
“La situation de l’Afrique m’a toujours interpellée, explique Magatte Wade. Je me demandais comment on pouvait sortir de cette spirale de la pauvreté. J’habitais en Californie dans un endroit magnifique, j’étais heureuse et ne manquais de rien, mais l’idée que l’Afrique avait besoin de ses enfants me trottait dans la tête.” A 28 ans, Magatte Wade rentre pour quelques semaines au Sénégal. Elle n’y a pas mis les pieds depuis quatre ans. Elle est frappée par un détail qui finalement n’en est pas un. Dans les cafés, elle commande du bissap, boisson traditionnelle sénégalaise à base de jus d’hibiscus – ce qui lui donne une couleur rouge sang. Impossible de s’en faire servir. Dans des villages reculés, peut-être. Mais en ville, on ne lui propose que du Coca-Cola, du Pepsi, du Fanta, exclusivement des marques américaines ! “J’ai compris que consommer des produits occidentaux est une façon, pour les Africains, de montrer qu’ils ont réussi, explique Magatte Wade. Mais c’était une partie de mon histoire et de mon identité qui était en train de disparaître.”
Du bissap pour les Américains
La nostalgie n’est pas la seule à trinquer. Les conséquences sociales affleurent. La culture du bissap fait vivre les femmes des campagnes.”Si elles perdent leur source de revenus, elles déménagent en ville, et c’est le cercle vicieux qui s’enclenche. Vite, les enfants se retrouvent à mendier dans la rue.” Alors, elle décide d’agir. De retour à San Francisco, elle crée son entreprise, qu’elle baptise Adina (“le monde” en wolof) World Beat Beverages. L’idée est la suivante : “L’Africain a un tel complexe d’infériorité, il se sous-estime tant, que, pour qu’il accepte un produit fabriqué dans son pays, il faut que ce produit soit validé par le monde occidental. Je me suis dit : vendons du bissap aux Américains !” Elle lève 32 millions de dollars auprès de divers fonds d’investissement américains, organise au Sénégal une filière de production de feuilles d’hibiscus qui fait travailler plusieurs centaines de femmes. Ces feuilles sont ensuite importées aux États-Unis pour produire la boisson. Certification bio en poche, le bissap investit les supermarchés américains les plus populaires.”J’ai tout de suite senti un engouement pour ce nouveau type de marque, qu’on peut appeler une marque à conscience. Cela coûte un peu plus cher, mais les clients sont prêts à en payer le prix.”
Magatte Wade est lancée. En 2009, elle démissionne de son poste de PDG d’Adina pour créer une nouvelle société , Tiossan “origines” , une marque de cosmétiques de luxe qui utilise des secrets de beauté sénégalais. Les matières premières utilisées sont le karité, la pulpe du fruit du baobab, l’aloe vera. Magatte a travaillé avec des spécialistes de la médecine traditionnelle dans le pays, puis a fait appel à des chimistes californiens et à un artisan parfumeur français installé à Grasse. Si, dans un premier temps, les produits seront fabriqués et commercialisés aux États-Unis, ils devraient être produits d’ici quelques mois au Sénégal. “Il y a tant de produits du Sénégal que je veux faire venir au monde ! Je veux créer des marques qui trouvent leur inspiration dans des choses authentiquement africaines. Avec un positionnement résolument haut de gamme, qui doit exprimer le style, la beauté, le luxe. On résume trop souvent l’Afrique à des marques qui jouent sur le thème du safari, avec des couleurs ocre et des girafes, ou à des marques tribales.” Elle croit beaucoup à la créativité africaine. Elle consacre 10 % des profits de Tiossan à des projets éducatifs au Sénégal. Et songe même à lancer une école de design. “La vision que le monde a de l’Afrique est en train de changer, se réjouit Magatte Wade. Le continent n’est plus uniquement synonyme de pauvreté et de guerre, il y a désormais de l’espoir : celui d’une renaissance.”
10 % des profits de Tiossan sont consacrés à des projets éducatifs au Sénégal.
Source : lepoint.fr