Prédispositions atlantistes, volonté de s’afficher comme l’égal de Vladimir Poutine, mais aussi realpolitik et business : l’essayiste Guillaume Bigot revient sur un an de diplomatie macronienne à l’égard de la Russie.
Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts disait de Gaulle.
La première rencontre de Vladimir Poutine et d’Emmanuel Macron en France le 28 mai 2017 illustra parfaitement ce jugement. Qu’en sera-t-il de leur prochaine rencontre en marge du Forum économique de Saint-Pétersbourg les 24, 25 et 26 mai prochain ?
Au lendemain de son élection, le président Macron avait pris prétexte du 300e anniversaire de la visite en France de Pierre le Grand en 1717 pour recevoir son homologue russe dans la galerie des batailles du château de Versailles.
Les deux hommes y avaient célébré la profondeur historique du lien franco-russe. L’amabilité diplomatique – pléonasme – avait alors mal masqué la fraicheur des relations entre les deux dirigeants. L’un et l’autre campèrent en effet sur des positions aussi tranchées qu’incompatibles.
On est en droit de s’interroger sur son indépendance vis-à-vis de la seule véritable superpuissance dans un monde unipolaire
Prédispositions
Il faut dire qu’avant leur première rencontre, le dialogue Macron-Poutine avait fort mal débuté.
Macron était et de loin le plus anti-russe de tous les candidats à la présidentielle. Face à lui, les autres challengers sérieux (Mélenchon, Fillon et Le Pen) s’étaient tous prononcés en faveur d’un rapprochement franco-russe.
Avec l’arrivée aux affaires de Theresa May assumant le Brexit et de Trump, Poutine semblait avoir gagné deux alliés idéologiques et être en mesure d’isoler Paris et Berlin dans leur rêveries multilatérales et supra-nationales. Mais l’accueil chaleureux que le maître du Kremlin réserva à Marine Le Pen en mars 2017 n’a nullement influencé l’issue du scrutin en France. C’est donc un président bien décidé à relancer la construction européenne qui est sorti victorieux du second tour.
En fait, le jeune président n’a guère avancé dans son projet de refondation de l’Union européenne mais, contre toutes attentes, semble vouloir rivalisé avec Londres pour décrocher le statut de meilleur allié de Washington.
Si la diplomatie comme l’amour requiert surtout des preuves pour s’épanouir disons que Macron n’a pas manqué d’en fournir à Trump dans la nuit du 13 au 14 avril dernier, lorsque, en emboitant aussitôt le pas du populiste, il lança une attaque ciblée contre la Syrie pour punir son dirigeant d’avoir utilisé des armes chimiques contre la région rebelle de la Goutha.
Pressé par une campagne judiciaro-médiatique lancée par ses opposants et l’accusant de collusion avec la Russie, Trump a sans doute été contraint de donner des gages aux faucons du Pentagone, en punissant Bachar et en soutenant Kiev dans son désir d’arrimage à l’ouest. Macron, au nom d’une solidarité transatlantique réaffirmée, s’est aussitôt aligné sur Washington.
On entend beaucoup de commentateurs en France se féliciter de ce qu’Emmanuel Macron aurait renoué avec une diplomatie « tous azimuts » celle initiée par Charles de Gaulle et consistant pour Paris, dans un contexte de guerre froide, à équilibrer les blocs. Si Macron dialogue avec toutes les grandes capitales et si l’on peut indiscutablement mettre à son crédit d’avoir redoré le blason de la fonction présidentielle, on est cependant en droit de s’interroger sur son indépendance vis-à-vis de la seule véritable superpuissance dans un monde unipolaire.
A priori, avec Macron à l’Elysée, les intérêts de Paris paraissent programmés pour se heurter à ceux de Moscou. Comme si une malédiction séculaire condamnait à la fois Français et Russes à se heurter dans leur rôle de défenseur des chrétiens et des minorités d’Orient mais aussi condamnant les Occidentaux (Français et Anglais hier et Français et Américains aujourd’hui) à morigéner la Russie accusée de ne pas aller assez loin et assez vite dans sa modernisation et constamment soupçonnée de vouloir pousser vers les mers chaudes.
De la volonté de s’afficher comme l’égal de Poutine
La relation franco-russe incarnée par Macron et par Poutine semble ainsi condamnée à rester glaciale. Et les personnalités des deux chefs d’Etat ne semblent guère favoriser un rapprochement.
Je peux être aussi viril, aussi distant et aussi direct que Poutine, a constamment voulu exprimer Emmanuel Macron
Pendant la conférence de presse donnée par les deux hommes, en marge de leur première rencontre à Versailles, un journaliste de l’AFP avait les d’ailleurs interpelé en ces termes : «A vous voir tous les deux à cette tribune, l’un à côté de l’autre, on n’a pas le sentiment que la relation franco-russe soit encore très chaleureuse mais est-ce que cette rencontre a permis de la réchauffer quelque peu ?»
Le chef d’Etat français avait alors sèchement répondu: «Je n’ai jamais considéré que ni la vie politique, ni la vie diplomatique ne consistait à commenter soi-même des éléments de thermodynamique ou de chimie personnelle.» En clair, le but de sa rencontre avec le maître du Kremlin n’était pas de se lier amicalement. Macron poursuivit : «Leur échange avait été franc, sincère mais aussi fait de désagréments.» «On partage des désaccords mais au moins on les a partagés», avait alors conclu le président français.
Emmanuel Macron semble ainsi avoir saisi l’occasion que la visite de Vladimir Poutine lui avait offerte pour assoir son autorité, en tenant un langage de fermeté à l’égard d’un homme qui occupe la scène diplomatique depuis deux décennies. Le rookie novice s’est ainsi fait la main sur le doyen expérimenté. Une attitude défiante qui contraste fort avec la bromanceaffichée à al’égard du pourtant très controversé Donal Trump.
Macron savait qu’il devait répondre brutalement et définitivement à cette interrogation formulée au lendemain de son élection : comment un président encore trentenaire, sans expérience politique allait s’imposer sur la scène internationale ? C’est ce qu’il fit en choisissant d’afficher de manière crue ses divergences à l’égard du chef d’Etat le plus expérimenté mais aussi le plus craint sur la scène internationale : je peux être aussi viril, aussi distant et aussi direct que Poutine a constamment voulu exprimer Emmanuel Macron.
Cette position, il n’en a jamais varié depuis le jour de son élection. Puisque le nouveau locataire de l’Elysée dit avoir alors eu un échange téléphonique assez direct avec son homologue russe, en lui reprochant des tentatives d’ingérences pendant la campagne. La réaction de Macron fut aussi vive qu’instantanée lorsque Londres accusa Moscou d’avoir tenté d’empoisonner l’ancien agent russe Sergueï Skripal et sa fille. Macron évoqua aussitôt une grave violation de la souveraineté européenne alors que le processus de Brexit était irrévocablement engagé. Estimant détenir des preuves que la ligne rouge de l’utilisation des armes chimiques par Damas avait été franchie, Macron ordonna, comme on l’a vu, des frappes sur la Syrie.
Mais la plus surprenante de ces marques d’agressivité à l’égard de Moscou fut sans conteste les vœux quasi sibériens formulés par Macron à l’égard de Poutine lorsque ce dernier fut réélu. L’Elysée fit en effet savoir que le président avait appelé son homologue russe, non pour le féliciter comme il est d’usage, mais pour «souhaiter, à la Russie et au peuple russe, au nom de la France, ses vœux de succès pour la modernisation politique, démocratique, économique et sociale du pays». Ce que le Palais a laissé filtrer de cet échange téléphonique ressemble d’avantage à un avertissement qu’à des vœux : Macron aurait fait part de sa préoccupation à l’égard des bombardements en Syrie, rappelé l’attachement de la France à l’intégrité territoriale de l’Ukraine dans ses frontières internationalement reconnues et aurait appelé son homologue du Kremlin : «A faire toute la lumière sur l’inacceptable attaque de Salisbury.»
Last but not least, le président français s’est même payé le luxe d’inviter Poutine à reprendre en main d’éventuels programmes de production d’agents neurotoxiques qui «n’auraient pas été déclarés à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.» Une déclaration pour le moins limite de la part d’un président censé inscrire sa diplomatie dans la tradition gaullienne de reconnaissance des peuples et non des régimes.
Les remarques acerbes de Macron et les références à peine voilées au caractère imparfait de la démocratie russe sont d’autant plus étonnantes que la Chine ou l’Arabie Saoudite par exemple, pour ne citer que deux Etats pourtant autrement autoritaires que la Russie, semblent devoir échapper au courroux du Jupiter Français. Tout indique que Macron joue en contre face à son homologue russe face auquel il a clairement choisi de montrer au reste du monde que l’on ne se pose qu’en s’opposant. A l’issue de son débat télévisé face à deux journalistes sur France télévision, le président français tombait d’ailleurs le masque : «Je suis l’égal de Poutine. D’ailleurs Poutine me comprend. Et si j’ai décidé de frapper la Syrie, c’est pour faire comprendre que nous sommes là. Et lui comprend ce discours. C’est une solution pour ramener la paix en Syrie.»
Gageons aussi que Macron prend soin de mettre en scène ses frictions avec Poutine pour se poser face à ses propres prédécesseurs. D’abord face à Sarkozy lequel avait promis de regarder Poutine au fond des yeux avant de vaciller comme pris de vertige à la sortie de son premier entretien. Mais aussi face à Hollande qui, sous une apparence plus bonhomme, avait snobé l’anniversaire de la victoire russe lors de la Grande guerre patriotique et annulé au dernier moment la visite de Vladimir Poutine en octobre 2016.
Pistes positives en coulisses
Macron surjoue le rapport de forces avec la Russie mais ne cesse pas pour autant de dialoguer avec elle.
Finalement, Macron est seul avec Poutine
D’abord et c’est la grande chance d’Emmanuel Macron (mais après tout, la chance fait partie du talent), la scène mondiale est presque vide depuis son élection. La chancelière allemande a été fortement affaiblie par le rejet par son électorat de sa politique migratoire. La Grande-Bretagne s’est isolée et Theresa May est, elle aussi, mal assise, dans son Parlement comme dans son opinion publique. Donald Trump est un paria aux yeux d’une moitié de ses compatriotes et de la totalité de l’élite de son pays tandis que la Chine et l’Inde n’ont pas réussi à vectoriser leur colossale puissance économique en force diplomatique. Finalement, Macron est seul avec Poutine. Or, au-delà des apparences, les deux dirigeants sont loin de ne partager que des désaccords.
En témoigne la visite que Macron a accepté de rendre à Poutine les 24, 25 et 26 mai prochain au Forum économique de Saint-Petersbourg. Le président français y aura même, avec le Premier ministre japonais, le statut d’invité d’honneur. Il est hautement probable que les deux chefs d’Etat n’hésiteront pas à étaler publiquement leurs différents et à mettre en scène leur côté monstres froids. En coulisse, il en va déjà et il en ira sûrement tout autrement. Au plan économique, les relations bilatérales sont intenses : le Grand Moscou réalisé par Wilmotte & associés, le train pendulaire signé par Alstom alors que l’industriel était encore tricolore, l’autoroute Moscou Saint-Petersbourg réalisée par Vinci, le distributeur Auchan et ses acquisitions immobilières et ses 300 000 salariés russes. La nomination de Sylvie Bermann, russophile convaincue et diplomate de haut rang (elle fut ambassadeur à Pékin) à Moscou comme celle d’un vice Ministre des Affaires étrangères, Alexei Mechkov, à Paris constituent aussi des indices objectifs d’un rapprochement entre Paris et Moscou. Les signaux sont nombreux et ne trompent pas : les relations franco-russes se développent plus rapidement que jamais.
Lors de sa visite Macron prendra d’ailleurs part avec Poutine à la première réunion du Dialogue de Trianon, ce forum franco-russe des sociétés civiles lancé en décembre 2017 et qui vise à renforcer les liens à la base entre hommes d’affaire mais aussi chercheurs, intellectuels, artistes, étudiants et représentants du monde associatif entre la France et la Russie.
Le Russe et le Français, qui sont loin d’être amis, sont condamnés à s’entendre au nom justement des intérêts bien compris de leurs deux peuples
Epines géostratégiques
Mais si les relations culturelles et commerciales semblent au beau fixe, peut-on en dire autant des relations géostratégiques entre les deux pays ?
Les deux épineux dossiers ukrainiens et syriens ne sont-ils pas des points d’achoppements indépassables révélant que les deux nations possèdent des géographies donc des intérêts géopolitiques distincts voire opposés ? C’est indéniable, les positions de Paris et de Moscou semblent inconciliables en Europe centrale et au Proche Orient. Pourtant, des enjeux plus brûlants et surtout plus inflammables empêchent Paris et Moscou de se diviser trop profondément.
Au-delà des querelles régionales, la sécurité globale de la planète offre un sujet de préoccupation commun pour les deux pays. Ces deux puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité nourrissent à l’égard de la montée en puissance balistique de la Corée du Nord et plus généralement à l’égard de la perspective, plus si lointaine, de la réunification des deux Corées les mêmes craintes. Paris et Moscou veulent éviter qu’en ne déstabilisant l’Asie du Nord, l’activisme de Pyongyang ne déstabilise la planète.
Surtout, la Russie et la France comptent trop de citoyens musulmans pour se payer le luxe de laisser le cancer islamiste proliférer dans des Etats faillis à leurs portes. Jamais les services de renseignement français et russes n’avaient autant et aussi efficacement coopérés que depuis qu’Emmanuel Macron est arrivé aux affaires. Les informations circulent presque mieux (en tous cas avec moins de chantage exercé à l’égard de la France) en matière de lutte contre le djihadisme entre Paris et Moscou qu’entre Paris et Washington.
C’est pourquoi en dépit des désagréments évoqués par Macron et sans doute mal vécus par Poutine, des différences de tempéraments, de sensibilité mais aussi du jeu diplomatique que l’un comme l’autre jouent à l’attention de leur opinion publique, le Russe et le Français, qui sont loin d’être amis, sont condamnés à s’entendre au nom justement des intérêts bien compris de leurs deux peuples.
rt france