Le blogueur britannique Eliot Higgins, spécialiste de l’armement russe et fondateur du collectif d’investigation Bellingcat, est formel. Filmées au débotté samedi 18 juin par la chaîne de télévision russe Russia Today (RT) à l’occasion de la visite du ministre de la défense russe, Sergueï Choïgou, sur la base de Khmeymim (dans le nord-ouest de la Syrie), les cinq bombes fixées à un chasseur Sukhoï 34 sont bien des armes incendiaires à sous-munitions d’une demi-tonne chacune. « Je suppose que vous avez vu que RT avait aujourd’hui réédité sa vidéo YouTube ? », interpelle le blogueur, lundi 20 juin.
L’information est sensible : la séquence montrant les bombes a en effet été coupée par la chaîne de télévision russe dans la matinée. Sauf qu’il suffisait de promener sa souris sur la timeline de la vidéo, hébergée sur la plate-forme YouTube, pour apercevoir ces munitions marquées du sigle « RBK-500 ZAB 2.5SM ». Dans l’après-midi, Russia Today a réintroduit la séquence coupée dans sa vidéo…
Des centaines de civils tués
Dès décembre 2015, quelques semaines après l’intervention militaire russe en Syrie, l’ONG Human Rights Watch (HRW) avait accusé la Russie d’y utiliser ou de fournir à l’armée syrienne des bombes à sous-munitions, dont elle dénonçait « un usage à grande échelle ». Au même moment, Amnesty International accusait l’aviation russe d’avoir tué des centaines de civils depuis le début de son intervention, le 30 septembre 2015.
Le porte-parole du ministère de la défense russe, Igor Konachenkov, avait alors démenti tout usage par son aviation d’armes à sous-munitions dans des zones habitées en Syrie. En décembre 2015, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, réaffirmait que la Russie y menait ses opérations « dans le strict respect des principes et normes du droit international, y compris toutes les parties du droit international qui régissent l’utilisation, la non-utilisation, ou l’interdiction de l’un ou l’autre type d’armes ». M. Konachenkov allant même jusqu’à ajouter : « Les avions russes n’utilisent pas de bombes à sous-munitions et ces armes ne sont pas entreposées sur la base de Khmeymim. »
Au début de février, Human Rights Watch réitérait ses accusations à partir de quatorze cas documentés d’attaque. Le 15 février 2016, par exemple, un Sukhoï russe larguait à au moins deux reprises des bombes à sous-munitions sur des quartiers densément peuplés de la ville de Hraytan, au nord d’Alep.
Et si la Russie, tout comme les Etats-Unis, n’est pas signataire de la convention sur les armes à sous-munitions des Nations unies, adoptée par cent sept Etats en mai 2008 à Dublin, en Irlande – un texte qui interdit l’utilisation, la production, le transfert et le stockage des bombes à sous-munitions –, Moscou a néanmoins ratifié (du temps de l’Union soviétique, en 1981) le protocole III des conventions de Genève sur « l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires », qui notamment « interdit en toutes circonstances de faire de la population civile en tant que telle, de civils isolés ou de biens de caractère civil l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires », ainsi « que de faire d’un objectif militaire situé à l’intérieur d’une concentration de civils l’objet d’une attaque au moyen d’armes incendiaires lancées par aéronef ».
Des précautions dont ne semblent pas s’embarrasser les aviations russe ou syrienne. Comme ci-dessous, en novembre 2015, lors de l’attaque d’une boulangerie et d’une usine d’huile d’olive à proximité du village de Binin, dans la province d’Idlib.
avec lemonde.fr